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Discours de Robert Ophèle, Président de l’AMF - Conférence Droit & Croissance "Corporate governance and shareholders engagement: the new normal conference" – Vendredi 18 octobre 2019

Discours de Robert Ophèle, Président de l’AMF - Conférence Droit & Croissance "Corporate governance and shareholders engagement: the new normal conference" – Vendredi 18 octobre 2019

Seul le prononcé fait foi

La question de l’engagement actionnarial est naturellement au cœur du bon fonctionnement des sociétés en général mais elle a une dimension particulière s’agissant des sociétés cotées, où l’entretien de l’affectio societatis est par nature plus exigeant. C’est une problématique au cœur des missions de l’AMF qui y consacre d’ailleurs une part substantielle de son prochain rapport annuel sur la gouvernance.
Le dialogue actionnarial a pris récemment une dimension toute particulière avec trois éclairages spécifiques :

  • dans le cadre du débat sur l’activisme,
  • dans la perspective de l’intégration accrue par les entreprises des préoccupations liées au développement durable,
  • dans le débat sur le rôle et l’influence des agences de conseil en vote, les « proxy advisors ».

Evoquons brièvement ce matin ces trois thèmes.


Pour différentes raisons, l’activisme boursier fait l’objet d’un débat nourri cette année en France ; au-delà d’éventuelles évolutions réglementaires, sur lesquelles les avis sont partagés, il y a, il me semble, un consensus qui émerge sur l’utilité de renforcer le dialogue actionnarial en le structurant de façon transparente.

Conformément à ce que suggère le code AFEP-MEDEF, nous avons désormais dans un grand nombre de sociétés cotées, en fait 26 sur les 40 sociétés du SBF 120 examinées cette année par l’AMF dans le cadre de son rapport annuel, un membre du conseil, le Président ou un administrateur référent, qui est officiellement en charge du dialogue avec les actionnaires, en particulier ceux qui ne sont pas représentés au conseil. Je sais que l’Institut Français des Administrateurs (l’IFA) travaille à améliorer la qualité de ce dialogue, mais on peut s’interroger sur sa portée effective.

Son périmètre d’abord ; il est en principe restreint à la gouvernance de la société ; il est clair que l’intérêt des actionnaires va au-delà des simples questions de gouvernance et couvre la stratégie et la performance de l’entreprise. Si la performance relève pour l’essentiel du management, on peut considérer que l’élargissement du champ des échanges à la stratégie, tout en évitant bien entendu de divulguer des informations privilégiées, serait utile.

En second lieu, le vecteur de communication retenu – échanges individuels avec un administrateur – apparaît également trop limité, tout particulièrement pour les petits actionnaires. La structure anglaise de l’Investor forum qui permet d’organiser un dialogue collectif apparait séduisante de ce point de vue, nous pourrions nous en inspirer pour les sociétés à actionnariat diversifié.
Enfin, la transparence de ce dialogue pourrait être améliorée. Le contenu de ces dialogues et les suites qui sont données font déjà l’objet, en principe, d’une information du Conseil, mais il serait légitime qu’ils fassent l’objet, au cas par cas, d’une communication plus large.

Ces évolutions, qui favoriseraient la mise en place d’un dialogue au fil de l’eau avec l’entreprise permettrait aux actionnaires d’exprimer leurs demandes dans un cadre structuré et d’apporter des réponses appropriées et au bon moment. Elles réduiraient les risques d’analyses erronées ou d’emballement de marché.



Mon second point concerne la dimension ESG et le rôle désormais décisif des actionnaires pour accélérer la diffusion de sa prise en compte dans la stratégie des entreprises.

Par opposition au dialogue actionnarial que j’évoquais précédemment et qui s’organise entreprise par entreprise, on assiste à l’émergence d’un engagement actionnarial des grands investisseurs autour de thématiques communes déployées vis-à-vis d’un ensemble d’entreprises. Il permet en particulier de disposer des informations nécessaires à la mise en œuvre par ces investisseurs de stratégies de gestion prenant en compte les critères ESG. Cet engagement peut également se traduire à travers leurs votes en assemblée générale sur la stratégie ESG plus ou moins ambitieuse définie par les sociétés.

Les « Principles for Responsible Investment », les PRI, parrainés par le Global Compact de l’ONU, sont en ce domaine une référence et ils ont désormais été adoptés par tous les grands gestionnaires d’actifs et la plupart des grands investisseurs institutionnels. Les signataires prennent ainsi par exemple l’engagement d’intégrer les questions ESG dans leur politique de vote aux assemblées générales, en particulier en déposant ou en soutenant des résolutions prenant en compte ces considérations sur le long terme. Au-delà des PRI, des cercles d’investisseurs se sont constitués autour de problématiques plus précises et plus opérationnelles afin de peser en assemblée générale. The Institutional Investors Group on Climate Change (IIGC) ou encore le Climate Action 100+, qui rassemblent de très grands investisseurs, en sont des exemples. Le Climate Action 100+ est ainsi plus particulièrement attentif aux politiques mises en œuvre par 161 entreprises identifiées comme « sensibles » en termes de risques climatiques. On peut toutefois observer des écarts plus ou moins grands entre les intentions affichées via une adhésion à l’un ou l’autre de ces groupes et la réalité des engagements. Les recensements effectués par the Climate Majority Project ou par the Asset Owners Disclosure illustrent ces écarts avec, s’agissant des votes en assemblée, un soutien très limité aux résolutions déposées par des actionnaires en faveur de la maîtrise du risque climatique. Il est clair que les superviseurs ne peuvent pas être insensibles à des engagements publics pris par des entités qu’ils régulent et qui ne seraient pas tenus.

L’AMF (et l’ACPR) sera d’autant plus attentive au respect des engagements pris que le droit positif européen intègre désormais le principe selon le lequel les investisseurs institutionnels, les gérants, et plus largement les participants de marché doivent assurer la transparence de leur politique d’engagement actionnarial vis-à-vis des émetteurs dont ils détiennent les titres de capital, soit pour compte propre soit pour le compte de leurs clients. La Directive SRD modifiée requiert des investisseurs institutionnels et des gestionnaires d’actifs qu’ils élaborent et rendent publique une politique d’engagement claire et fassent état chaque année de la façon dont ils l’ont appliquée effectivement.

Il est d’ailleurs intéressant de noter que les colégislateurs européens ont profité de véhicules législatifs récents pour étendre ces mêmes principes de transparence à d’autres acteurs régulés, notamment les entreprises d’investissement et, plus globalement, les participants de marché qui conçoivent et distribuent des produits d’investissement ESG. De telles extensions, faites-en marge de réformes importantes et dans des textes de niveau 1 qui n’ont pas encore été publiés au Journal officiel de l’UE, n’ont guère attiré l’attention des parties prenantes pendant les négociations, mais désormais peu d’acteurs régulés en Europe échappent à l’obligation de rendre compte publiquement de leur politique d’engagement et de vote.



Cela m’amène naturellement au rôle des proxy advisors dans les choix de vote en assemblée générale.

De façon constante, l’AMF est favorable à l’exercice effectif du droit de vote des actionnaires en assemblée générale et de même que le recours aux agences de notation de crédit n’exonère pas l’investisseur d’effectuer une analyse propre de son risque de crédit, le recours à un proxy-advisor ne l’exonère pas de leur responsabilité et donc d’une analyse propre des résolutions présentées au vote en assemblées générales.

L’AMF est néanmoins consciente de l’utilité des agences de conseil en vote dans l’analyse des résolutions présentées. Les services qu’elles proposent contribuent à réduire le coût d’analyse et de traitement de l’information des sociétés cotées et aident les investisseurs professionnels, notamment ceux basés loin du pays de cotation de l’émetteur ou bien gérant des portefeuilles très diversifiés, à accomplir leurs devoirs fiduciaires et de gérance.

Pendant longtemps, à défaut d’un consensus sur le rôle et l’influence réelle des agences de conseil en vote, la bonne conduite et la gouvernance de ces acteurs a relevé du domaine de l’autorégulation. On estimait en effet que les recommandations qu’elles diffusent s’inscrivent dans le cadre d’une relation contractuelle avec leurs clients et qu’une réglementation à l’image de celle mise en place pour les agences de notation de crédit serait inappropriée et excessive, les ‘conseils’ prodigués par les proxy advisors n’étant pas utilisés à des fins réglementaires.

Le poids croissant de la gestion passive et la forte concentration du secteur des proxy advisors ont toutefois conduit à donner aux recommandations de vote diffusées par une ou plusieurs agences un poids déterminant dans l’adoption ou le rejet de certaines résolutions. Certaines pratiques ont donc suscité des critiques, souvent vives, de la part des émetteurs. Ainsi, on a pu reprocher à certaines agences de conseil en vote l’absence de dialogue réel avec les émetteurs, une approche ‘mécanique’ ignorant les spécificités du droit et du marché français, et des travaux d’analyse entachés de conflits d’intérêts. En effet, certaines de ces agences fournissent parfois des services de conseil aux émetteurs dont elles évaluent les résolutions présentées an assemblée générale.

L’AMF a été l’un des premiers régulateurs à esquisser les contours des bonnes pratiques à suivre par les agences, en faisant le choix du droit souple en 2011. En l’occurrence sa Recommandation 2011-06 posait, pour la première fois, les principes de la transparence de la politique de vote des agences, de la qualité de l’analyse, du dialogue avec l’émetteur en amont de l’AG et de la divulgation des conflits d’intérêts affectant l’agence.

Le droit européen est venu opportunément relayer cette initiative française, avec toutefois le délai propre à la production de la norme européenne. La Directive sur le droit des actionnaires SRD 2, proposée en avril 2014 mais applicable seulement depuis juin 2019, contient un article dédié à la transparence des agences de conseil en vote. Loin de requérir l’enregistrement des agences de conseil en vote auprès d’une autorité nationale ou de l’AEMF (ESMA), comme certains l’auraient souhaité, SRD2 requiert en revanche des agences de conseil actives dans l’UE qu’elles rendent désormais public leur code de conduite, informent leurs clients chaque année sur la teneur exacte et la fiabilité de leurs activités et gèrent leurs éventuels conflits d’intérêts en toute transparence.

Sans attendre la clause de revue de ces dispositions européennes à l’horizon 2022-2023, le législateur français a confié à l’AMF, à travers la loi PACTE, la tâche de rendre compte chaque année de l’application de ces dispositions par les agences de conseil en vote actives en France. Elle s’en acquittera à compter de 2020 par le biais de son rapport annuel sur le gouvernement d’entreprise.

Alors que l’Europe applique pour la première fois ses nouvelles règles sur les agences de conseil en vote, mais fait le choix d’une régulation basée sur la transparence et sur un encouragement à se référer à un code de conduite plutôt que sur l’encadrement strict de la profession, le débat reste vif aux Etats-Unis, en particulier depuis le projet de loi de réforme de la gouvernance d’entreprise de 2017, qui n’est toujours pas adopté. Il y a deux mois, la SEC a récemment clarifié dans une guidance la responsabilité des agences de conseil en vote vis-à-vis de leurs clients dans un sens strict (les agences sont passibles de sanctions si leurs recommandations et conseils de vote sont faux ou trompeurs). Des positions antagonistes s’opposent, entre ceux qui appellent à une action forte de la SEC pour réguler cette profession, et ceux qui craignent qu’un encadrement strict renchérissent les coûts, affecte la concurrence et, en définitive, soit préjudiciable aux actionnaires.

Il est encore trop tôt pour dire si l’approche d’encadrement retenue par l’UE ne constituera qu’un premier pas, ou si elle représentera au contraire une réponse pérenne aux débats soulevés par le recours aux agences de conseil en vote. L’AMF aura quant à elle à cœur de partager ses observations avec la Place chaque année, de manière impartiale, comme l’y invite la loi.