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Réunion du Conseil Scientifique de l'AMF - 6 avril 2022

À l’occasion de sa réunion du 6 avril 2022, le conseil scientifique de l’AMF a structuré ses échanges autour de deux interventions. Patrick Artus (Natixis) a présenté un article portant l’allocation du risque entre les différents agents économiques. Thierry Roncalli (Université d’Évry, Amundi) a synthétisé les principaux résultats de deux articles qu’il a coécrits sur la prise en compte des mesures de risque climatique dans la gestion d’actifs.

Qui doit porter le risque économique ?

Patrick Artus note que l’État assume aujourd’hui un objectif de régulation conjoncturelle ainsi que le financement d’investissements structurels nécessaires mais risqués et/ou peu rentables. Ces investissements peu rentables concernent notamment le financement de la R&D et la transition vers des économies bas-carbone. La transition écologique nécessite 4 points de PIB d’investissements nets dont les deux tiers ont une rentabilité financière faible, de l’ordre de 2 % pour la rénovation de logements, voire 1 % pour la sidérurgie par exemple. Cette intervention de l’État peut consister en un investissement en fonds propres ou en un apport de garantie.

Selon Patrick Artus, l’objectif de régulation du cycle économique va de soi : contrairement au secteur privé, l’État a une contrainte budgétaire intertemporelle faible et son intervention durant la crise du Covid a permis de préserver le pouvoir d’achat et les profits des entreprises. En revanche, l’utilité d’un financement d’investissements structurels par l’État est plus discutable car non efficace d’un point de vue économique. Il n’est d’ailleurs qu’un leurre puisque le risque repose en définitive sur le secteur privé qui sera mis à contribution s’il se matérialise, du fait de la nécessité pour l’État de se refinancer dans ce cas.

Pour Patrick Artus, l’interventionnisme croissant de l’État actuellement souhaité ne s’explique que par la forte aversion pour le risque des autres agents non financiers qui refusent de le porter. De fait, l’encours des actifs liquides à l’actif des investisseurs institutionnels et des ménages est prédominant en France où il représente 80 % du PIB et s’inscrit sur une tendance haussière. Cette proportion est beaucoup moins élevée aux États-Unis. Il est donc nécessaire de contraindre le bilan des investisseurs institutionnels pour obtenir des actifs risqués et longs (et des passifs sans risque et courts). Patrick Artus estime que les fonds propres réglementaires ont doublé depuis 15 ans, ce qui pèse sur la rentabilité des investisseurs institutionnels (banques, sociétés d’assurance), qui est deux fois moindre que celle des entreprises non financières. Les banques et assureurs ne sont donc pas en mesure de lever des fonds propres sur les marchés, réduisant ainsi leur capacité à prêter et à détenir des actifs risqués, ce qui limite fortement l’intérêt de la cotation en bourse.

D’une manière générale, il existe actuellement une incitation à basculer vers le non-coté, où le risque apparaît caché, ce qui est susceptible de séduire les investisseurs à forte aversion au risque, notamment les populations plus âgées, en croissance, et qui, en France privilégient les actifs peu risqués. Il faut donc, selon lui, modifier les comportements des agents par le biais des incitations en concentrant les aides et les crédits d’impôts en faveur des actifs risqués, notamment le financement de l’innovation et de la transition énergétique.

Les membres du Conseil scientifique se sont interrogés sur le rôle des politiques monétaires dans les évolutions décrites. La baisse des taux a été très favorable à l’endettement, a réduit le coût du financement en actions, a fait monter le prix des actifs risqués et écrasé les primes sur le high yield. Ils ont aussi réfléchi aux recommandations de politiques économiques, sociales et environnementales qui pouvaient découler de cette analyse. La discussion a par ailleurs porté sur la légitimité de l’orientation de l’épargne des ménages vers les actifs risqués. Les membres ont rappelé le rôle des filets sociaux (chômage, retraite) dans les processus de décision relatives à l’épargne personnelle et ont insisté sur la grande hétérogénéité des patrimoines et de la tolérance au risque. La place de la titrisation et des banques dans la dispersion des risques a enfin été discutée.

La prise en compte des mesures de risque climatique dans la gestion d’actifs

L’intervention de Thierry Roncalli reposait sur deux documents de travail d’Amundi auxquels il a contribué : le premier (coécrit avec Théo Le Guenedal) tente de décrire l’impact de la prise en compte des mesures de risque climatique sur la structure (et le risque) des portefeuilles, via la formalisation de contraintes additionnelles sur les programmes d’optimisation. Le second (coécrit avec Théo Le Guenedal, mais aussi avec François Lombard et Takaya Sekine), se concentre plus spécialement sur les mesures relatives aux stratégies « Net Zéro ».

Thierry Roncalli rappelle que les premiers exemples de décarbonation de portefeuille datent de 2014, avec le fonds de réserve des retraites en France et le fonds AP2 en Suède. Par ailleurs, des développements réglementaires récents en Europe (alignement des portefeuilles sur la trajectoire « émissions en net zéro » – NZE – et la taxonomie verte) donnent une impulsion nouvelle aux ambitions. Les objectifs de décarbonation nécessitent l’utilisation de métriques assez éloignées des indicateurs financiers classiques (qui sont harmonisés, comptables et audités). Certaines de ces métriques sont standardisées (par exemple les émissions sur les périmètres – scopes – 1 et 2) mais d’autres ne le sont pas (e.g. le scope 3) et leur utilisation peut avoir un impact fort sur l’allocation de portefeuille, avec un risque important d’investir le portefeuille avec des mesures biaisées, bruitées, et pas toujours bien comprises.

L’impact carbone correspond aux émissions carbone directes de l’entreprise (scope 1), mais aussi à la consommation d’énergie induite par l’activité de l’entreprise (scope 2) et enfin aux émissions associées aux fournisseurs (upstream) comme à l’utilisation par les consommateurs (downstream) – le scope 3. Les entreprises cotées ont l’obligation de déclarer leurs émissions relevant des scopes 1 et 2, mais le reporting du scope 3 relève davantage d’une démarche volontariste, et les méthodologies sont loin d’être harmonisées : des entreprises comparables peuvent reporter des émissions scope 3 très différentes. L’écart n’est pas nécessairement le reflet d’une gestion plus vertueuse, et peut provenir de la sous-traitance des activités les plus polluantes ou encore d’une méthodologie d’estimation moins exhaustive.

Du point de vue du gestionnaire d’actifs, la prise en compte des critères climatiques peut se réduire à un programme de minimisation de la tracking error (TE) sous contrainte de réduction des émissions du portefeuille. Dans le cadre d’un modèle statique simple (et sans contraintes en termes sectoriels), la décarbonation de 50% d’un portefeuille (c’est à dire le taux de décarbonation initial des trajectoires « Paris-Aligned Benchmark – PAB ») représente coût de 10 à 12 points de base (pb) en termes de TE. En revanche, l’intègration du scope 3, revient à tripler ce coût de réplication. En plus d’intégrer des objectifs de réduction des émissions, les investisseurs doivent aussi contribuer à financer la transition écologique (ce qui implique de continuer à financer les pollueurs stratégiques pour leur permettre de réduire leurs émissions) : il s’agit là d’un deuxième type de contraintes pour l’allocation d’actifs. La Commission a ainsi défini des High Climate Impact Sector (HCIS) qu’il faut continuer de financer pour accompagner leur transition.

Thierry Roncalli s’interroge sur la compatibilité entre l’objectif d’alignement des portefeuilles et la taxonomie verte. En effet, on mesure l’impact de la réduction des émissions des portefeuilles sur la part de revenu vert (d’après la taxonomie). Plus on décarbone, plus on réduit paradoxalement la part du revenu vert. Cela vient de ce qu’il existe une corrélation positive entre intensité carbone et revenu vert (l’efficience énergétique se trouve dans les utilities, très émissives). Le taux cible de réduction des émissions carbone a aussi un impact fort en termes de diversification des expositions du portefeuille. Enfin, l’objectif de réduction a des conséquences importantes sur la rotation sectorielle du portefeuille.

Thierry Roncalli et ses coauteurs développent enfin de nouveaux indicateurs dynamiques pour suivre l’impact environnemental de portefeuilles dans le cadre d’un alignement net zéro. Ces nouveaux indicateurs NZE s’appuient sur l’observation historique des émissions et le prolongement des tendances observées. La trajectoire obtenue peut ainsi être comparée au scénario net zéro du secteur, mais aussi aux objectifs que se fixent les entreprises elles-mêmes. Les indicateurs NZE exploitent ces différentes informations prospectives et peuvent être regroupées en trois thèmes : Participation (réduction des émissions par le passé) / Ambition (annonce de cibles en ligne avec les objectifs net zéro) / Crédibilité (est ce que les efforts passés ont permis d’atteindre les objectifs qui avaient été fixés?). La dépendance de ces mesures à la mise à disposition de données fiables par les émetteurs a été fortement soulignée.

Les membres du Conseil ont salué des travaux très opérationnels pour répondre à un enjeu majeur. Ils ont insisté sur la difficulté d’articuler toutes les nouvelles réglementations européennes entre elles et ont discuté de la récalcitrance des États à fixer un prix au carbone via une taxe. Ils ont par ailleurs regretté que les réglementations actuelles ne se concentrent que sur les sociétés cotées et ignorent complètement les obligations souveraines, le non coté et la titrisation. Ils notent aussi que choix du scénario central de décarbonation est un paramètre essentiel pour le calcul des indicateurs dynamiques proposés et s’interrogent sur le degré de sincérité des données déclarées par les entreprises mais non auditées. Ils ont discuté de la nécessité d’accompagnement des investisseurs dans le cadre des questionnements sur leurs préférences ESG.