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Le Conseil scientifique a consacré sa séance du 18 janvier 2019 à la micro-structure des marchés

Le Conseil scientifique a consacré sa séance du 18 janvier 2019 à la micro-structure des marchés

Selma Boussetta (Université de Bordeaux, lauréate 2018 du Prix du jeune chercheur AMF) a présenté l'état de ses recherches avec Laurence Lescourret (ESSEC) et Sophie Moinas (TSE) sur le rôle des mécanismes de fixing d'ouverture sur des marchés fragmentés. De son côté, Charles-Albert Lehalle (Capital Fund Management et Imperial College) a présenté une synthèse de ses travaux récents sur les coûts de transaction et leur impact pour les investisseurs.

Le rôle de la période de pré-ouverture sur les marchés financiers fragmentés

Selma Boussetta a rappelé que sur Euronext-Paris, les séances de cotation en continu sont précédées par une phase de pré-ouverture durant laquelle les acteurs du marché entrent leurs ordres d’achat ou de vente qui s'accumulent dans le carnet d’ordres sans qu'aucune transaction n'intervienne. Dans un second temps, en fonction des ordres présents dans le carnet d'ordres, est calculé un prix d'équilibre ou fixing d'ouverture, qui permet l'échange du plus grand nombre de titres. À l’issue de cette phase de fixing (call-auction), débute la cotation en continu.  Ce mécanisme vise à réduire les asymétries d’information entre les acteurs, en les renseignant sur les tendances observées depuis la clôture de la veille et ainsi de débuter la séance avec un prix qui ne soit pas obsolète. La part de l’ouverture dans les transactions quotidiennes est passée sur Euronext  de 10 % au début des années 1990 à moins de 2 % en 2013, ce qui questionne l’utilité des mécanismes de pré-ouverture, qui n’existent pas chez ses concurrents directs.

Les chercheurs ont utilisé des bases de données couvrant la période allant de mai 2012 à fin 2013 et les actions françaises du SBF 120. La base comporte les échanges réalisés en séance, ainsi que des photographies régulières du carnet d’ordre (toutes les 15 minutes, y compris pendant la pré-ouverture) et des informations sur les « messages » envoyés aux plates-formes (nouveaux ordres, annulations ou modifications d’ordres existants, y compris durant la phase de pré-ouverture). Les acteurs émettant les ordres sont différenciés selon leur nature (HFT, non-HFT ou mixte) et selon le type de compte utilisé (market-maker, activité pour compte propre / pour compte de tiers).

Malgré la réduction de la part du fixing dans les échanges du jour, les auteurs observent que les ordres postés durant la période de pré-ouverture ont une valeur informative certaine et contribuent ainsi encore (bien que dans une moindre mesure que par le passé) à la découverte des prix : les prix théoriques obtenus par confrontation de l’offre et de la demande durant cette phase sont bien corrélés avec le prix de clôture du même jour. En outre que les acteurs non-HFT sont particulièrement actifs durant la première demi-heure de la phase de pré-ouverture, et 50 % des ordres placés durant cette période sont exécutés dans la journée. Il se pourrait que les acteurs non-HFT cherchent à utiliser cette période pour gagner une priorité d’exécution sur les acteurs HFT. De plus, les différentes catégories d’intervenants de marché n’ont pas la même contribution dans le processus de découverte des prix : l’activité accrue des Mixed proprietary traders (acteurs HFT et courtiers traditionnels) durant la phase de pré-ouverture est associée à une meilleure découverte du prix. Par ailleurs, les intervenants non-HFT et les pourvoyeurs de liquidité HFT contribuent surtout à la découverte des prix pour les actions des sociétés du CAC40, alors que les apporteurs de liquidité (« liquidity providers » ou LP) non HFT contribuent principalement sur les capitalisations plus petites. Enfin, un épisode accidentel de défaillance électronique sur Euronext (qui a conduit à un décalage d’une heure de l’ouverture de la cotation) a constitué une expérience naturelle qui a permis aux auteurs d’analyser l’impact sur les deux plates-formes concurrentes à l’époque des faits, Bats et ChiX. Il apparaît que la phase de pré-ouverture a une utilité manifeste non seulement pour Euronext, mais aussi pour les plates-formes concurrentes. 

Après avoir félicité Selma Boussetta pour la qualité de ses travaux et l’obtention du Prix du jeune chercheur, les membres du Conseil scientifique ont insisté sur l’importance du sujet pour le régulateur et se sont interrogés tant sur les raisons de la baisse du volume au fixing d’ouverture que sur l’importance relative des différentes catégories d’acteurs dans la découverte du prix d’ouverture. Ils ont souligné l’intérêt qu’il y aurait à analyser les ordres à plus haute fréquence (pas de temps inférieur à 15 minutes), ainsi que la direction des flux, cette dernière pouvant aider à mieux caractériser le comportement des acteurs.

Mesure des coûts de transaction et impact pour les investisseurs (Charles-Albert Lehalle)

Schématiquement, les coûts de transaction proviennent d’une part de la liquidité (spread bid-ask) et d’autre part de l’impact sur les cours qu’engendrent des ordres de grande taille.

Dans une étude de 2015 consacrée à l’estimation des coûts de transaction pour des ordres de grande taille sur les marchés d’actions européens (depuis 2010) et à leur impact sur le marché, Charles-Albert Lehalle montre que ces coûts dépendaient de multiples facteurs, dont la nature du titre considéré, les objectifs de l’investisseur et les conditions de marché. Il analyse par ailleurs l’impact sur le marché tant à court-terme (impact transitoire) qu’à plus long terme (impact ‘permanent’). Il observe ainsi notamment que l’impact de marché des ordres de grande taille disparait au bout d’une dizaine de jours. 

Sur les marchés obligataires (données américaines), où l’activité secondaire est très limitée, il observe là encore deux phases, à savoir un effet transitoire important et un effet permanent plus faible. Il relève cependant des spécificités du marché obligataire. D’une part un impact de marché plus important pour les achats que pour les ventes de titres, ce qui peut se comprendre par l’importance de la détention jusqu’à maturité venant d’investisseurs institutionnels. D’autre part, un spread bid-ask plus faible pour les ordres de grande taille que pour les ordres de petite taille, ce qui provient du mode de négociation (les conditions sont plus favorables pour des quantités plus importantes).

Ces analyses sont très utilisées en gestion d’actifs, à la fois ex-ante et ex-post (afin d’en vérifier la cohérence et, si besoin, d’adapter les modèles d’optimisation des coûts de transactions) avec une incidence possible sur les décisions d’allocations. Elles participent, quel que soit l’acteur (gérants, broker,…) à la recherche d’optimisation des transactions (fréquence des ordres, montants des transactions pour une fréquence donnée), sachant que celle-ci va différer selon les acteurs et les contraintes qui leur sont propres. Cette question fait l’objet d’une littérature académique croissante et est également mise en pratique par les acteurs de marché (« algo designers »).

Les membres du Conseil scientifique ont souligné l’intérêt des enseignements que peuvent tirer les investisseurs et les régulateurs d’une analyse fine des coûts de transaction reposant sur une combinaison de modélisation mathématique avancée et de travail empirique sur bases de données intra-day, avec en ligne de mire, l’objectif d’amélioration des algorithmes d’exécution. Ils ont souligné que, avec MiFID2, la question des coûts de transaction était devenue cruciale, notamment pour la transparence à laquelle étaient soumis les gérants vis-à-vis de leurs clients (outre la best execution, et l’identification du financement de la recherche). Ils se sont interrogés sur la possibilité de manipuler ces métriques des coûts de transaction.