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Le conseil scientifique de l'AMF se penche sur le thème de la compensation centrale

Le conseil scientifique de l'AMF se penche sur le thème de la compensation centrale

Lors de sa séance du 21 avril, le Conseil scientifique de l'Autorité des marchés financiers a abordé la question des chambres de compensation au travers de deux présentations distinctes. Guillaume Vuillemey (lauréat 2016 du prix AMF du jeune chercheur) a analysé l'un des rares exemples documentés de faillite d'une CCP, tandis que Stéphane Crépey (membre du Conseil scientifique) s'est interrogé sur le coût de la compensation centrale.

Le 21 avril 2017 s’est tenue la première réunion de la nouvelle mandature du Conseil scientifique de l’AMF. Celle-ci avait pour thème central les chambres de compensation (central clearing counterparties, CCP) et était organisée autour de deux présentations distinctes :

  • Guillaume Vuillemey (HEC Paris), lauréat du Prix du jeune chercheur AMF 2016, a présenté ses travaux sur les mécanismes ayant conduit à la faillite en 1974 d’une chambre de compensation française, la Caisse de liquidation des affaires et marchandises (CLAM).

  • Stéphane Crépey (Université d’Évry) a présenté ses travaux sur la mesure du coût du risque de contrepartie pour un adhérent compensateur. 

Présentation de Guillaume Vuillemey : «The Failure of a Clearinghouse: Empirical Evidence»

Guillaume Vuillemey a présenté les résultats de ses recherches (réalisées en collaboration avec Vincent Bignon) sur l’analyse du défaut d’une CCP française, la Caisse de liquidation des affaires et marchandises (CLAM) en 1974. Celui-ci est intervenu après le dégonflement d’une bulle sur le sucre, marché sur lequel la CCP était très active, et le défaut d’un de ses membres.

Ses recherches portent sur l’existence de failles éventuelles dans la gestion des risques avant le défaut et concluent de ce point de vue à l’absence d’aléa moral : la CCP n’a pas appliqué de politique d’appels de marge faibles pour gagner des parts de marché. Elle a au contraire augmenté ses appels de marge pendant la période de bulle. En revanche, les auteurs mettent en lumière des dysfonctionnements lors du dégonflement de la bulle, lorsque l’un des membres importants de la CCP (Nataf) a commencé à connaître des difficultés. Tout d’abord, la CCP et Nataf auraient manipulé les prix d’exécution et/ou de règlement livraison : à l’approche du défaut, ceux-ci se seraient significativement améliorés au profit des acteurs le plus en difficulté et, selon les auteurs, la CCP aurait essayé de limiter les appels de marge pour les investisseurs en difficulté au détriment des investisseurs solvables, qui ont vu leurs appels de marge augmenter. Ensuite, la CCP a retardé volontairement la déclaration du défaut de Nataf et donc la liquidation des positions ouvertes (bien que d’autres membres aient proposé de les racheter), décision qui lui sera fatale ; elle a par ailleurs continué dans l’intervalle à enregistrer les transactions de Nataf. Les auteurs concluent au fait que (i) une CCP détenue par ses membres est préférable à une CCP démutualisée, circonstance qui a, dans le cas d’espèce, favorisé l’alignement des intérêts du membre défaillant avec ceux de la CCP et que (ii) la nature des investisseurs finaux a eu un impact important sur la solidité des membres compensateurs et de la CCP. Dans le cas du défaut de la CLAM, les clients finaux de Nataf étaient essentiellement des investisseurs retail, qui n’ont pas voulu ou pu payer les appels de marge, entraînant le défaut du membre.

Les membres du conseil scientifique ont félicité Guillaume Vuillemey pour la qualité de ses travaux, en insistant notamment sur le travail d’archives considérable qu’ils ont nécessité et sur l’importance des réponses apportées pour la stabilité financière. L’utilité de la fixation de règles ex-ante pour le redressement et la résolution des CCP a été soulignée, de même que le rôle central joué par la gouvernance. Le Conseil a notamment souligné que dans le cas étudié, les intérêts des membres compensateurs et des actionnaires n’étaient pas alignés, ce facteur pesant très fortement sur le résultat final, autrement dit le défaut de la CCP.

Les discussions ont porté sur l’existence éventuelle d’effets de contagion sur les autres classes d’actifs sur lesquels la CLAM intervenait ou sur d’autres CCP compensant les contrats sur le sucre, sur l’existence d’effets potentiellement pro-cycliques des appels de marge dans le cas étudié ainsi que sur le caractère transposable ou non de cet épisode à la période actuelle. Certains membres ont estimé à cet égard que l’instauration de limites de variation et l’existence d’appels de marge multi-quotidiens tels que pratiqués aujourd’hui constituaient un progrès pour la gestion des risques. La question de l’impact de la structure de marché (monopole vs concurrence) a également été débattue. En conclusion de la discussion, Guillaume Vuillemey a insisté sur le fait qu’une raison essentielle du défaut de la CCP française résidait dans la forte proportion de retail au sein de la clientèle, cette population étant peu à même de comprendre les marchés de dérivés de marchandises, leurs fonctionnement et risques. Dans le cas de la CLAM, s’est posé un double problème de relation principal-agent lors de la fixation des marges : le premier, entre la CCP et les brokers, le second entre les brokers et la clientèle finale. Cette situation a conduit à un système inadapté à la clientèle finale, qui a été incapable de répondre aux appels de marges quand les prix du sucre ont commencé de diminuer, ce qui a abouti au défaut du membre de la CCP, puis de la CCP elle-même.

Présentation de Stéphane Crépey (Université d’Évry) : «XVA metrics for CCP optimization»

Stéphane Crépey, professeur au département de mathématiques de l’Université d’Évry et nouveau membre du Conseil scientifique de l’AMF a présenté un travail en cours (en collaboration avec Yannick Armenti) sur l’utilisation des mesures XVA (« valuation adjustment » - méthodes d’évaluation du capital économique) pour l’optimisation du fonctionnement des chambres de compensation.

Stéphane Crépey a d’abord rappelé les arguments traditionnellement avancés pour défendre l’obligation de recours aux CCP, ainsi que les contre-arguments qui leur sont opposés : réduction du risque de défaut d’une contrepartie, mais concentration du risque dans les CCP ; netting des expositions sur un produit, mais perte du netting entre classes d’actifs (par exemple, entre un sous-jacent et son dérivé) ; transparence accrue de l’information (positions, transactions) pour le superviseur et la CCP au prix de plus d’opacité pour les adhérents compensateurs qui ne savent pas à qui ils sont exposés in fine via le fonds de défaut ; et enfin une procédure de résolution des défauts plus transparente et efficace via la CCP.

Stéphane Crépey est ensuite revenu sur les principaux postes de coût liés à la compensation centrale et leur fonctionnement, à savoir la marge de variation (qui suit la variation quotidienne des prix), la marge initiale (qui permet d’absorber les variations de prix pendant la période de liquidation de la position d’un adhérent en défaut) et la contribution au fonds de garantie (ou de défaut). Ces différents postes peuvent être estimés par la méthode des XVA.

Les deux principaux axes de l’article portent sur les règles optimales de fonctionnement du fonds mutuel de défaut (taille du fonds, et rémunération ou non) et sur l’utilité du recours à un specialist lender pour financer les marges initiales.

S’agissant des fonds de défaut, ils sont à l’heure actuelle soumis à la règle « Cover 2 » du règlement EMIR : d’une part, ils doivent couvrir au moins le maximum entre la plus grosse exposition et la somme de la 2e et de la 3e plus grosse exposition ; d’autre part, chaque membre contribue à proportion de sa marge initiale. Les auteurs considèrent que cette règle ad hoc génère des inefficacités et proposent d’établir le montant total du fonds ainsi que les diverses contributions par une méthode fondée sur l’espérance de perte (ES, expected shortfall). Cette méthode présente l’avantage d’intégrer le risque de crédit dans un calcul qui ne prend actuellement en compte que la taille de l’exposition dans la répartition de la charge de l’abondement du fonds. Le montant total appelé serait d’ailleurs bien inférieur à ce qu’il est actuellement.  Les auteurs envisagent enfin que les CCP puissent rémunérer le fonds de défaut, ce qui leur permettrait même éventuellement de faire appel à des investisseurs extérieurs attirés par le couple rendement-risque.

Dans le cadre de leur estimation des coûts de la compensation centrale, les auteurs mettent en évidence la place prépondérante des marges initiales, et se questionnent sur leurs modalités de financement. Plutôt que recourir à l’emprunt non sécurisé, Stéphane Crépey envisage de faire appel à des acteurs économiques spécialisés, les specialist lenders. En cas de défaut d’un adhérent compensateur, toute la marge initiale n’a pas nécessairement été consommée, et ces prêteurs pourraient récupérer le montant résiduel (ce que ne peut pas faire l’adhérent en faillite, qui a disparu), ce qui abaisse significativement le coût d’emprunt (divisé par 5 selon les modélisations des auteurs).

Les membres du conseil scientifique ont remercié l’auteur pour l’intérêt de ses travaux qui visent à rendre la compensation centrale plus attractive en minimisant notamment les coûts de compensation pour les adhérents compensateurs. Les deux principaux apports de l’article ont été soulignés, à savoir (i) la proposition d’une méthode alternative de détermination du fonds de défaut et des contributions de chaque adhérent et (ii) l’intérêt du recours à un specialist lender pour financer les marges initiales. À cet égard, la question de l’identité des specialist lenders et des règles auxquelles ils seraient nécessairement soumis, ainsi que celle de la structure du nouveau marché envisagé ont été débattues, sachant que pour les auteurs, il s’agirait d’une nouvelle activité opérée par des agents privés, et non pas par une banque centrale.

Les discussions ont également porté sur les externalités potentiellement négatives qui pourraient être induites par un changement de la règle actuellement en vigueur pour l’abondement du fonds de défaut. Certains participants ont regretté que l’analyse présentée ignore les clients finaux des CCP, à savoir les gérants d’actifs, alors que le capital immobilisé dans les CCP vise aussi à les protéger. Sur ce point, Stéphane Crépey a reconnu l’importance de ces acteurs finaux, mais a expliqué que la spécification adoptée permet de conserver un système clos qui facilite la modélisation. Enfin, le principe d’une rémunération du fonds de défaut a été très discuté, certains membres considérant qu’il équivaut à une prime d’assurance contre le risque de défaut (comme les frais prélevés par la CCP) et qu’à ce titre, une rémunération ne peut se justifier.