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L'Europe renforce son dispositif anti-abus de marché

A compter du 3 juillet 2016, l'Europe bénéficiera d'un cadre réformé visant à lutter contre les abus de marché.
Le règlement Abus de marché (Market Abuse Regulation - MAR), publié le 12 juin 2014, et les normes techniques afférentes seront applicables au début de l'été, se substituant ainsi à la directive Abus de marché du 28 janvier 2003. Champ d'application, opérations de marché, outils de prévention et de détection, sanctions administratives : en voici les principales dispositions

Introduction

Adopté dans la foulée des différentes réformes réglementaires post-crise, le règlement européen Abus de marché vise à améliorer l’intégrité des marchés et la protection des investisseurs en mettant à jour et en renforçant l’actuel dispositif de lutte contre les abus de marché, en étendant son champ d’application à de nouveaux marchés et à de nouvelles stratégies de négociation, et en introduisant de nouvelles exigences. Pour permettre sa mise en œuvre, la Commission européenne devrait publier prochainement des textes d’application. À cette fin, l’avis technique sur les futurs actes délégués ainsi que les projets de standards techniques ont été transmis par l’ESMA à la Commission européenne dans le courant de l’année 2015. Le dispositif sera également complété par la rédaction par l’ESMA de trois orientations (Guidelines) prévues par le règlement.

Un champ d’application élargi

Jusqu’à présent limité aux seuls marchés réglementés, le règlement étend le champ du dispositif communautaire des abus de marché notamment aux instruments négociés sur des systèmes multilatéraux de négociation (SMN) ou des systèmes organisés de négociation (OTF[1]), aux enchères et transactions sur quotas d’émission, ainsi qu’aux transactions portant sur des contrats au comptant sur matières premières dont la valeur est liée à celle d’un instrument financier. De plus, certaines dispositions visent également explicitement les manipulations d’indices.

En France, la loi du 26 juillet 2013 de séparation et de régulation des activités bancaires avait anticipé une large partie de ces modifications (extension de l’interdiction de commettre un abus de marché aux instruments négociés uniquement sur un SMN et interdiction de manipuler un indice et de commettre un « abus de marché croisé » mettant en jeu des contrats commerciaux sur produits de base dont la valeur est liée à des instruments financiers).

Les indicateurs de manipulation de marché

Eu égard au champ d’application étendu de MAR et aux évolutions technologiques (caractérisées par un recours important à la négociation algorithmique et à haute fréquence, des interventions inter-marchés et inter-produits, mais aussi par la création d’instruments financiers très variés), des actes délégués vont être adoptés par la Commission européenne pour clarifier les indicateurs de manipulation de marché figurant à l’annexe I de MAR et le cas échéant, pour en introduire de nouveaux.

La réalisation d’une transaction sur la base d’une information transmise par un initié

Le règlement MAR prévoit un nouvel abus de marché en assimilant à l’utilisation d’une information privilégiée le fait pour une personne non initiée de réaliser une transaction sur la base d’une recommandation ou d’une incitation d’acheter ou de vendre qui lui a été transmise par un initié, dès lors que cette personne sait, ou devrait savoir, que la recommandation/incitation est basée sur des informations privilégiées.

Les pratiques et opérations particulières pouvant bénéficier d’une présomption de légitimité

Le règlement européen apporte des nouveautés ou des précisions sur des pratiques comme les sondages de marché à la veille d’une opération financière et précise les conditions dans lesquelles les programmes de rachat d’actions par les émetteurs et les opérations de stabilisation doivent être effectués pour bénéficier d’une présomption de légitimité.

Les sondages de marché

À l’initiative conjointe de la France et du Royaume-Uni, le règlement MAR intègre un nouvel article sur les sondages de marché, qui prévoit notamment :

  • la caractérisation de l’information (privilégiée ou non) que le sondeur s’apprête à communiquer ;
  • les conditions, notamment d’enregistrement, dans lesquelles une information privilégiée (IP) sera réputée avoir été communiquée légitimement à l’occasion d’un sondage ;
  • l’obligation d’informer la personne sondée dès que l’information communiquée cesse d’être une information privilégiée ;

Cet article prévoit symétriquement l’obligation pour la personne sondée de procéder à sa propre analyse de la nature de l’information communiquée.

Les projets de regulatory technical standards (RTS) et implementing technical standards (ITS) comportent des développements relatifs notamment aux procédures, aux modalités pratiques de réalisation des sondages et aux obligations d’enregistrement.

Les pratiques de marché admises (AMP)

Le règlement MAR renforce substantiellement le régime de transparence qui doit être mis en œuvre à l’égard du public et des autorités compétentes avant, pendant et à la cessation de la mise en œuvre d’une pratique de marché admise (accepted market practice, AMP).

Le règlement traite également des recommandations d'investissement (article 20) En l’absence de modification sensible du texte de niveau 1, le projet de RTS s’appuie très largement sur la directive d’application de MAD 2003/125/CE. Les principaux ajustements effectués portent sur l’élargissement du champ des dispositions qui visaient auparavant uniquement les personnes produisant des analyses financières à titre professionnel et dont l’application a été étendue (de manière graduée) à toutes les personnes produisant des recommandations d’investissement. Est introduite la notion d’« expert ».
Le second changement important concerne les déclarations de conflits d’intérêts : jusqu’à présent, toute détention d’une position longue (acheteuse) au-delà du seuil de 5 % devait être énoncée dans les analyses financières. A présent, le projet de RTS prévoit une obligation d’informer de ce que l’émetteur de la recommandation détient ou non une position nette courte ou longue de 0,5  % et plus du capital de la société cotée objet de la recommandation.

Faute de clause de « grand père » pour les pratiques d’ores et déjà en vigueur, le règlement MAR exige leur réexamen par les autorités compétentes au regard d’un ensemble de critères et selon une procédure définis dans le projet de RTS ainsi que leur notification à l’ESMA par l’autorité nationale.

Les programmes de rachat

Si le règlement MAR reprend largement les dispositions actuellement en vigueur s’agissant des programmes de rachat, des modifications assez significatives ont été introduites par les projets de standards techniques adressés par l’ESMA à la Commission européenne.

Ainsi, pour bénéficier de la présomption de légitimité (safe harbour), les transactions devront être réalisées sur des marchés réglementés ou des SMN. Par ailleurs, le recours aux instruments dérivés ne bénéficiera pas de la présomption de légitimité.

Concernant les conditions d’intervention sur les marchés, les restrictions en termes de prix et de volume seront appréciées en fonction du marché sur lequel les transactions sont envisagées, et lorsque les actions concernées sont négociées en continu, le bénéfice du safe harbour ne s’appliquera pas aux interventions réalisées pendant les phases de fixing.

Enfin, sauf sous certaines conditions[2], les émetteurs ne pourront pas vendre des actions pendant la mise en œuvre d’un programme de rachat ou négocier pendant une période d’interdiction semblable à celle pendant laquelle un dirigeant doit s’abstenir de réaliser des transactions.

Les mesures de stabilisation

Le projet de RTS apporte des précisions sur la mise en œuvre des opérations de stabilisation par l’intermédiaire de dérivés, les lieux de négociation possibles pour bénéficier du safe harbour, les obligations déclaratives associées ainsi que la pratique de marché connue sous l’expression « rafraîchissement de la Greenshoe », à savoir les reventes de titres restaurant la capacité d’acquisition de titres par l’établissement qui réalise les opérations de stabilisation et ainsi faire face à une éventuelle deuxième phase baissière.

La gestion des informations privilégiées par les émetteurs

La publication d’informations privilégiées

Le règlement Abus de marché diffère de la directive MAD en matière de publication d’informations privilégiées sur deux points :

  • l’introduction de la possibilité pour une institution financière de retarder la publication pour des raisons de stabilité financière dans certaines conditions,
  • l’introduction de l’obligation d’informer l’autorité compétente au moment de la publication d’une information privilégiée que la publication a été différée et de faire état, par écrit, si l’autorité compétente le demande, de la manière dont les conditions préalables ont été satisfaites.

Le projet de standard technique précise les modalités techniques de publication des informations privilégiées ainsi que celles selon lesquelles la publication d’informations privilégiées est différée.

Le contenu et le format des listes d’initiés et le format de leur mise à jour

Le règlement MAR diffère peu de la directive de 2003 en matière de listes d’initiés. Cependant, une nouvelle disposition prévoit une dispense pour les émetteurs dont les instruments financiers sont admis à la négociation sur un SME Growth Market[3] à condition, d’une part, qu’ils s’assurent que les personnes ayant accès à des informations privilégiées connaissent les obligations légales et réglementaires correspondantes et, d’autre part, qu’ils puissent fournir à l’autorité compétente, sur demande, une liste d’initiés.

Le projet de standards techniques (ITS) traite du format précis des listes d’initiés et de leur mise à jour.

La notification et la publication des déclarations des dirigeants

L’obligation pour les dirigeants de déclarer leurs transactions était déjà prévue par la directive de 2003. Le règlement MAR renforce cette obligation par : 

  • la réduction du délai de déclaration de cinq à trois jours ; 
  • l’introduction au niveau 1 (texte adopté par les législateurs) non seulement d’une « fenêtre négative », c’est-à-dire une interdiction pour les dirigeants de sociétés cotées de réaliser dans le mois précédent la publication des rapports annuels et semestriels des transactions sur les instruments financiers des émetteurs auxquels ils sont liés, mais également de la possibilité pour l’émetteur d’autoriser certaines transactions pendant cette fenêtre sous certaines conditions.

Les projets de standards techniques (ITS) traitent du format de l’information de l’émetteur et de l’autorité compétente ainsi que du formulaire standard (template) destiné à être utilisé pour la publication des transactions.

Le signalement des opérations suspectes

Les déclarations par les établissements

L’article 16 du règlement MAR renforce le dispositif de déclaration des opérations suspectes (suspicious transaction and order report ou STOR) en élargissant celui résultant de la directive Abus de marché en date du 28 janvier 2003.

La réglementation française avait déjà largement anticipé ce champ étendu :

> en incluant dans le concept d’opérations suspectes la notion d’ordres suspects, que ceux-ci soient ou non exécutés, modifiés ou annulés ;

> en élargissant l’obligation de déclarer aux opérations suspectes portant sur :

  • les instruments négociables seulement sur un SMN dit « organisé » (SMNO), ces plateformes étant également soumises à l’interdiction d’abus de marché,
  • les instruments financiers liés aux instruments admis sur un marché réglementé ou négociés sur un SMNO ;

Le règlement MAR va encore plus loin. Le dispositif de déclaration des opérations suspectes inclut désormais également :

  • les tentatives d’abus de marché ; 
  • les abus (ou tentatives d’abus) de marché sur un instrument négociable sur un SMN « standard » (tel que le Marché libre) ou sur un futur OTF ou sur un instrument lié ; 
  • les manipulations (ou tentatives de manipulations) d’un contrat au comptant sur matières premières lié à un instrument financier.

En outre, le nouveau dispositif concerne un nombre d’acteurs plus important puisque les plateformes de négociation y sont dorénavant assujetties.

Les standards techniques préciseront notamment les modalités de déclaration*, le degré d’automatisation des systèmes et procédures de détection, les obligations d’enregistrement et les conditions de délégation de la fonction de détection des opérations suspectes.

Le lancement d’alerte (whistleblowing)

Les mesures d'application Les mesures d’application du règlement européen Abus de marché pourront prendre la forme d’actes délégués, proposés par la Commission européenne sur avis technique de l’ESMA. Elles pourront également prendre la forme de normes techniques de règlementation (regulatory technical standards ou RTS) ou de normes techniques d’exécution (implementing technical standards ou ITS) proposées par l’ESMA et adoptés par la Commission européenne. Ces mesures font ensuite l’objet d’une procédure d’approbation par le Parlement et le Conseil européen.

MAR introduit un nouveau dispositif en vue de permettre le signalement auprès des autorités compétentes de tout manquement réel ou potentiel au règlement. La Commission européenne a adopté une directive d’exécution pour préciser les procédures de réception et de suivi des alertes par les autorités compétentes. Y sont également définies les procédures de protection du lanceur d’alerte (notamment dans le cadre de son emploi) et de la personne faisant l’objet de l’alerte.

* Y compris le formulaire-type

Les sanctions

Le règlement MAR comporte d’importantes dispositions relatives à la nature des mesures et sanctions dont doivent disposer les régulateurs des États membres et à leur publicité, qui font le pendant des dispositions relatives aux sanctions pénales des abus de marché prévues par la directive 2014/57/UE dite « MAD II ». Y figurent aussi des dispositions plus novatrices sur le montant des sanctions administratives et les critères de détermination du niveau de ces sanctions. Ces dispositions écrites avec une marge d’adaptation possible, comme s’il s’agissait d’une directive, seront transposées dans le projet de loi « Sapin II » avec les dispositions équivalentes de la directive MIF II, de la directive OPCVM V, des règlements PRIIPS et dépositaires centraux de titres (CSDR). Les dispositions de la directive Transparence révisée ont été transposées récemment.

Le montant des sanctions administratives

MAR prévoit que les autorités compétentes doivent avoir le pouvoir d’infliger au moins des sanctions pécuniaires administratives d’un montant maximal d’au moins trois fois le montant de l’avantage retiré de la violation ou des pertes qu’elle a permis d’éviter, s’ils peuvent être déterminés. Si on ne peut déterminer ces avantages ou ces pertes, les personnes physiques doivent pouvoir se voir infliger, en cas d’abus de marché, des sanctions d’au moins 5 millions d’euros et les personnes morales de 15 millions d’euros ou 15 % du chiffre d’affaires annuel total.

L’article L. 621-15 du code monétaire et financier, qui prévoit depuis la loi du 22 octobre 2010, des sanctions pouvant aller dans les matières considérées jusqu’à 100 millions d’euros ou dix fois les profits réalisés, sera donc modifié à la marge, notamment pour introduire le critère du chiffre d’affaires.

Les critères de fixation de la sanction administrative

Sept critères de détermination du type et niveau des sanctions administratives sont énoncés à l’article 31 de MAR. Parmi eux, seuls la gravité de la violation et les gains obtenus de ce fait figurent déjà explicitement dans la loi française (les avantages ou profits mentionnés à l’article L. 621-15 précité).

Les autres concernent notamment les mesures prises par la personne responsable de la violation pour sa répétition.

Les mesures administratives pouvant être prises par les autorités compétentes

Le règlement MAR prévoit expressément de conférer au régulateur le pouvoir de faire un avertissement public indiquant la personne responsable de la violation et la nature de la violation, ce qui conduira à compléter la loi sur ce point.

Les nouvelles sanctions à prévoir

L’article 30. 2 g de MAR prévoit la possibilité pour les autorités compétentes de prononcer l’interdiction provisoire, pour les personnes exerçant des responsabilités dirigeantes dans une entreprise d’investissement ou toute autre personne physique dont la responsabilité est engagée pour le manquement, de négocier pour leur propre compte ou d’exercer des fonctions de gestion au sein d’entreprises d’investissement. Il est également prévu en cas d’abus de marché répété de l’interdiction permanente d’exercer des fonctions de gestion applicable aux personnes précitées.

L’élargissement du manquement d’entrave

MAR énonce par ailleurs qu’un refus de coopérer ou d’obtempérer dans le cadre d’une enquête, d’une inspection ou d’une demande des services de surveillance d’un régulateur doit pouvoir être considéré comme une violation de ses dispositions et donc faire l’objet d’une mesure du régulateur ou d’une sanction prononcée par lui. Actuellement, l’article L. 621-15 II f) du code monétaire et financier prévoit seulement la possibilité de sanctionner administrativement un manquement d’entrave commis lors d’une enquête. Le refus de coopérer dans le cadre d’un contrôle est uniquement prévu par l’entrave pénale (article L. 642-2 du code monétaire et financier). L’article L. 621-15 sera donc complété pour faire référence aux contrôles.

[ 1 ] Établissements financiers ayant mis en place une barrière à l’information, société ayant confié la conduite des opérations de rachat à un établissement financier qui intervient sur le marché sans être influencé par l’émetteur.

[ 2 ] Multilateral trading facilities et organised trading facilities sont des notions définies dans la directive MIF II

[ 3 ] Marché de croissance des PME. Concept introduit par MIF 2 Art 33