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Réunion du Conseil scientifique de l'AMF - 12 octobre 2020

Le Conseil scientifique s’est réuni le 12 octobre 2020. La séance était structurée autour de deux interventions : Catherine Casamatta (Professeur, Toulouse School of Economics) s’est penchée sur la question de la valeur fondamentale des crypto-actifs, tandis que Philippe Guillot (Directeur, Direction des marchés de l’AMF) et Mathieu Rosenbaum (Professeur, École Polytechnique) ont présenté un modèle innovant de négociation sur plateforme, à mi-chemin entre le carnet d’ordre et les enchères périodiques.

Valorisation du Bitcoin à l’équilibre

Catherine Casamatta et ses co-auteurs (B. Biais, C. Bisière, M. Bouvard et A. Menkveld) proposent un nouveau cadre théorique pour analyser la dynamique de la demande et du prix des crypto actifs. Les auteurs soulignent que les crypto-actifs ont des avantages comparatifs par rapport à une monnaie ayant cours légal, notamment dans des pays où le système monétaire est défaillant (Venezuela, Zimbabwe) ou lorsque l’État impose des restrictions sur la circulation des capitaux (Chine). Pour autant, ces avantages s’accompagnent de coûts importants : convertibilité limitée en devises traditionnelles, coûts de transaction sur les marchés de change, taux d'acceptation plus faible par les commerçants, frais liés au mining, ou encore coûts liés aux fraudes et au piratage. De fait, un apport de cet article est de raisonner en tenant compte des bénéfices d’usage nets des crypto-actifs.

Les auteurs s’appuient sur le cadre théorique du modèle à générations imbriquées. Deux types d’investisseurs interagissent : les jeunes qui épargnent et consomment, et les personnes âgées qui désépargnent et consomment. Ces agents peuvent échanger des devises traditionnelles (comme le dollar) et un crypto actif. Ils choisissent de manière rationnelle leur demande de crypto monnaie en fonction de leurs attentes concernant les prix futurs et les bénéfices nets de cette détention.

Dans un second temps, le modèle est testé sur données réelles. Les auteurs reconstruisent une série chronologique de prix des bitcoins de juillet 2010 à décembre 2018 en compilant les données de 20 plateformes et élaborent des séries capturant les frais de transaction consentis par les investisseurs, la facilité d’échange avec les devises et la capacité à régler des transactions en bitcoin. Les auteurs recueillent enfin des données sur les vols et les piratages de bitcoin pour obtenir une mesure des pertes.

Conformément aux prédictions du modèle, le rendement requis par l’investisseur décroît avec les bénéfices de transaction et croît avec la difficulté à échanger les bitcoins contre des devises. Par ailleurs, les auteurs montrent que, en 2010, la contribution des coûts induits par les difficultés à échanger dans le rendement quotidien requis était très significatif, et a diminué par la suite. De leur côté, les bénéfices transactionnels ont augmenté en cours de période, conduisant à une baisse des rendements requis. Enfin, les auteurs montrent que les fondamentaux n’expliquent qu’une partie marginale des rendements offerts par les bitcoins (moins de 4 %).

Les membres du Conseil insistent sur l’apport de cet article dans la compréhension de la valeur fondamentale du Bitcoin. Ils se demandent si les résultats pourraient être étendus à d’autres types de crypto-actifs (e.g. stable-coins, utility tokens, security tokens…). Ils notent que les crypto-actifs ne remplissent généralement pas toutes les fonctions attendues de la monnaie. Ils s’interrogent aussi sur la capacité des chercheurs à prendre en compte le ‘bénéfice’ provenant des activités illicites dans leur analyse.

Un modèle hybride de plateforme de négociation

Mathieu Rosenbaum, Philippe Guillot et leurs coauteurs (J. Derchu et R. Mastrolia) cherchent à comprendre ce qui caractérise une bonne structure d’appariement des ordres sur les marchés financiers. En particulier, les carnets d’ordres (continuous limit order books, CLOB), qui constituent le modèle dominant sont-ils la meilleure option, ou serait-il préférable de les remplacer par des enchères périodiques (Periodic Auctions, PA) qui pour le moment existent en parallèle ? Les auteurs proposent un modèle de marché hybride appelé ad hoc electronic auction design (AHEAD) qui consiste à faire traiter les agents sur un prix constant (le prix de la dernière enchère), tout en laissant la possibilité à chaque participant de déclencher une nouvelle enchère lorsque le prix ne lui convient plus pour peu qu’il dispose d’un volume d’ordres suffisant.

Le prix efficient de marché ou fair price qui sert de benchmark est représenté par un mouvement brownien. On considère deux types d’acteurs: les investisseurs d’une part et le market maker. Deux investisseurs envoient des ordres (un acheteur et un vendeur) : ils cherchent à rester le plus proche possible de leur objectif (quantité à acheter/vendre respectivement) et à avoir un bon prix d’achat/vente. Pour ce faire, ils peuvent agir sur deux paramètres : la vitesse de trading en accélérant ou au contraire ralentissant son trading et l’instant de déclenchement d’une enchère. On considère aussi un market maker qui n’accepte la transaction en phase continue que s’il arrive à faire un bénéfice par rapport au fair price.

Sous les hypothèses du modèle, on met en évidence un équilibre stable (équilibre de Nash). Les optima à l’équilibre sont calculables numériquement et peuvent être comparés aux utilités dérivées des structures CLOB ou PA. Du point de vue des investisseurs, le mécanisme AHEAD est toujours préférable au CLOB. Pour les gros investisseurs, AHEAD est aussi plus intéressant que les PA. En effet, ceux-ci peuvent réduire leur déséquilibre d’inventaire durant la phase continue et limiter leur impact de marché pendant l’enchère, qu’ils peuvent déclencher dès que nécessaire. Pour les petits investisseurs, AHEAD est aussi le mécanisme à privilégier à condition que ces investisseurs soient tout de même suffisamment important pour que le coût de déclenchement de l’enchère reste raisonnable en terme de volume d'ordres de leur point de vue. Un très petit investisseur préférera quant à lui le mécanisme des PA. Notons enfin que dans un contexte AHEAD, le prix de clearing de l’enchère est proche du prix efficient et la volatilité du prix de marché est ainsi réduite.

Les membres du Conseil félicitent les auteurs pour leur travail sur l’analyse d’un nouveau type de plateforme d’échanges qui pourrait limiter la course à la vitesse sur le carnet d’ordre ainsi que la procyclicité des markets makers en période de crise néanmoins ils se demandent comment calibrer les différents paramètres du mécanisme tels que la taille minimale pour déclencher une enchère ou la durée de la phase d’enchères. Enfin, ils invitent les auteurs a vérifier que les bonnes propriétés d’AHEAD sont conservées dans différents régimes de volatilité.