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Réunion du Conseil scientifique de l'AMF - 16 novembre 2023

La séance du Conseil scientifique de l’AMF du 16 novembre 2023 s’est organisée en deux sessions. La première a traité des risques de passifs des institutions bancaires et non-bancaires et a bénéficié de l’intervention de Guillaume Vuillemey (HEC) et Marie Hoerova (BCE). La deuxième session a été consacrée aux écarts de valorisation du risque climatique entre marchés primaire et secondaire des obligations d’entreprise. Sébastien Pouget (Toulouse School of Economics) a présenté les résultats de ses travaux sur le sujet tandis que Thierry Roncalli (Amundi) a introduit le débat sur la thématique.

Risques de passifs des institutions bancaires et non-bancaires

Guillaume Vuillemey a présenté les résultats de ses travaux en cours "From the saving glut to financial instability: Evidence from the Silicon Valley Bank (SVB) failure". Il fait état d’une hausse massive des dépôts bancaires d’entreprises concentrées dans des actifs intangibles et des dépôts des ménages les plus fortunés. L’excédent d’épargne qui en résulte aurait amplifié l’instabilité bancaire. En effet, cette surabondance s’est concentrée dans les dépôts non-garantis (qui ont atteint un niveau historique en pourcentage du PIB), contribuant à expliquer le run sur SVB en mars 2023. L’exposition plus forte sur ces dépôts a signalé une fragilité plus générale des banques américaines. Il en a résulté des baisses particulièrement prononcées des cours des titres des entités bancaires nord-américaines au moment de la faillite de SVB.

L’étude souligne ainsi la vulnérabilité des passifs bancaires au poids croissant des dépôts non-garantis. Dans ce contexte, considérant la production d’actifs sûrs (safe assets) par le système financier, elle souligne la substituabilité entre dépôts bancaires non-garantis et actifs quasi-sûrs non-bancaires (par exemple les fonds monétaires, fonds obligataires) ainsi que le gain à tirer d’une telle substitution (non-bank financing). De possibles prolongements des travaux pourraient mieux caractériser le rôle des réseaux sociaux dans les vulnérabilités identifiées, analyser les modes de financement du secteur technologique et les complémentarités stratégiques, et leur rôle dans les runs tels que celui connu par SVB.

En regard de cette analyse, Marie Hoerova a souligné les vulnérabilités des fonds obligataires et la matérialité du soutien (Lending of last resort, LoLR) des banques centrales à l’industrie de la gestion d’actifs en temps de crise. M. Hoerova a pu s’appuyer sur deux articles "Fund fragility: The role of investor base" (écrit avec N. Allaire, J. Breckenfelder; Oct. 2023) et "Do non-banks need access to the Lender of Last Resort? Evidence from fund runs" (écrit avec J. Breckenfelder) pour structurer sa présentation.

Son examen empirique du passif des fonds obligataires en zone euro montre une procyclicité des flux de détention des porteurs en 2020 consécutivement à la crise du Covid. Une majeure partie des flux de décollecte des fonds obligataires a été attribuable à la détention de ces fonds par d’autres fonds d’investissement. De fait, ces derniers détiennent plus d’un quart de l’actif des fonds obligataires et révèlent une sensibilité spécifique (par exemple aux parts détenues par les fonds de fonds) et prononcée aux chocs de liquidité. M. Hoerova a, par ailleurs, mis en lumière la matérialité du soutien indirect apporté aux fonds en mars 2020 par les programmes de rachat d’actifs de la BCE ouverts aux banques, par le biais des financements bancaires et via le marché du repo.

Les travaux de M. Hoerova s’inscrivent dans un courant d’analyse des causes des flux de décollecte des fonds. Ils  appellent à prolonger l’identification des types de fonds obligataire, notamment pour mieux évaluer la mesure dans laquelle ils sont liés à une transformation de liquidité[1]. Ils appellent également à caractériser leurs stratégies à l’actif (une règle fixe d’allocation aux différentes classes d’actifs peut naturellement amener à rééquilibrer son portefeuille dans les circonstances de marché considérées) et de leur allocation finale pour mieux comprendre les causes ultimes de ces décollectes.

Valorisations de marché du risque climatique

Dans la seconde session, Sébastien Pouget a présenté ses travaux en cours avec D. Kim sur le papier "Do carbon emissions affect the cost of capital? Primary versus secondary corporate bond markets". 

L’étude analyse l’influence des émissions de carbone sur le coût du capital des entreprises américaines. L’originalité de l’approche tient dans la mesure et la comparaison des primes de risque sur les marchés primaires et secondaires des obligations d’entreprises sur un panel de 229 entreprises et 3 687 obligations émises et échangées de 2005 à 2022. Les auteurs ont comparé ainsi la « prime carbone » d’une obligation sur le marché primaire à celle d’autres obligations émises par une même société et traitées sur le marché secondaire le même jour, tout en contrôlant pour les caractéristiques des obligations et des émetteurs (risque de liquidité, de crédit, maturité de l’obligation, secteur d’activité, notation, etc.).

Il ressort de l’analyse que le spread sur le marché primaire des obligations des émetteurs "verts" est plus élevé de 2,4 points de base (bp) que celui des émetteurs "bruns[2]". En revanche, le spread équivalent sur le marché secondaire est de l’ordre de 17 bp. Ainsi, la prime carbone est de 14,6 bp supérieure sur le marché secondaire. Autrement dit : le marché primaire valorise moins de 15 % de la prime carbone. Les auteurs estiment que la valorisation de la prime carbone est maximale 8 mois après l’émission.

S. Pouget et son co-auteur expliquent ce résultat par le fait que la sensibilité des investisseurs au changement climatique varie, ce qui affecte davantage la valorisation des obligations d’entreprises vertes, l’inquiétude climatique étant par ailleurs assez volatile. Une autre explication tiendrait à une concurrence imparfaite sur le marché primaire, alors que le marché secondaire tend vers un prix d’équilibre mieux informé. Les intervenants du marché primaire seraient moins agressifs et moins sensibles aux préférences vertes que les intervenants du marché secondaire. La moindre valorisation de la prime carbone sur le marché primaire pourrait être un élément explicatif de la faible incidence des investissements socialement responsables (ISR) sur la réduction des émissions de carbone. Les auteurs recommandent ainsi de revoir la structure concurrentielle du marché primaire des obligations d’entreprise et encouragent les investisseurs « verts » à participer au marché primaire.

La discussion s’est concentrée sur les difficultés d’identification des entreprises vertes et brunes. À titre indicatif, la distribution des émissions de carbone des plus grandes capitalisations (MSCI World) n’est pas aussi dispersée que ce que l’on peut attendre. Par ailleurs, T. Roncalli évoque des biais dans le reporting des données d’émission. Enfin, la discussion a rappelé la corrélation positive entre empreinte carbone et investissements verts des émetteurs. En effet, les sociétés qui émettent le plus sont aussi celles qui investissent le plus dans la transition énergétique. Il convient donc de s’interroger, au-delà des imperfections de marché, sur les incitations données aux acteurs et leur contribution aux objectifs ultimes de décarbonation du système productif.

[ 1 ] Processus par lequel un intermédiaire financier adosse l’émission de titres liquides, typiquement de dette à court terme, à la détention d’actifs qui le sont peu, tels que des actifs réels (e.g. immobiliers), non cotés, ou des prêts.

[ 2 ] Par opposition aux émetteurs verts, les sociétés « brunes » sont celles qui émettent relativement plus de carbones. Dans l’article, il s’agit des émetteurs dont les émissions dépassent la médiane du secteur.