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Réunion du Conseil Scientifique de l'AMF - 18 juin 2024

La séance du Conseil Scientifique de l’AMF du 18 juin 2024 s’est articulée autour de deux sessions.

Lors de la première, Stéphane Crépey (Université Paris Cité) et Wenqian Huang (Banque des Règlements Internationaux) ont présenté leurs travaux respectifs sur la gestion des risques des chambres de compensation.

Lors de la seconde, Laurent Barras (Université du Luxembourg) a présenté une étude publiée en avril 2024 dans le Journal of Financial Economics analysant la performance des hedge funds. La discussion de ces travaux par le Conseil a été introduite respectivement par Guillaume Vuillemey (HEC) et Gunther Capelle-Blancard (Université Paris 1).

"Central counterparty clearing and liquidity risk management"

Stéphane Crépey (Université Paris Cité) a présenté l’étude "Resolving a clearing member: A Radner equilibrium approach" co-écrite avec D. Bastide, S. Drapeau et M. Tadesse dont l’objet est de préciser et optimiser les modalités de résolution par une chambre de compensation (CCP) des défauts de ses membres compensateurs. Le modèle théorique tient en particulier compte :

  • de la couverture éventuelle (hedging) par la CCP ex ante des risques de défaut de ses membres ;
  • des modalités de cession des actifs du membre en défaut, soit par vente aux enchères, soit par liquidation des positions sur le marché.

Le modèle considère également la multiplicité des marchés sur lesquels les actifs concernés sont susceptibles d’être cédés, l’impact de marché de la vente des actifs, et le coût du risque de crédit des contreparties des enchères. L’étude évalue sur ces bases les coûts et avantages des différentes modalités de vente des actifs par la CCP. Il en ressort que :

  • la liquidation résout le plus rapidement le défaut d’un membre d’une CCP, mais elle peut, dans des marchés stressés, être affectée par des phénomènes de sélection adverse ;
  • les enchères exigent de mobiliser des dealers, en principe solvables, les plus à même de se pré-engager sur les offres (bids) les plus élevées. Elles prennent toutefois plus de temps à organiser ;
  • la couverture des positions des membres avant le défaut accroît les chances de réussite des enchères.

La présentation par Wenqian Huang (BRI) de l’étude « Liquid assets at CCPs and systemic liquidity risks », co-écrite avec I. Aldasoro et J. F. Avalos, a posé les bases empiriques de l’analyse des risques des CCP. Elle examine d’abord la volumétrie et la structure de la compensation centrale par grandes régions (États-Unis, Europe, Asie). Globalement, les CCP détiennent 1 300 milliards de dollars d’actifs liquides, sous forme de marges initiales et de fonds de garanties (default funds). Les dérivés négociés en bourse (ETD) et les dérivés de taux d’intérêt (IRD) concentrent largement ces expositions, avec respectivement 37 % et 35 % du total du collatéral déposé. Bien que très concentrées, les CCP collectent des garanties (du collatéral) très différentes selon les régions. Ainsi, les titres souverains sont majoritaires dans la composition du collatéral des CCP européennes et américaines, tandis que les dépôts (auprès des banques centrales, garantis ou non) le sont dans les CCP d’Asie-Pacifique.

Plusieurs risques sont soulignés :

  • le risque de flight-to-safety : une hausse des dépôts auprès de la Fed pour les CCP des États-Unis a été observée dans les conditions de marché tendues (aux T1 2020 et T1 2022) et lorsque le spread entre taux repo et taux overnight a diminué ;
  • le risque de pro-cyclicité des appels de marge des CCP. Les variations de prix et de volatilité des titres souverains ont des effets sur les marges initiales exigées. Le risque est alors celui d’un "deleveraging", c’est-à-dire d’une hausse des exigences de marge initiale induisant des clôtures de positions et des ventes d’actifs pro-cycliques. Il est lié aussi au double rôle des titres souverains comme collatéral et comme sous-jacent de produits dérivés et de transactions repo [1].

Wenqian Huang a rappelé que les CCP fixent la nature du collatéral déposé, et ce d’autant plus librement qu’elles ne sont pas en concurrence entre elles. La réglementation peut cependant avoir une influence sur la nature de ce collatéral. EMIR, par exemple, plafonne à 5 % la part des dépôts non garantis dans les marges initiales.

La discussion introduite par Guillaume Vuillemey (HEC) a salué la qualité et la complémentarité des études présentées, soulignant en général l’intérêt de la compensation centrale pour la gestion des risques, en dépit des vulnérabilités évoquées. Des questions ont porté sur la "fonction objectif" de la CCP dans le modèle théorique présenté. Une maximisation du profit n’y apparaît en effet que quand elles mettent en place des stratégies de couverture et agissent en tant que participant de marché. Au-delà, la possibilité d’utiliser le modèle comme base d’un programme de maximisation du bien-être social (de l’ensemble des parties prenantes) lors de la résolution du défaut d’un membre a été évoquée. Les membres ont aussi noté que la résolution par enchères semble préférable à la liquidation, qui ressort donc plutôt comme une option secondaire, lorsque des enchères ne peuvent pas être organisées.

D. Bastide (BNP Paribas) a indiqué que le développement de modèles théoriques de ce type est très utile en pratique aux membres de chambres de compensation pour gérer leurs expositions aux risques des CCP. De façon prospective, les grandes banques sont exposées à la plupart des CCP dans le monde, et il s’agit pour elles de mieux tenir compte des interconnexions entre CCP en cas de défaut d’un membre.

Performance des fonds d'investissement

L’étude présentée par Laurent Barras ("Is it alpha or beta? Decomposing hedge fund returns when models are misspecified" avec D. Ardia, P. Gagliardini, O. Scaillet, Journal of Financial Economics 154, Apr. 2024) propose une nouvelle méthode d’estimation et de comparaison des performances des hedge funds. L’analyse montre que les principaux modèles en usage ne permettent pas – ou guère plus que le modèle d’évaluation des actifs financiers de base (CAPM) – de séparer l’alpha (valeur ajoutée spécifique du gérant) du beta (effet de marché plus général) lors de l’analyse de la performance des fonds. L’évaluation des performances des fonds est donc affectée par de mauvaises spécifications systématiques, omettant des facteurs et biaisant les estimations. L’étude met ici en évidence l’incidence directe de certains facteurs traditionnellement omis des modèles standards sur la performance des hedge funds, en particulier des facteurs indiquant la mise en œuvre de stratégies dites de momentum, de variance/vente à découvert, et de carry.

Cette correction accroît l'importance du béta comme facteur de performance des hedge funds, et le situe à un niveau proche de celui des OPCVM. L’approche capte aussi la forte hétérogénéité des fonds en estimant la décomposition alpha/beta fonds par fonds. L’intérêt du modèle ne se limite d’ailleurs pas aux hedge funds : il peut s’appliquer aussi aux autres types de fonds et de stratégies.

Au cours de la discussion introduite par Gunther Capelle-Blancard (Université Paris 1), les membres se sont accordés pour reconnaître la grande qualité de l’étude présentée. Parmi les axes de prolongement de l’analyse, ils ont évoqué la possibilité de prendre en compte la rémunération des gérants de hedge funds, en particulier les performance fees. Selon Laurent Barras la performance et les compétences des gestionnaires ne sont pas nécessairement corrélées, et l’intérêt d’une analyse conjointe reste à confirmer. En outre, les commissions de performance fluctuent et, souvent négociées par les investisseurs en hedge funds, sont mal documentées ce qui peut limiter la portée des travaux empiriques. Il serait intéressant aussi de considérer la mesure dans laquelle la performance dépend du lien entre le ratio de valorisation des actions (PER ou price earning ratio) et la propension des hedge funds à investir en actions. Dans la lignée des précédents travaux sur les mutual funds, prolonger la réflexion sur la valeur ajoutée spécifique des hedge funds parmi les fonds d’investissement constitue un axe de recherche prometteur.

Laurent Barras a souligné que la méthode peut être appliquée à d’autres classes de fonds, notamment aux fonds quantitatifs/algorithmiques dont les managers automatisent les règles de gestion, ainsi qu’à d’autres types de fonds d’investissement alternatifs comme les fonds de private finance (private equity, private debt). Cependant, pour ces derniers, le nombre limité d’observations disponibles – la faible fréquence de valorisation des fonds, par exemple annuelle pour certains fonds de private equity – est contraignant. Enfin, l’auteur a évoqué la grande hétérogénéité des alphas et l’exposition homogène et élevée aux facteurs de risques : les hedge funds ne seraient donc pas aussi hétérogènes qu’attendus. Ceci conduit à reconsidérer en profondeur la stratégie optimale d’allocation d’actifs des investisseurs en hedge funds.

[ 1 ] Une hausse de la demande de collatéraux augmente le prix de la liquidité, des obligations souveraines ici, et donc des instruments financiers dont ce collatéral est sous-jacent.