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Réunion du Conseil scientifique de l’AMF – 2 février 2022

La séance était structurée autour de deux interventions. Paul Karehnke (ESCP Business School, lauréat 2022 du Prix du jeune chercheur AMF) a présenté un article portant sur les potentiels krachs associés aux stratégies de gestion du type momentum. La discussion était assurée par Stéphane Crépey (Université de Paris LPSM). Marie-Hélène Broihanne (Université de Strasbourg) a présenté un document de travail analysant la perception subjective de l’éducation financière en fonction du genre au sein d’un couple. La discussion était assurée par Serge Darolles (Université Paris-Dauphine PSL).

Les stratégies momentum peuvent-elles expliquer les krachs boursiers ?

Paul Karehnke et ses co-auteurs (Pedro Barroso et Roger M. Edelen) s’intéressent au potentiel déstabilisateur de la stratégie « suiveur » (momentum) mise en œuvre par de nombreux investisseurs institutionnels. La littérature académique a émis l’hypothèse que, dans le cas où ils seraient trop nombreux, les investisseurs momentum (i.e. qui poursuivent une stratégie visant à acheter les titres qui ont sur-performé récemment, et à vendre ceux qui ont sous-performé) peuvent amplifier les signaux de bonne/mauvaise performance initialement détectés par les investisseurs informés, et ainsi éloigner significativement les prix de la valeur fondamentale des actifs ce qui peut générer des bulles spéculatives. En clair, une bonne performance passée implique que les investisseurs momentum achètent le titre, ce qui peut faire monter le prix s’ils sont suffisamment nombreux, améliorant de ce fait la performance et attirant d’autres investisseurs momentum. Evidemment, plus la stratégie est suivie par de nombreux investisseurs (on parle de stratégie « encombrée », ou crowded), plus le potentiel déstabilisateur est important.

Les auteurs analysent donc l’hypothèse selon laquelle l’accumulation d’investisseurs sur la stratégie momentum peut induire un risque de krach (i.e. des rendements dans la queue de la distribution, tail risk). L’article se décompose en deux grandes parties :

  • la première, théorique, explicite au moyen d’un modèle simplifié à deux périodes et trois types d’investisseurs (informés, momentum, contreparties) les hypothèses (fortes) sous lesquelles le crowding peut induire un risque de krach. En particulier, il apparaît que les momentum crashes ne peuvent se produire que si les agents économiques ignorent totalement les effets de rétroaction. Dans le cas général et sous des hypothèses standards, en revanche, les momentum crashes semblent improbables.
  • la seconde partie de leur analyse est empirique. Les auteurs construisent des indicateurs permettant de mesurer directement la proportion d’investisseurs momentum en recourant aux reportings règlementaires trimestriels 13f (titres en portefeuilles des investisseurs institutionnels) de la Securities and Exchange Commission américaine (SEC). La base de données couvre la période 1980-2015. En comparant les portefeuilles entre deux fins de trimestre, il est possible de voir quels titres ont été achetés, et quels titres ont été vendus. En analysant les cessions et les achats à l’aune de la performance passée des titres sur la période récente, on peut ainsi déterminer si l’investisseur a suivi une stratégie momentum.

Plusieurs variables de crowding sont construites et testées (nombre d’investisseurs momentum, encours cumulé des investisseurs momentum, volumes d’échanges par les investisseurs momentum), chacune de ces mesures de crowding étant appliquée soit aux titres individuels, soit à un portefeuille momentum synthétique. Les régressions économétriques montrent que le crowding ne permet pas de prédire le risque de krach. Si les moyennes de la distribution des rendements sont réduites par le crowding (i.e. les rendements de la stratégie sont en moyenne plus faibles lorsqu’il y a plus d’investisseurs qui la suivent), il n’est pas possible de mettre en évidence une augmentation de la volatilité ni une diminution des moments supérieurs de la distribution (skewness et kurtosis), ce qui ne concorde pas avec l’hypothèse de queue négative épaisse.

Les membres du conseil scientifique ont félicité Paul Karehnke pour l’obtention du Prix, et ont souligné l’intérêt du travail pour le régulateur. Ils ont insisté sur le caractère innovant des proxies utilisés pour mesurer le crowding effectif et ont estimé que les analyses en régression montraient de manière convaincante que le crowding induit bien une réduction des rendements de la stratégie momentum, mais ne permet pas de prédire le risque de krach.

Ils ont souhaité ouvrir la discussion sur les implications de l’analyse en termes de politique de régulation (quelles leçons tirer ? Quelles mesures prendre ?) et se sont demandés quelles explications alternatives au phénomène de krach pourraient être avancées puisque l’explication par le crowding du momentum est écartée. Les membres du Conseil se sont aussi demandé si les stratégies momentum concernaient tous les actifs ou seulement les actions les plus liquides auquel cas une partie des résultats pourrait être liée au coût de la liquidité. Ils ont par ailleurs souligné que les comportements de gestion avaient fortement évolué sur la longue période d’étude, ce qui pourrait avoir eu un impact sur la composition du groupe des investisseurs momentum. Sur le plan théorique, ils se sont demandés si une partie des résultats ne pouvait pas être due au cadre d’analyse qui suppose que la valeur réelle des actifs est totalement connue en période 2 (effets de bords) et ont suggéré d’envisager un modèle dynamique.

La perception subjective de l’éducation financière en fonction du genre au sein d’un couple

L’article présenté s’intéresse à l’écart entre les genres en matière d’éducation financière dans des couples. L’éducation financière est ici mesurée de manière subjective, d’après une auto-évaluation, car elle serait mieux à même d’expliquer les décisions financières plus que le niveau d’éducation financière définie de manière plus objective à partir d’un questionnaire sur les connaissances. En effet, dans un couple, la personne qui prend les décisions financières est celle qui est perçue comme la mieux informée sur ces questions, quel que soit son niveau réel de connaissances en matière financière.

Marie-Hélène Broihanne utilise les données personnelles et bancaires ainsi que les réponses au questionnaire MIFID de plus de 50 000 clients d’une grande banque européenne. Plus des deux tiers d’entre eux déclarent vivre en couple. Marie-Hélène Broihanne s’intéresse plus spécifiquement aux données relatives à plus de 7 300 couples hétérosexuels ayant un compte joint et chacun un revenu. Ces données sont d’une grande richesse car très granulaires. Elles permettent de caractériser de manière fine les individus (genre, nationalité, lieu de résidence, diplôme, profession, situation familiale, niveau de revenu…) et la manière dont ils répondent au questionnaire MIFID (seuls ou avec leur conjoint). Les caractéristiques des couples ne sont pas significativement différentes du reste de l’échantillon en termes démographiques et sociaux. En revanche, au sein des couples, les hommes ont un niveau d’éducation plus élevé.

Un score d’éducation financière est calculé pour les individus, à partir de leur réponse au questionnaire MIFID relatif à leur perception des risques sur différents marchés. D’une manière générale, les individus estiment avoir une meilleure connaissance des risques associés aux actions et obligations que pour d’autres produits financiers. Par ailleurs, c’est pour la connaissance du marché des actions que les différences de genre sont les moins élevées.

Il apparaît que les écarts de genre en matière d’éducation financière sont plus importants pour les couples que pour les personnes célibataires. En revanche, le niveau subjectif d’éducation financière est plus élevé pour les couples.

Au sein des couples, l’écart de genre est moins important si les conjoints répondent ensemble au questionnaire. En revanche, le niveau de leur culture financière est plus élevé lorsque les conjoints répondent séparément. Seulement 30 % des couples présentent des différences dans le niveau subjectif d’éducation financière. Dans 2/3 des cas, le niveau de la femme est inférieur à celui de l’homme.

Enfin, la manière dont les conjoints gèrent leur argent (compte-joint vs. séparé ; individu intervenant majoritairement sur le compte) est associé aux différences de genre dans le couple. Un couple qui présente des niveaux d’éducation financière similaires aura tendance à gérer son argent de manière commune. À l’inverse, les couples dans lesquels l’un des conjoints gère les finances sera caractérisé par un niveau d’éducation financière supérieur du conjoint en question.  Ces écarts de genre sont associés à des différences dans le niveau d’éducation et des niveaux de revenus au sein des couples.

Les membres du Conseil scientifique ont souligné les nombreux intérêts de l’étude :  taille de l’échantillon analysé, nature des données (exploitation des questionnaires MIF), estimation des écarts de genre au sein des couples en matière d’éducation financière. Fait notable, ces écarts sont ensuite reliés à la manière dont s’effectue la gestion financière au sein du couple. Ils se sont interrogés sur l’interprétation à donner aux statistiques sur les écarts de genre au vu de la méthode de construction de la variable d’auto-évaluation financière (variable discrète ordonnée). Ils se sont demandés si la caractérisation des couples via l’existence d’un compte-joint était toujours pertinente au vu des évolutions sociétales. La pertinence du questionnaire MIFID pour évaluer objectivement le niveau d’éducation financière a aussi été questionnée et plusieurs membres ont insisté sur l’influence des conditions dans lesquelles le questionnaire était administré (par exemple l’orientation des réponses par le conseiller, un questionnaire par couple ou pour chacun des individus qui le composent). Ils suggèrent par ailleurs d’introduire des variables de contrôle additionnelles dans les régressions économétriques.