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Réunion du Conseil Scientifique de l'AMF - 25 novembre 2024

La séance du Conseil Scientifique de l’AMF du 25 novembre 2024 s’est déroulée en deux sessions. Luc Arrondel et Marie Brière, ont présenté leurs travaux respectifs sur la rationalité des investisseurs particuliers et leurs pratiques d’investissement. Tamara Nefedova  a ensuite présenté une étude en cours analysant les motifs et incidences de l’attribution des introductions en bourse selon les investisseurs institutionnels.

Rationalité et pratiques d’investissement financier chez les particuliers

Luc Arrondel a présenté l’étude « Préférence rationnelle pour le présent et horizon de vie », co-écrite avec A. Masson.

L’étude plaide pour une meilleure prise en compte de la préférence individuelle pour le présent, c’est-à-dire de la tendance à favoriser leur bien-être immédiat plutôt que différé, là où la littérature classique tend à la percevoir comme une anomalie, du moins un biais. En effet, l’observation confirme la matérialité de l’impatience à court terme des particuliers et de l’incohérence temporelle de leurs préférences La théorie du cycle de vie, retenue par les auteurs, intègre des discontinuités dans les préférences liées à la succession de projets. L’étude empirique exploite les enquêtes PATER(1), qui révèlent des préférences temporelles très hétérogènes entre individus, mais stables de 2007 à 2020. Sur cette base, l’analyse (par « scoring ») établit une relation entre la préférence pour le présent et l’importance des projets en cours. Les résultats indiquent que l’héritage d’un patrimoine, , le niveau de revenu, le diplôme, l’éducation financière, l’âge, ou le fait d’être une femme ou d’être marié sont négativement corrélés à la préférence pour le présent, mais seuls l’âge et le mariage présentent une causalité vraiment significative Le conseil en investissement devrait donc considérer les rationalités subjectives et arbitrer finement entre préservation de l’intérêt à long terme du client et respect de ses motivations actuelles.

Les chocs exogènes, aussi, sont importants, comme le montre l’impact persistant du Covid sur le taux d’épargne en Europe. De même, les crises économiques, les tensions géopolitiques ou catastrophes naturelles influencent les comportements. Une gestion intermédiée de l’épargne longue, souple et personnalisée, devrait avant tout viser à objectiver les choix du client. Deux recommandations de politique publique sont avancées : l’une pour remédier au défaut d’assurance du risque de dépendance (dont l’impact négatif sur le patrimoine est fort) ; l’autre, pour allonger l’horizon de l’épargne (très liquide) des seniors, qui concentrent la détention d’épargne (60 % du patrimoine financier comme non financier, est détenu par les plus de 60 ans).

La présentation par Marie Brière  de l’étude « Human-robot interactions in investment decisions » co-écrite avec M. Bianchi, propose d’évaluer le potentiel des robo-advisors pour corriger les biais sous-jacents aux décisions d’investissement des particuliers. Ceux-ci se caractérisent par : la faiblesse de la participation des ménages et de la diversification des portefeuilles ainsi que les limites de l’éducation financière et de l’attention des investisseurs individuels. Par ailleurs, les particuliers sont aussi exposés aux biais des conseillers (par exemple en défaveur des femmes).

L’objectif des robo-advisors, plateformes de conseil financier en ligne, est de proposer une allocation de portefeuille sur la base du profil client. Ainsi, le robo-advice vise à réduire les biais (genre, âge) et à offrir du conseil aux particuliers dépourvus d’accès à un conseiller humain. L’offre étudiée distingue deux types de robo-advice : soit le portefeuille est rééquilibré automatiquement sans intervention du client ; soit ce rééquilibrage est proposé au client, et la décision d’y procéder lui revient.

L’analyse empirique examine 14 576 "robo-takers" et trois échantillons de 20 000 personnes parmi les 1,2 million de bénéficiaires de plans d’épargne salariale :

  • pour le premier, parmi les clients à qui l’offre de robo-advice n’a pas été présentée ;
  • pour le second, parmi les clients n’ayant pas exprimé d’intérêt pour cette offre ;
  • et pour le troisième, parmi les "robo-curious" c’est-à-dire exprimant un intérêt pour le service sans y donner suite.

Il est noté que, malgré un coût inférieur au conseil donné par des humains, le robo-advice souffre d’une aversion aux algorithmes : peu utilisé, en général, il est surtout adopté par des jeunes. Cependant, il inspire relativement plus confiance quand l’investisseur reste décisionnaire in fine.

L’étude conclut que l’adoption du robo-advice accroît l’attention des clients (complémentarité), leurs expositions au risque (+3 %), leur trading/rééquilibrages, et le rendement de leur portefeuille (+2 % par an net de frais(2)).

La discussion introduite par Marie-Hélène Broihanne a salué la complémentarité et l’utilité actuelle des études présentées.

L’étude de l’incohérence temporelle des préférences est d’autant plus utile que la littérature qui évalue la préférence pour le présent à partir du taux d’intérêt lui donne moins de poids. Le lien négatif entre demande d’actions et âge des investisseurs soulève des questions, l’intérêt pour les actions étant toutefois surtout lié à l’aversion au risque (peu à la préférence pour présent). Plus généralement, prendre en compte la préférence pour le présent spécifiquement, et séparément de l’aversion au risque, semble recommandable. Plusieurs prolongements des travaux présentés paraîtraient utiles, par exemple pour approfondir l’analyse de la période du Covid (cf. enquête PATER du printemps 2020), ou sur les placements intergénérationnels, ou encore sur l’effet de l’interdiction des PER aux moins de 18 ans.

Concernant le robo-advice, le Conseil s’interroge notamment sur l’optimalité des allocations proposées (la question de l’allocation optimale restant largement ouverte) les rééquilibrages (une difficulté des robo-advisors étant d’inciter à l’achat dans des marchés baissiers) les frais de transaction et les incitations des intermédiaires offrant ce service. Par ailleurs, une prise en compte de l’actionnariat salarié (l’investissement en actions de l’entreprise sponsor n’étant pas proposé par le robo-advisor) serait instructive. Un possible biais de sélection mérite d’être examiné, les entreprises de certains secteurs (en particulier technologiques dont les salariés peuvent avoir un rapport différent à l’IA) étant surreprésentées. Comparer les résultats avec ceux, complémentaires, de l’examen d’un robo-advice non financier, ou ceux d’expériences de finance comportementale serait utile. De fait Marie Brière a déjà initié des travaux en laboratoire de cette nature. L’examen de la sensibilité des résultats au type d’épargne (PEE, PERCOL) suggéré par le Conseil, sera par ailleurs également considéré.

Motifs et incidences de l’attribution des introductions en bourse aux différents types d’investisseurs institutionnels

L’étude présentée par Tamara Nefedova ("On the origin of IPO profits" avec D. Brown et S. Kovbasyuk) examine les déterminants de l’attribution des introductions en bourse (IPO) aux investisseurs institutionnels et les profits substantiels qu’ils en tirent. L’auteur rappelle, en éléments de contexte, que les IPO sont en moyenne sous-évaluées (ici jusqu’à 15 %). Pour les émetteurs, ces profits ont principalement pour objet de rémunérer l’apport d’information lors de l’IPO et d’inciter à former un actionnariat stable, c’est-à-dire à qui conserver les titres à long terme. Plus généralement, trois facteurs motivent l’attribution es IPO : la révélation par les investisseurs d'information au marché, les motifs de liquidité et de négociation post-IPO des investisseurs, et les arrangements entre contreparties (commissions perçues).

L’échantillon considéré comprend 1 612 IPO, soit 2 982 attributions à 319 investisseurs institutionnels de 1999 à 2010, réalisées aux États-Unis (l’information plus récente ou sur d’autres juridictions est largement indisponible). La base de données repose aussi sur le croisement des multiples sources pertinentes, notamment sur les portefeuilles des investisseurs (gérants d’actifs, fonds spéculatifs, banques, fonds de pension et assureurs), les commissions prélevées lors des IPO et les transactions des investisseurs. Une forte hétérogénéité des investisseurs est constatée, par exemple en termes de taille, et il ressort que 10 % des investisseurs concentrent 80 % des attributions.

La conclusion principale de l’étude est que le motif informationnel explique le plus et le mieux les bénéfices tirés des IPO et la probabilité pour un investisseur de recevoir une attribution. Les motifs liés aux perceptions de commissions et au trading post-IPO n’influent que peu. En effet, les variables indicatrices (proxies) de la fourniture d'information sont même les seules à être systématiquement associées à la taille et à la rentabilité des attributions de manière significative économiquement et statistiquement.

Au cours de la discussion, les membres ont reconnu la richesse de la base de données mobilisée, ainsi que l’intérêt des résultats, qui confirment que les investisseurs sont avant tout récompensés pour transmettre de l’information aux banques d’affaires et au marché. Compte tenu de la difficulté de distinguer la transmission de la production d’information, Sébastien Pouget propose un indicateur additionnel pour identifier la mesure dans laquelle les investisseurs en IPO sont informés : une active share inspirée de Cremers et Petajisto (2009), qui apprécierait la distance du portefeuille de l’investisseur au portefeuille de marché. Une mesure du risque pourrait d’ailleurs également être introduite. Au-delà, le Conseil scientifique souligne l’intérêt de prendre en compte les spécificités des émetteurs et s’interroge sur la période pertinente d’observation des transactions post-IPO : les fonds prennent souvent des participations plusieurs mois après l’IPO lorsque le prix initial est considéré comme excessif. Par ailleurs, la formation des prix post-IPO pourrait aussi justifier une analyse complémentaire de microstructure du marché, notamment pour examiner le caractère stratégique de la formation du prix post-IPO : la dynamique (de hausse) des prix observée doit-elle être attribuée à l’impact de marché des transactions ou à un partage d’information, le marché s’accordant sur l’évolution du cours ? L’impact sur le marché secondaire des rationnements d’attributions sur le marché primaire mériterait aussi d’être examiné.

Au regard de la robustesse des conclusions de l’étude, des prolongements examinant les contextes de marché actuels et européen seraient aussi particulièrement utiles, compte tenu des évolutions observées ces dernières années. On a, en particulier, constaté une raréfaction des IPO aux États-Unis comme en Europe – de façon symptomatique, les fonds d’IPO ont disparu. Cette évolution est concomitante au développement des marchés privés. Pour étudier l’impact de ces phénomènes, un accès à des données, à ce jour inaccessibles aux chercheurs, serait nécessaire.

[ 1 ] PATrimoine et préférences vis-à-vis du TEmps et du Risque.

[ 2 ] Le tarif de l’offre, initialement faible, puis nul, a permis de constater une insensibilité de la demande au coût du robo-advice.