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Réunion du Conseil scientifique de l'AMF – 4 octobre 2022

La séance du Conseil scientifique de l’AMF du 4 octobre 2022 était structurée autour de deux interventions. Guillaume Vuillemey (HEC Paris) a présenté ses recherches sur les origines historiques de la responsabilité limitée des actionnaires. Boris Vallée (Harvard Business School) a exposé les résultats d’un document de travail visant à mesurer les effets du mouvement de désinvestissement des énergies fossiles.

Les origines de la responsabilité limitée

Guillaume Vuillemey s’intéresse aux origines de la responsabilité limitée (les actionnaires ne peuvent pas perdre plus que le montant de leur investissement dans la société) au début du XVIIe siècle et à son développement au XIXe siècle en Angleterre. À l’origine, la responsabilité limitée était considérée comme un privilège octroyé par des chartes gouvernementales. Les entreprises qui en bénéficiaient étaient en nombre limité. Le cas général était celui de la responsabilité « illimitée » qui n’incitait pas des investisseurs non informés à investir dans les titres. En effet, l’absence de responsabilité limitée implique que les actionnaires jouent un rôle actif dans la gestion des entreprises (il n’y a pas de séparation entre la propriété et le contrôle) et connaissent personnellement la « qualité » des autres actionnaires. Ceci favorise la création d’une sélection adverse et a été un frein à la constitution d’un actionnariat diversifié et à la liquidité des marchés financiers.

Ce système a été assoupli au moment de la révolution industrielle. À cette époque, le développement économique a engendré un surplus de richesse financière et donc à une surabondance d'épargne dans un contexte de taux d’intérêt bas. Or, cette épargne ne pouvait être investie massivement dans les actifs financiers dans la mesure où l’offre de titres considérée comme « sûre » (i.e. placés sous le régime de la responsabilité limitée) par les investisseurs majoritairement non informés était en quantité insuffisante. Les titres d’entreprise ne bénéficiaient pas de la responsabilité limitée et l’offre d’obligations d’État avait été réduite après les guerres napoléoniennes. Pour Guillaume Vuillemey, le développement de la responsabilité limitée a été une réponse à cette pénurie d'actifs sûrs : elle a permis aux investisseurs de constituer des portefeuilles diversifiés.

Il montre ainsi que lorsque l’offre de titres souverains a baissé après 1815 et jusqu’au Companies Act de 1862 qui libéralise l’accès à la responsabilité limitée pour les entreprises, les taux des obligations ont baissé, de même que les rendements des actions des sociétés à responsabilité limitée cotées sur le London Stock Exchange. Les titres étrangers cotés à Londres sont également plus recherchés. Pour Guillaume Vuillemey, ces résultats révèlent un report de la demande de titres souverains vers d’autres types d’actifs considérés comme des actifs sûrs.

Guillaume Vuillemey analyse ensuite les actions nouvellement émises après la loi sur les sociétés de 1862 et les compare aux titres des entreprises créées avant la loi. Il apparaît que les premières affichent des sous-performances à plus ou moins long terme et un taux de défaut supérieur. Selon lui, les titres des entreprises de bien moins bonne qualité ont pu être vendus à des prix élevés en raison de l'existence de la forte demande pour ce type d’actifs par des investisseurs non informés. Cette bulle a ensuite éclaté en 1866.

Ces résultats ont des implications très actuelles. En premier lieu, ils montrent que la question sur les actifs sûrs ne se limite pas aux marchés des obligations mais concerne aussi les actions ou par extension d’autres types d’actifs. L’essor de la titrisation avant la grande crise financière a ainsi répondu à une demande d’actifs sûrs qui ont par la suite montré leur fragilité. L’étude présente également un intérêt dans le cadre des débats sur la responsabilité des entreprises : les épargnants ont pu devenir de purs investisseurs financiers parce leur responsabilité et leur implication dans les décisions des entreprises étaient limitées, ce qui interroge sur le niveau optimal de responsabilité des actionnaires. Celle-ci doit-elle être étendue pour certains risques, par exemple sociaux et environnementaux ?

Les membres du Conseil scientifique ont souligné la grande qualité de l’article qui renvoie à des problématiques très actuelles. En particulier, jusqu’où doit aller la responsabilité des actionnaires et vis-à-vis de quels dommages ? Ne peut-on pas concevoir une responsabilité étendue dans le cas de dommages environnementaux ? L’article s’intéresse aux frictions empêchant les investisseurs de financer les entreprises du fait d’une offre insuffisante d’actifs, et à la responsabilité limitée, solution trouvée pour y remédier. Celle-ci diminue le risque de l’actionnaire en cas de défaut de l’entreprise mais ne peut pas toujours empêcher la probabilité de défaut d’augmenter. Ainsi, l’asymétrie d’information sur la qualité des actionnaires pourrait être remplacée par une asymétrie d’information sur les dirigeants et le risque se reporter sur les créanciers. Enfin, la baisse des rendements d’actions observée après la libéralisation de la responsabilité limitée est liée selon l’auteur à une moindre qualité des entreprises créées après la réforme. Pour certains membres, cette affirmation nécessite au préalable une analyse de données sur les performances économiques ou encore la politique d’investissement des entreprises. Des facteurs explicatifs autres peuvent également être avancés : moindre demande de rendement de la part d’actionnaires, désormais moins impliquées dans l’entreprise, risque abaissé après la réforme, changement de gouvernance…

La mesure des effets des politiques de désengagement du charbon par les banques

De plus en plus de banques annoncent publiquement la mise en œuvre de stratégies de réduction de leur exposition aux énergies fossiles par le biais de politiques de désinvestissement. Boris Vallée et son co-auteur Daniel Green cherchent à estimer l’impact de ces stratégies sur le financement effectif des entreprises du secteur charbonnier.

Les auteurs analysent pour ce faire 126 documents publiés par 82 banques mondiales qui ont affirmé un engagement à réduire les émissions de CO2. Ils développent un indicateur du degré de contrainte imposé par cette documentation, et étudient dans quelle mesure les emprunteurs historiques de ces banques, actifs dans le secteur du charbon, voient leurs sources de financement se réduire (échantillon de 333 groupes industriels représentant 56 % de la production mondiale de charbon et 65 % de la capacité de production d’électricité installée selon Urgewald).

Il apparaît que, contrairement à ce que la fongibilité du capital pouvait laisser penser, les restrictions à l’octroi de prêt ne sont pas compensées par d’autres banques, ni par du financement de marché (obligations ou actions) et conduisent donc effectivement à une contraction du financement, qui se traduit par un dé-commissionnement de certaines centrales à charbon.

Dans les faits, le secteur du charbon est fortement capitalistique. Il est financé principalement par de la dette bancaire, et l’importance de la relation prêteur – emprunteur rend le financement bancaire moins facilement substituable. Par ailleurs, l’industrie charbonnière est la plus largement ciblée par les politiques climatiques du fait de ses fortes émissions de CO2. Toutes ces caractéristiques font de ce secteur un bon candidat pour une analyse quantitative de l’impact des engagements de décarbonation des banques. Les auteurs jugent toutefois que l’analyse pourrait aussi s’étendre au secteur pétrolier et gazier qui présente des caractéristiques proches.

Les impacts observés sont de grande ampleur : en moyenne, une entreprise du secteur charbonnier dont les prêteurs historiques ont annoncé se désengager du charbon verrait une réduction de 37 % de ses octrois de prêts annuels, et serait davantage susceptible de fermer certaines de ses centrales à charbon.

Les membres du Conseil scientifique ont souligné la grande qualité de l’article. Ils ont tenu à rappeler que selon le rapport Banking on Climate Change 2022, le financement des énergies fossiles depuis les accords de Paris correspond toujours à des montants colossaux (4,6 trillions USD) et en croissance. Le degré de contrainte que s’imposent les banques dans ce domaine reste très hétérogène. Ils se sont interrogés sur la possible substitution du financement bancaire par d’autres acteurs (fonds de private debt ou de private equity, titrisations, participants simples plutôt qu’arrangeurs dans les prêts syndiqués). Ils ont aussi fait remarquer que les industries carbonées tendaient à financer la prospection sur fonds propres et l’exploitation/R&D par de la dette. L’accroissement des marges sur le charbon ces dix dernières années pourrait avoir donné aux entreprises suffisamment de capacité d’autofinancement pour continuer la prospection malgré le désengagement des banques, mais la diminution du crédit pourrait avoir pour conséquence la réduction des investissements de transition par ces acteurs. Afin de mesurer l’impact effectif sur la production d’énergie carbonée, les membres suggèrent de regarder des données satellitaires sur les émissions de SO2  (en extrapolant au CO2).