Merci de désactiver le bloqueurs de pub pour visualiser cette vidéo.
Séance du Conseil scientifique de l'AMF du 5 décembre 2017 consacrée au rôle des marchés dans le financement de l'économie et aux biais comportementaux des analystes financiers

Séance du Conseil scientifique de l'AMF du 5 décembre 2017 consacrée au rôle des marchés dans le financement de l'économie et aux biais comportementaux des analystes financiers

Les travaux présentés lors de la séance du Conseil scientifique de l'AMF du 5 décembre 2017 portaient sur le rôle des marchés dans le financement de l'économie et sur les biais comportementaux des analystes financiers.

Lors de la séance du Conseil scientifique de l’AMF du 5 décembre 2017, Tristan Roger, lauréat 2017 du Prix AMF du Jeune chercheur, a exposé les résultats de ses recherches sur les biais comportementaux des analystes financiers. Patrick Artus a présenté un article sur le rôle des marchés financiers dans le financement des entreprises, réalisé en collaboration avec Laurence Boone.

Les marchés financiers contribuent-ils toujours au financement des entreprises ?

Patrick Artus (Natixis, membre du Conseil scientifique de l’AMF) et Laurence Boone (AXA IM, membre du Conseil scientifique de l’AMF) constatent que les marchés financiers servent de moins en moins à financer les entreprises. Aux États-Unis, on observe ainsi une destruction importante d’actifs financiers depuis 15 ans. Le nombre d’entreprises cotées et d’introductions en bourses est en nette diminution. Par ailleurs, les émissions de titres financiers, obligataires essentiellement, sont principalement utilisées pour financer les rachats d’actions. En Europe, les émissions nettes sur les marchés financiers sont positives mais demeurent à des niveaux faibles. De plus, cette tendance ne s’accompagne pas d’un rebond du crédit bancaire.

Pour les auteurs, cette tendance est à relier à la hausse du taux d’autofinancement qui contribue à limiter le besoin de recourir aux marchés financiers. Deux facteurs explicatifs possibles sont avancés : d’une part, la baisse du prix relatif de l’investissement, combinée à l’accroissement de l’épargne des entreprises et, d’autre part, la plus grande flexibilité du marché du travail (mesurée par un partage des revenus défavorable aux salariés). Face à ce constat général, la France occupe une place singulière. En particulier, c’est le seul pays de l’OCDE où le taux d’autofinancement est inférieur à 100 %, ce qui expliquerait un recours plus important aux financements externes pour financer les investissements.

D’autres facteurs explicatifs sont également évoqués, notamment le développement de financements alternatifs, à travers l’essor du private equity et du non coté en général. Les auteurs estiment également que les réglementations financières ont sans doute contribué à décourager la détention d’actifs boursiers, notamment par les investisseurs institutionnels. La détention d’actions et d’obligations d’entreprises aurait ainsi diminué chez les banques et les fonds de pension, elle serait restée stable globalement chez les assureurs.

Les auteurs concluent à un changement radical de modèle, dans lequel l’excès d’épargne ne sert plus à financer les entreprises, mais les États, à l’image du modèle japonais. Dans ce schéma, les marchés financiers corporate servent essentiellement à valoriser les entreprises et les risques.

Ce changement de modèle aurait plusieurs conséquences de taille, notamment une moins bonne transmission des politiques monétaires à la sphère réelle via le canal des taux d’intérêt. Les auteurs s’interrogent également sur l’impact de ces transformations sur la liquidité des marchés, mais laissent cette question ouverte. 

Lors de la discussion, les membres du Conseil ont nuancé certaines des conclusions de l’étude, en évoquant notamment les différences entre les marchés américains et européens. L’analyse des stocks d’actifs plutôt que des flux d’émissions permet également de relativiser les constats des auteurs. La différenciation entre les émissions et les destructions de titres, mais également entre flux bruts et nets, de même qu’une analyse par secteur d’activité pourraient également s’avérer très éclairante.

Les biais cognitifs identifiés par la recherche en neuro-sciences : une application aux analystes financiers et à leur perception des nombres

Tristan Roger (Université Paris-Dauphine, Lauréat du Prix AMF 2017 du jeune chercheur) a présenté les résultats d’une étude co-écrite avec Patrick Roger et Alain Schatt. Les auteurs analysent dans quelle mesure certains biais cognitifs identifiés par la recherche en neuro-sciences, en l’occurrence ici, l’appréhension des nombres, se manifeste dans la profession des analystes financiers.

La recherche en neuro-sciences a montré que le cerveau humain se représente les nombres sur une ligne. Lorsque l’écriture se fait de gauche à droite, les petits nombres tendent à être visualisés à gauche, et les grands nombres à droite et inversement. Par ailleurs, dans l’état de nature, l’appréhension des nombres se fait selon une échelle logarithmique (c’est-à-dire plutôt en termes relatifs qu’en termes absolus), alors qu’à l’inverse, l’enseignement des mathématiques tend à induire une représentation linéaire des nombres pour les petites quantités.

En combinant les prix observés de 6 000 actions cotées sur le marché américain avec une base de données rassemblant des anticipations de prix de plus de 9 000 analystes (I/B/E/S) entre 2000 et 2013, les auteurs montrent que les analystes financiers appréhendent différemment les actions selon qu’elles ont une forte ou faible valeur faciale : il existe une relation monotone et décroissante entre la valeur faciale du titre et la prévision de rendement qui lui est affectée par les analystes. En d’autres termes, les anticipations sur les actions à faible valeur faciale (qu’elles soient optimistes ou pessimistes) sont de plus forte amplitude que pour les actions à prix élevé, biais que les auteurs qualifient de « small price bias ». Une analyse des recommandations (achat, vente…) confirme ce biais, de même qu’une étude spécifique des opérations de division du nominal (l’optimisme perçu dans les anticipations de prix augmente du simple fait de la réduction effective de la valeur unitaire du titre).

En conclusion, les analystes semblent bien sujets au biais cognitif de perception des nombres. Pour les prix faibles, les variations de prix sont appréhendées selon une échelle linéaire (prix absolu) alors que pour les prix unitaires élevés, les analystes raisonnent plutôt en termes de rendement (échelle logarithmique). Ce biais pourrait se retrouver chez d’autres acteurs des marchés financiers, et pourrait expliquer certains phénomènes irrationnels, comme les rendements anormaux et la volatilité élevée des actions à prix faible, ou les rendements aberrants observés après les opérations de division du nominal. Une étude d’économie expérimentale est envisagée afin de compléter cette analyse.

Les membres du Conseil scientifique se sont interrogés sur la magnitude du biais numérique comparativement aux autres biais comportementaux que la littérature académique a étudié (excès d’optimisme, excès de confiance, comportements moutonniers, …). Ils se sont également demandé si un tel biais cognitif ne pourrait pas être décelé chez d’autres acteurs des marchés financiers et/ou dans d’autres juridictions. Ils avancent aussi l’hypothèse que le pas de cotation pourrait jouer un rôle dans le phénomène observé par les auteurs.