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Discours - Audition de Robert Ophèle, président de l’AMF, par la Commission des finances de l’Assemblée Nationale sur le Rapport annuel de l’AMF 2019

Discours - Audition de Robert Ophèle, président de l’AMF, par la Commission des finances de l’Assemblée Nationale sur le Rapport annuel de l’AMF 2019

Seul le prononcé fait foi


Monsieur le Président, Monsieur le Rapporteur général, Mesdames et Messieurs les Députés, merci de me consacrer quelques instants dans cette période chargée. Il y aurait bien des éléments à évoquer au titre du rapport annuel de 2019 mais je vais consacrer mes propos introductifs aux évènements récents, à l’action de l’AMF au cours de cette période et aux défis à venir.

J’utiliserai exceptionnellement un jeu de slides afin de compenser en partie les inconvénients d’un échange à distance.


La crise sanitaire est devenue une crise financière dans la dernière semaine de février, soit environ un mois après le début du confinement de Wuhan, lorsqu’on a pris conscience que la crise sanitaire ne pourrait pas être circonscrite mais qu’elle allait toucher tous les grands centres économiques mondiaux.

Les divers confinements qui se sont enchaînés ont mis à l’arrêt une part importante de l’activité productive et se sont traduits par de complexes problèmes opérationnels pour la partie qui continuait à fonctionner, conjuguant ainsi un choc d’offre et un choc de demande.

Les marchés financiers ont naturellement rapidement et vivement réagi et la crise sanitaire est devenue une crise financière, en anticipation de la crise économique qui paraissait inéluctable même si ni son ampleur ni sa durée ne pouvaient être anticipées.

Je vais me limiter ici à notre perception, à l’AMF, de la crise et à nos actions au cours de la période récente et je conclurai sur les défis des prochains mois.

Notre action s’est déployée dans nos quatre domaines de responsabilité : les marchés et leurs infrastructures, les émetteurs, la gestion d’actifs, les épargnants. Mais pour la comprendre il faut la mettre dans la perspective d’une conviction qui a animé l’AMF et son Collège : malgré les difficultés à assurer une valorisation des actifs, malgré les difficultés opérationnelles à assurer la continuité d’activité, il faut garder les marchés ouverts ; ils sont essentiels au financement de l’économie dans la période de crise et ils seront essentiels pour financer la reprise de l’activité.

Les marchés et leurs infrastructures ont traversé une période de grande turbulence. De façon quasi inédite, la valorisation de toutes les classes d’actifs a baissé au cours de la première quinzaine de mars comme l’illustre la première slide qui reprend les valorisations de quelques types d’actifs.

Personne n’a été épargnée au cours de cette période. Même si l’ampleur du choc n’est pas identique et si le rebond ultérieur a pu varier selon les classes d’actifs et à l’intérieur des classes d’actifs, les écarts sont nets si on distingue les qualités de signature pour les marchés de dette, ou les secteurs économiques pour les marchés actions, et vous avez ainsi sur la slide 2 une comparaison entre l’évolution du SBF120 et celle de sa composante bancaire à laquelle nous portons une attention particulière compte tenu de son caractère systémique.

L’action de l’AMF s’est matérialisée dans trois directions :

  • le bon fonctionnement des coupe-circuits dans ces périodes de grande volatilité où ils ont dû être déclenchés de façon très fréquente – plus de 3 000 fois le 16 mars sur Euronext –,
  • les aménagements acceptables pour la passation des ordres en confinement – c’est-à-dire en dehors des locaux professionnels –  qui permettent d’assurer une piste d’audit de qualité,
  • et ce qu’on appelle un peu rapidement l’interdiction des ventes à découvert et qui n’est en fait qu’une restriction des positions courtes nettes.

Un mot sur les coupe-circuits et sur les ventes à découvert.

Les coupe-circuits jouent un rôle essentiel pour éviter l’emballement incontrôlé des marchés. Ces interruptions temporaires permettent aux acteurs de réexaminer la situation et de reprendre les transactions de manière plus ordonnée ; les seuils de déclenchement et la durée de la suspension varient en fonction des instruments et du type de décalage des cours. Ils ont été revus en France en 2017 après l’affaire Vinci pour abaisser les seuils et allonger la durée (pour les valeurs du CAC40 les seuils de déclenchement sont à 8 % en « static » et 3 % en « dynamic » pour une durée de 3 min). Il faut toutefois trouver le bon équilibre car les valeurs en question sont traitées sur de nombreuses plateformes et il n’y a, à ce stade, aucune approche européenne coordonnée des dispositifs de coupe-circuit : chaque plate-forme a ses propres règles et, si vous suspendez sur une plateforme, les transactions continuent généralement sur les autres. De plus, si vous interrompez trop longtemps vous mettez en risque les market-makers qui ne peuvent retourner leur position et prennent le risque d’un décalage encore plus important à la reprise des cotations du fait de l’accumulation des ordres pendant la période d’interruption. Nous avons donc observé avec attention le fonctionnement des coupe-circuits sur Euronext au cours du mois de mars et, même si un allongement aurait pu être bénéfique en cas de suspension répétée d’un même titre, on peut considérer que globalement le système a bien fonctionné. J’en profite pour évoquer brièvement une idée qui avait été émise par certains : supprimer la cotation en continu au profit du seul fixing de fermeture. Cela s’apparente à une suspension particulièrement longue, mais pour les raisons déjà évoquées, cela n’est envisageable qu’au niveau européen et c’est donc impossible aujourd’hui.

L’interdiction des ventes à découvert est un sujet qui fait traditionnellement l’objet de controverses ; certains considèrent que c’est une mesure inefficace voire contre-productive car limitant la liquidité des marchés et la capacité d’acheter des valeurs en empêchant d’acheter l’indice et de vendre en même temps certaines valeurs à découvert ; d’autres considèrent que c’est une mesure indispensable qui aurait dû être déclenchée plus tôt, voire devrait être permanente.

Soyons clair, dans un marché uniformément orienté à la baisse avec des incertitudes considérables sur l’ampleur future de cette baisse, les vendeurs à découvert apportent peu à la formation des prix, et leur montée, qu’on voit se dessiner lors de la première quinzaine de mars, peut avoir une influence pro-cyclique particulièrement malvenue. Nous avons la capacité réglementaire de l’éviter, nous devions donc l’utiliser. La question est plutôt pourquoi cette mesure n’a pas été prise au niveau européen ? La crise n’est pas spécifiquement différente d’un pays à l’autre, elle n’affecte pas très différemment Air France et Lufthansa, Klepierre et Unibail-Rodamco… Il y aurait donc une logique forte à avoir la réponse commune que les textes prévoient puisque l’ESMA a le pouvoir de restreindre les ventes à découvert au niveau de l’Union. C’est bien faute de pouvoir obtenir cette réponse commune que cinq pays de l’Union (France, Italie, Espagne, Belgique et Autriche) ont eu recours à une mesure nationale. Naturellement, il s’agit d’une mesure exceptionnelle qui n’a pas vocation à perdurer, notamment lorsque les volumes et la volatilité se régularisent et lorsque le marché devient plus sélectif. Son abandon serait donc une excellente nouvelle car elle reflèterait la normalisation du marché.

Un mot bref sur les défis opérationnels auxquels ont dû faire face les infrastructures de marché au cours du mois de mars, avec une augmentation considérable des volumes d’opérations, voyez les statistiques sur Euronext, et une volatilité très élevée.

Cela s’est d’abord traduit par une montée des risques pour les chambres de compensation qui s’interposent entre acheteurs et vendeurs. Cela a challengé la pertinence de leurs modèles de risques qui déterminent l’ampleur des appels de marge et n’intégraient pas tous des évolutions aussi extrêmes.

Cela a également été un défi opérationnel pour le circuit de règlement-livraison chez les dépositaires centraux où l’on a observé une augmentation des suspens, c’est-à-dire des transactions qui ne sont pas soldées le soir.

L’AMF a accompagné sur une base journalière les infrastructures françaises pour s’assurer que l’ensemble de la chaîne de marché fonctionnait de façon régulière et le constat est bien celui de leur robustesse.


J’en viens au chapitre des émetteurs, qui sont naturellement le cœur de l’écosystème financier, car les marchés sont d’abord là pour contribuer à leur financement et c’est l’information qu’ils donnent qui est à la base d’une bonne formation des prix. Nous les avons accompagnés dans deux domaines : la communication financière et l’organisation de leur assemblée générale. 

La communication financière est particulièrement importante dans des périodes de bouleversements profonds, qui sont propices aux informations privilégiées et aux fausses rumeurs et où les investisseurs ont besoin d’une guidance actualisée. Tout en étant conscients de la difficulté de l’exercice, nous avons fortement incité les émetteurs à communiquer au marché leur analyse de l’impact du Covid-19 sur leur activité et sur leur situation financière. S’agissant des publications périodiques, nous avons décliné, avec l’Autorité des normes comptables en France et l’ESMA au niveau européen, l’approche comptable des pertes attendues pour le système bancaire (IFRS 9) et précisé le recours aux indicateurs alternatifs de performance dans le cadre de l’arrêté trimestriel qui est, je le rappelle, facultatif. Dans le même registre, j’attire l’attention sur l’échéance des comptes semestriels. Elle sera décisive car c’est un arrêté qui prendra largement en compte les effets de la crise sanitaire et qui pourra servir de référence pour de futurs appels publics à l’épargne. Leur établissement présentera de nombreux défis, par exemple celui des tests de résistance sur les goodwills, dont le résultat peut être redoutable et qui ont besoin d’être réalisés sur la base de scénarios qui restent encore particulièrement délicats à établir. Nous travaillons avec nos partenaires habituels sur ce sujet.

La communication financière est bien évidemment tout particulièrement importante lorsqu’on sollicite le marché. Or, si les émissions d’actions ont été stoppées par la crise, le marché obligataire s’est rapidement ré-ouvert à la suite des annonces de la Banque centrale européenne (BCE) et de son PEPP (programme temporaire d’achats d’urgence face à la pandémie). Les émetteurs français ont voulu très rapidement mettre à profit cette réouverture et nous les avons accompagnés en visant un nombre exceptionnellement élevé de prospectus ; vous voyez cela sur le slide 5 avec en regard l’augmentation des crédits bancaires aux entreprises au cours du mois de mars.

S’agissant des assemblées générales, la faculté ouverte de les tenir à huis clos permet de clore dans des délais normaux l’exercice 2019 mais elle constitue un défi pour le maintien d’un dialogue actionnarial de qualité. Nous avons recommandé un certain nombre de bonnes pratiques que vous trouvez en partie slide 6 et nous avons porté une attention toute particulière aux AG sensibles avec, en particulier, notre communication de ce dimanche 3 mai. J’attire également votre attention sur la contribution de l’AMF à la question de l’activisme que nous avons publiée la semaine dernière, mardi 28 avril.

En liaison avec les assemblées générales, la question des dividendes a suscité des débats et des hésitations. Alors que les résultats de 2019 sont élevés et que des dividendes significatifs pouvaient être attendus (67 milliards d’euros pour le SBF 120) la crise a remis en cause la politique de distribution et il est probable qu’in fine les dividendes effectivement versés seront, au total, proches de la moitié du montant attendu.


J’en viens à la gestion d’actifs. Les fonds enregistrés en France, c’est un peu plus de 10 000 fonds pour un peu moins de 2 trillons d’euros d’actifs et 11 % des fonds européens au sens large.

Évidemment cela recouvre une très grande diversité d’objectifs de gestion et la gestion d’actifs a dû faire face à de nombreux défis au cours de cette période. J’en relève deux principaux qui, dans certains cas, se sont conjugués : celui des valorisations et celui de la liquidité. La chute des valorisations a été brutale comme illustré dans mon premier slide et, dans certains cas, les sociétés de gestion ont même dû faire face à une absence de valorisation fiable en l’absence de marché actif ; c’est le cas du non coté et ce fut le cas de la partie courte de la courbe des taux ou de l’obligataire high yield. La liquidité des fonds a également pu être délicate, soit qu’il y ait des retraits importants, soit que des appels de marge soit réalisés pour couvrir, par exemple, l’évolution des positions sur instruments dérivés.

Or, la gestion d’actifs a surmonté ces épreuves sans problème majeur. S’agissant des fonds français, les seuls retraits significatifs ont été enregistrés sur les fonds monétaires. Au-delà des retraits habituels de fin de trimestre des institutionnels, on a en effet enregistré des retraits de sociétés qui devaient réaménager leur trésorerie dans cette période de sous-activité et qui ont pu préférer les dépôts bancaires, comme l’illustre la montée inédite des dépôts à vue des entreprises en mars. En quelques semaines les retraits des fonds monétaires ont atteint 50 milliards d’euros soit 13,5 % des encours. Ils ont été satisfaits et les assurances concernant l’accès au crédit via les prêts garantis par l’État ainsi que la réouverture du marché obligataire primaire suite aux annonces de la BCE ont stoppé le mouvement de retrait. On a observé une collecte légèrement positive ces derniers jours. Vous voyez cela sur la slide 8.

Il reste que le suivi du secteur des fonds ouverts mobilise encore largement les équipes avec un débat nourri au niveau international sur les « bons » outils pour faire face aux stress de liquidité et assurer l’égalité de traitement entre les porteurs.


Laissez-moi terminer cette présentation avec quelques mots sur les épargnants. Certains ont été naturellement désemparés par ces chocs, voyant la valeur de leur épargne se réduire brutalement et devant parfois se passer de dividende. Il a pu y avoir la tentation des placements alternatifs et nous avons vu « refleurir » les offres frauduleuses : nous avons dû multiplier les alertes qui ont été largement relayées par les médias.

Mais le fait marquant de cette période, c’est le regain d’attractivité de la bourse pour les particuliers sur lequel nous avons communiqué lundi 27 mai. Le confinement l’a peut-être favorisé mais de nombreux épargnants, plus jeunes et certainement moins fortunés, sont entrés sur le marché à cette occasion. Il faudra voir dans les prochains mois, en particulier à l’occasion du placement de l’intéressement et de la participation, si cette évolution se confirme.


Cette évolution est particulièrement importante car le principal défi des prochains mois est bien celui du renforcement des fonds propres des entreprises. Le recours à la dette ne peut pas seul couvrir les besoins de financement, surtout quand une partie de ce besoin correspond en fait à des pertes d’exploitation et qu’il faut dans certains secteurs revoir en profondeur le positionnement de l’entreprise. Notre capacité à mobiliser des fonds propres au-delà des ressources publiques est une des clés du rebond. C’est aussi une opportunité pour bâtir une croissance plus responsable et dans cette perspective je suis heureux que l’AMF ait pu finaliser avant la crise sa doctrine en matière de commercialisation des produits financiers ISR/ESG. Car relever ce défi nécessite la mobilisation de nombreux leviers mais le principal c’est la confiance dans les marchés financiers et c’est ce à quoi l’AMF s’attache chaque jour. 

Pour conclure je voudrais évoquer les grandes évolutions structurelles que je vois se dessiner. Je vois trois lignes de force, trois lignes de force dangereuses dont il faudrait modérer la portée : l’envahissement d’une économie d’endettement, le repli national, l’augmentation des coûts de production.

Chaque crise se traduit par une augmentation du taux d’endettement des acteurs économiques alimentée par les politiques monétaires très accommodantes mises en œuvre d’abord pour surmonter la crise puis pour maintenir une croissance économique significative. Nous sommes au début d’un développement majeur dans cette direction et cela ne peut qu’accentuer la vulnérabilité de notre modèle de croissance.

Le repli national est une réaction classique en période de crise mais il est particulièrement manifeste actuellement et ce dans tous les domaines avec une occasion manquée de former une réponse européenne. Dans le secteur financier, on l’observe dans la composition des pools bancaires, dans les difficultés à avoir une politique commune en matière de distribution de dividendes, de ventes à découvert, de mobilisation des mesures d’urgence. Il renforce la nécessité d’avoir une industrie financière française, à défaut d’être européenne, forte. Il faut garder cela en tête lorsqu’on déterminera le cadre de nos relations financières avec le Royaume-Uni.

La combinaison des mesures de distanciation sociale et de repli national aura un effet très significatif sur nos coûts de production et donc sur la rentabilité de nos activités économiques, surtout si la demande ne permet pas un ajustement par les prix.

Comment modérer la portée de ces tendances ? Évidemment en substituant des fonds propres à la dette partout où c’est possible et en faisant une dernière tentative de matérialiser l’Union des marchés de capitaux et l’Union bancaire.