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Discours de clôture de Benoît de Juvigny, secrétaire général de l'AMF - 15e colloque de la Commission des sanctions de l'AMF, Mercredi 5 octobre 2022

Discours de clôture de Benoît de Juvigny, secrétaire général de l'AMF - 15e colloque de la Commission des sanctions de l'AMF, Mercredi 5 octobre 2022

Seul le prononcé fait foi

Bonjour à tous,

Je suis très heureux de clôturer ce 15e colloque de la Commission des sanctions.

Vous avez droit au secrétaire général. Vous êtes déçus bien sûr. Pour rencontrer notre nouvelle présidente, Madame Marie-Anne Barbat-Layani, venez nombreux aux Entretiens de l’AMF qui auront lieu le 22 novembre !

Après M. Gaeremynck, je voudrais à mon tour remercier le procureur général près la Cour de cassation, François Molins, qui nous a fait l’honneur d’ouvrir ces débats, ainsi que l’ensemble des intervenants qui ont accepté d’échanger et de débattre sur des thèmes d’une grande actualité et d’une importance clé pour l’AMF et pour les acteurs.

Le colloque de la Commission des sanctions est un évènement incontournable et, cette année encore, il aura répondu, j’en suis sûr, à vos attentes en venant nourrir les réflexions sur des problématiques importantes.

Les échanges de cet après-midi, et plus particulièrement ceux de la première table-ronde sur les secrets dans les procédures répressives, qui ne doivent plus avoir de secrets pour vous, ont mis en exergue la conciliation parfois délicate pour l’AMF entre l’efficacité de son action répressive d’une part et le nécessaire respect des droits de la défense et des intérêts des personnes mises en cause d’autre part.

Comme l’a souligné la directrice des enquêtes de l’AMF, Marianick Darnis Lorca, cette conciliation est au cœur de l’action répressive de l’AMF. Elle constitue son ADN. Elle est d’ailleurs rappelée par la Charte de l’enquête et la Charte des contrôles de l’AMF.

A cet égard, je voudrais profiter de ce colloque pour rappeler ce que nous faisons dans ce domaine, et pour exprimer notre inquiétude face aux menaces qui pèsent sur certains de nos moyens d’action. Ces menaces ne doivent pas conduire à rompre un équilibre fragile qui nous permet aujourd’hui d’obtenir des résultats intéressants devant la Commission des sanctions, dans le strict respect des grands principes qui régissent notre droit et nos procédures. Ces résultats sont indispensables pour conserver une réputation d’intégrité dans le cadre d’une vive concurrence européenne entre les Places financières, mais aussi pour rassurer le grand public et les professionnels en tant qu’investisseurs dans des produits financiers.

L’AMF agit en effet de longue date et de manière délibérée pour préserver cet équilibre. Elle a mis en place au fil du temps des procédures et des outils innovants qui garantissent l’exercice plein et entier des droits de la défense des personnes concernées, la facilitation des échanges avec elles et la préservation de leurs intérêts.

C’est bien sûr le cas en matière d’enquêtes :

D’abord avec la Charte de l’enquête, que j’ai déjà évoquée. Cette Charte explicite le processus d’enquête et contribue à assurer le bon déroulement des missions d’enquête en les faisant mieux connaître et en précisant un certain nombre de principes de bonne conduite que les enquêteurs de l’AMF appliquent, mais également les comportements qui sont attendus des personnes sollicitées au cours des investigations.

Les enquêteurs s’engagent à respecter la Charte qui est communiquée à toute personne sollicitée dans le cadre de l’enquête.

La Charte met en exergue plusieurs principes et décline des conséquences opérationnelles applicables aux enquêtes, notamment :

  • La loyauté : enquête à charge et à décharge. Par exemple, « L’enquêteur entend, dans la mesure du possible, toute personne susceptible d’être mise en cause dans le rapport d’enquête afin qu’elle puisse apporter des explications et, éventuellement, des pièces complémentaires concernant les agissements relevés.» ;
  • Le respect de la présomption d’innocence ;
  • Le principe de proportionnalité qui « implique de tenir compte, sans nuire aux investigations, des contraintes opérationnelles, techniques et professionnelles comme de la protection de la vie privée ».

Ensuite, j’évoquerai la mise en place d’une phase pré-contradictoire au stade de l’enquête, avec l’envoi de lettres circonstanciées qui portent à la connaissance des personnes susceptibles d’être ultérieurement mises en cause les éléments de fait et de droit recueillis par les enquêteurs. La lettre circonstanciée et la réponse qui lui est faite sont jointes au rapport d’enquête présenté à la commission spécialisée du Collège appelée à statuer sur les suites qui pourraient être données à ladite enquête.

Par ailleurs, une série de dispositions et de mesures existe pour assurer la protection des secrets. Je n’y reviendrai pas elles ont été présentées et débattues lors de la 1ère table ronde.

Enfin, l’AMF recourt à des outils innovants qu’elle a elle-même créés. Ces outils améliorent l’efficacité opérationnelle, modernisent et facilitent les échanges avec les personnes sollicitées dans le cadre des enquêtes et des contrôles et visent à les accélérer. Ces outils sont aussi le cas échéant de nature à renforcer le contradictoire et permettre un exercice facilité des droits de la défense.

J’en citerai trois :

  • une procédure digitalisée pour la collecte à distance des boîtes de messageries professionnelles, mise en place en amont des confinements mais qui s’est avérée très utile pendant cette période, et qui est toujours utilisée aujourd’hui ;
  • l’outil inDECx, qui permet de gérer plus efficacement et de manière très sécurisée les échanges d’informations avec les personnes sollicitées dans le cadre d’un contrôle ou d’une enquête. Cet outil que nous allons continuer à développer a vocation à faciliter la constitution des dossiers d’enquête ou de contrôle ;
  • Enfin l’outil BAAM, qui permet aux personnes mises en cause dans le cadre des enquêtes de manipulation de cours de visualiser les carnets d’ordres. Il permet de visualiser les carnets d’ordres et leur évolution dynamique, de donner ses préférences en termes de visualisation, de vitesse, d’acteur, et de voir l’activité de l’ensemble du marché (et donc des autres intervenants), au cours des séquences. Les mis en cause ont ainsi un accès plus complet à l’information nécessaire pour comprendre les manquements qui leur sont reprochés, et pour pouvoir se défendre grâce à un outil high-tech mis à disposition par l’AMF.

J’ai évoqué les enquêtes ; j’évoque à présent les contrôles. Dans ce domaine, il s’agit bien sûr, comme en matière d’enquêtes, de concilier efficacité et droits de la défense. A cet égard, les contrôleurs partagent bon nombre des procédures et outils déjà cités. Notamment, la Charte des contrôles rappelle les règles applicables tant aux contrôleurs qu’aux personnes contrôlées. Il existe également là aussi une phase de pré contradictoire, le rapport des contrôleurs étant envoyé à la personne contrôlée pour recueillir ses observations.

Toutefois, je rappelle que ces contrôles ont lieu chez des professionnels qui sont régulés, qui sont soumis à des règles professionnelles et dont on attend la coopération. Les contrôleurs veillent à limiter les perturbations causées à leur activité quotidienne. C’est l’une de nos priorités. Et l’un des moyens d’y arriver, c’est de limiter la durée des contrôles, et nous y parvenons.

J’en viens donc à la question des délais nos délais d’enquête et de contrôle. Des délais raisonnables sont l’un des critères de l’efficacité de notre action. Le président Robert Ophèle avait rappelé à ce même pupitre il y a deux ans qu’il fallait être ambitieux dans ce domaine et qu’il s’agissait pour nous d’une priorité.

Où en est-on aujourd’hui ?

Nous avons fait beaucoup d’efforts, notamment pour améliorer notre organisation et nos procédures internes, et nous continuerons à en faire. Je veux rappeler aussi que la bonne coopération des personnes concernées joue un rôle très important pour limiter la durée des procédures. Le défaut de coopération est d’ailleurs un élément que le Collège prend en compte dans la sanction demandée à la Commission des sanctions.

En matière de contrôle, nos délais sont courts et je m’en réjouis. Au cours des dernières années, les contrôles se sont davantage orientés vers la supervision et l’accompagnement des acteurs, via des synthèses de bonnes ou de mauvaises pratiques qui sont très appréciées par les professionnels (contrôles SPOT). On arrive à ce que plus de 3 missions sur 4 ne donnent pas lieu à la mise en cause des acteurs et donc à des suites répressives. En moyenne, tous contrôles confondus, la durée des contrôles s’élève désormais à 6 mois entre l’ordre de mission et le rapport des contrôleurs. C’est une moyenne que je trouve satisfaisante.

Je l’ai dit, en contenant la durée de nos contrôles, nous limitons de facto les perturbations sur les acteurs. Mais au-delà, lorsqu’un contrôle débouche sur une saisine de la Commission des sanctions, il est important que la décision de la Commission intervienne dans un délai suffisamment bref pour qu’elle joue son plein effet vis-à-vis de l’ensemble des acteurs.

En matière d’enquêtes, les délais ne peuvent pas être, mécaniquement, aussi courts. Les raisons sont multiples :  la complexité des investigations, très souvent menées à l’international, la possibilité de mises en cause multiples, l’augmentation du volume de données collectées ou encore le recours à des moyens d’investigation contraignants, dont certains, j’y reviendrai, ont été fragilisés récemment.

Au-delà, la multiplication des recours dirigés contre certains actes d’enquête est aussi une source d’allongement des délais de l’enquête.

Pour autant, nous avons enregistré une légère amélioration pour les délais d’enquête au cours des dernières années : avant la phase de pré-contradictoire, la durée moyenne des enquêtes clôturées était de 22 mois en 2019-2020 ; elle s’est améliorée en 2021 et de nouveau dégradée en 2022, sans doute à cause de l’effet Covid qui joue à plein. Les propositions que l’on peut entendre de la part de certains avocats pour préserver encore davantage les secrets dans les procédures ne sont pas pour me rassurer quant à la réduction de ces délais.

Je me réjouis par ailleurs des progrès enregistrés au stade de la procédure de sanction, qui s’ouvre après la phase d’aiguillage et la notification de griefs. Les dossiers sont jugés en un an en moyenne à compter de cette date, ce qui constitue une nette amélioration par rapport aux années précédentes.



Comme je l’ai évoqué en introduction, nous sommes aujourd’hui dans une situation d’insécurité juridique quant à certains de nos moyens d’action. Je pense en particulier, par ordre d’importance :

  • aux fadets bien sûr, évoquées cet après-midi et qui constituent un moyen d’enquête important. Elles ont été à nouveau questionnées par une jurisprudence récente du mois de septembre ;
  • aux visites domiciliaires qui font l’objet de nombreux contentieux ; nous attendons d’ailleurs d’importants arrêts de la Cour de cassation dans les prochains mois qui se prononceront sur la notion d’occupants des lieux ;
  • ou encore au manquement d’entrave qui a donné lieu à une censure du Conseil constitutionnel en début d’année.


Au total, l’AMF est déterminée à préserver sa capacité à mener à bien des enquêtes complexes et à faire sanctionner des manquements qui portent gravement atteinte à l’intégrité des marchés et à la protection des investisseurs. C’est pourquoi, en lien avec les départements ministériels concernés et les autorités judiciaire et administrative, mais aussi dans le dialogue avec l’ensemble des parties prenantes, l’AMF est et restera mobilisée pour trouver les meilleures solutions quant à nos moyens d’actions tout en assurant la parfaite sécurité juridique de ses procédures.



Je voudrais conclure mon propos en évoquant un mot du cadre européen que j’ai la chance de pratiquer à haute dose en tant que secrétaire général de l’AMF.  

Bien des questionnements juridiques soulevés au cours des échanges qui ont eu lieu cet après-midi sont directement liés à l’application du droit européen. On le voit de manière particulièrement évidente avec les fadets.

Par ailleurs, comme je l’ai évoqué, beaucoup de manquements analysés par les équipes de l’AMF ont en pratique une dimension européenne. C’est le cas par exemple de certains manquements d’initiés, de manipulations de marché comme celle commise dans un Etat sur les cours de titres cotés dans un autre Etat membre. Or notre système européen de régulation des marchés financiers repose sur trois pieds qui ne sont pas équilibrés :

  • le premier, c’est la réglementation : elle est européenne et fait l’objet de plus en plus de règlements et moins de directives ;
  • le deuxième, c’est la supervision : nous sommes au milieu du gué, mais la Supervisory Convergence progresse  ;
  • le troisième pied, c’est la filière répressive (« enforcement ») : aujourd’hui, il existe seulement un réseau au sein de l’ESMA qui partage discrètement les cas pratiques nationaux.

Pourtant, la recherche d’efficacité pourrait passer par une évolution sur ce terrain. Laissez-moi rêver pour finir d’un système, comme c’est le cas en matière de concurrence, où certaines atteintes graves portées à l’intégrité des marchés financiers à l’échelle européenne puissent être sanctionnées au niveau européen.

Je vous remercie de votre attention.