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Discours de clôture de Marie-Anne Barbat Layani, présidente de l'AMF - 16e colloque de la Commission des sanctions de l'AMF, Jeudi 12 octobre 2023

Discours de clôture de Marie-Anne Barbat Layani, présidente de l'AMF - 16e colloque de la Commission des sanctions de l'AMF, Jeudi 12 octobre 2023

Seul le prononcé fait foi

Mesdames et Messieurs les Présidentes et Présidents,
Mesdames et Messieurs,                                                         

Il me revient ce soir de conclure ce 16e colloque de la Commission des sanctions. C’est la première fois depuis ma nomination à la présidence de l’AMF que je m’exprime dans cette enceinte. A l’heure où la fin de son mandat approche, je tiens à remercier particulièrement le président Jean Gaeremynck pour son engagement total et sûr à la présidence de la Commission des sanctions. Je remercie également Didier Guérin en sa qualité de président de la 2e section de la Commission des sanctions.

Je voudrais également remercier le Premier président de la Cour de cassation, Christophe Soulard, qui nous a fait l’honneur d’ouvrir ces débats, ainsi que l’ensemble des intervenants qui ont accepté d’échanger autour des thématiques du pouvoir de sanction de l’AMF et de l’influence de la jurisprudence européenne sur la procédure de sanction.

Il s’agit de thématiques centrales pour le régulateur des marchés financiers et pour l’ensemble des acteurs de la place financière.

Pour la régulation financière leur importance est centrale.

En juin dernier, nous avons présenté nos orientations stratégiques pour les prochaines années avec une ambition forte, celle d’être une autorité à fort impact. Parmi ces orientations, nous avons retenu un axe transversal : être un régulateur exigeant pour une place financière de premier plan.

Une régulation exigeante n’est pas antinomique avec une place financière dynamique, bien au contraire. L’intégrité des marchés comme la confiance des investisseurs sont des atouts clés pour la compétitivité d’une grande place financière. La conquête du premier rang européen par la Place de Paris le prouve, alors que la France n’a jamais fait le pari du moins disant réglementaire. La qualité de la régulation est un des atouts majeurs de la Place de Paris ; cela m’est dit explicitement par de grands acteurs financiers internationaux qui ont choisi Paris pour l’établissement du siège de leurs activités européennes après le Brexit, et seront – je l’espère – bientôt rejoints par d’autres.

Nous nous fixons donc pour objectif d’être un régulateur exigeant et juste, pour permettre le bon fonctionnement des marchés, et protéger au mieux les investisseurs. C’est pourquoi l’efficacité de notre pouvoir de sanction même s’il n’est qu’un de nos outils, et certainement pas un but en soi, est un élément essentiel.


[Première partie : Le bilan] - Permettez-moi de commencer par quelques mots sur le bilan de notre action répressive.

Les échanges de cet après-midi, et en particulier ceux de la première table ronde sur le bilan et les perspectives du pouvoir de sanction de l’AMF, illustrent le chemin parcouru depuis 20 ans.

L’AMF est aujourd’hui l’une des autorités de régulation financière les plus exigeantes. Si l’on se penche sur les statistiques consolidées de l’Organisation internationale des commissions de valeurs sur les années 2020, 2021 et 2022, l’AMF fait partie des trois autorités au monde ayant le plus recours aux mécanismes de demandes d’assistance entre superviseurs dans le cadre d’accords internationaux de coopération et d’échanges d’informations. Réciproquement, nous sommes aussi parmi les plus sollicités par nos homologues étrangers. J’y vois un indicateur clé.

Depuis sa création, l’AMF n’a eu de cesse de renforcer sa capacité à être un régulateur crédible, doté de moyens d’action adaptés à son environnement.

Cet environnement a connu de véritables révolutions, qui ont conduit à une accélération et une globalisation, à la fois des échanges et des transactions.

Aujourd’hui, l’AMF peut se féliciter de ses outils, mais aussi et surtout de l’engagement de ses équipes, et ainsi d’être dotée d’un savoir-faire exceptionnel et reconnu, grâce à la qualité de ses collaborateurs. C’est l’occasion pour moi aujourd’hui de les saluer, notamment ceux qui ont en charge la surveillance, mais aussi nos enquêteurs et contrôleurs, nos juristes et, bien entendu, les membres de la Commission des sanctions, qui est indépendante du Collège, je le rappelle. Le projet de loi de finances pour 2024 – en cours de discussion au Parlement – prévoit un relèvement du plafond des effectifs de l’AMF  de 5 emplois (dits ETPT) – ce dont je me réjouis –. Ceci nous permettra de conforter une partie de nos expertises. Nous en souhaiterions, bien entendu davantage, compte tenu de l’ampleur de nos missions. Mais ce relèvement de notre plafond d’emploi, particulièrement rare dans l’univers public, est déjà une reconnaissance majeure de notre rôle et de nos besoins que je salue comme telle.

Ce savoir-faire et l’adaptation constante de l’AMF à son environnement, nous ont permis de détecter des pratiques nouvelles relevant des abus de marché, parfois complexes, et de les sanctionner y compris lorsqu’elles ont été commises à l’étranger tout en relevant bien entendu de notre compétence. Je pense, par exemple, à des affaires de manipulation de cours par recours au trading à haute fréquence ou encore  aux initiés opérant dans différents pays.

Les décisions rendues au cours des douze derniers mois par la Commission des sanctions illustrent ce bilan. En un an, comme l’a rappelé le président Jean Gaeremynck, la Commission des sanctions a prononcé un total de plus 126 millions d’euros de sanctions pécuniaires.

En tant que présidente du Collège, autorité de poursuite, je ne peux que me féliciter que la Commission nous ait souvent suivis, dans certains dossiers, pour lesquels nous avions requis des sanctions élevées, mais toujours justes et proportionnées au caractère exceptionnel des manquements constatés. Le Collège a, en effet, pratiqué avec une forte conviction une politique de demandes de sanctions pécuniaires élevées lorsqu’il a été confronté à des dossiers hors normes.

Le Collège s’attache également à ce que la politique répressive de l’AMF se préoccupe de l’ensemble des domaines qui entrent dans son champ de compétence.

Dans la période récente, il a ainsi, à titre d’illustration, ouvert une procédure de sanction à l’encontre d’une association de conseillers en investissements financiers.

Je rappelle, à cet égard, que les associations de conseillers en investissements financiers (elles sont au nombre de 4) jouent un rôle complémentaire à celui de l’AMF, car elles sont chargées par la loi d’un pouvoir de contrôle et de sanction de leurs membres.

Leur professionnalisme et leur rigueur sont donc des impératifs majeurs pour une régulation de qualité de cette profession qui compte aujourd’hui 6 000 membres. Nous souhaitons renforcer le dialogue qui est aujourd’hui fourni et constructif avec ces associations qui sont des partenaires essentiels pour l’AMF.

Notre but, en tant que régulateur, n’est pas d’afficher un nombre et un montant de sanctions toujours plus élevés, mais d’œuvrer à l’intégrité du marché, avec tous les outils qui sont les nôtres.

  • Le premier outil est en quelque sorte préventif. Je veux parler de notre action soutenue de clarification des textes applicables et d’accompagnement des acteurs dans la mise en œuvre de ces textes. L’objectif est de donner de la lisibilité aux travaux menés, et de la prévisibilité aux acteurs.

Nous publions donc régulièrement des contenus pédagogiques sur notre site internet. Depuis 2018, l’AMF publie tous les ans ses priorités de supervision. Un nouveau format de contrôles thématiques courts a été mis en place (je veux parler de nos contrôles dits « SPOT »), avec pour objectif de dresser un bilan des pratiques observées sur un panel de 5 à 6 acteurs et d’en partager les enseignements avec la Place. Dans quelques jours, nous publierons notre 30e synthèse SPOT. Nous réalisons aussi de plus en plus d’ateliers, y compris sous la forme de webinaires.

  • Le second outil relève davantage de notre politique répressive ; il s’agit de la composition administrative. Sur la base du rapport d’enquête ou de contrôle et des observations des personnes mises en cause, le Collège de l’AMF a la possibilité, depuis 2010, de proposer cette voie de la composition administrative. La transaction depuis s’est imposée comme une alternative pertinente et efficace à la procédure de sanction. Si les montants encourus sont les mêmes, elle présente notamment le mérite d’être rapide, pour les personnes concernées, comme pour le régulateur et est donc très complémentaire. Je précise que ces transactions sont évidemment soumises à l’homologation de la Commission des sanctions. Cette année, le cap des 100 transactions a été franchi. Depuis 2010, 106 accords ont ainsi été homologués par la Commission des sanctions. 
  • Je me félicite également de la bonne coopération avec la justice pénale. Elle s’illustre bien sûr avec la procédure d’aiguillage depuis sa mise en place en 2016. Avant de poursuivre des faits susceptibles de constituer des abus de marché, l’AMF consulte le Parquet national financier. L’objectif est de choisir de la voie pénale ou de la voie administrative laquelle est la mieux à même de traiter les faits reprochés. Plus récemment, cette coopération s’est également traduite au stade du jugement des affaires pénales. En effet, dans un dossier récent de manipulation de cours, dans lequel le prévenu a été condamné à une peine d’emprisonnement ferme et à une amende de 2,6 millions d’euros, la constitution de partie civile de l’AMF a été déclarée recevable. L’AMF a obtenu 1 euro symbolique en réparation du préjudice moral tenant à l’atteinte grave portée à la protection des épargnants, qui est l’une de nos missions prioritaires. Elle a également obtenu près de 100 000 euros en remboursement du coût de l’enquête. Lorsque l’AMF a eu à engager des moyens, notamment humains particulièrement importants, il a été reconnu qu’elle puisse obtenir réparation.

L’AMF poursuivra cette politique de présence active lors des audiences pénales. C’est indispensable, tant pour apporter aux juridictions notre expertise technique sur les dossiers, que pour éclairer les juges sur les conséquences concrètes des infractions pénales reprochées.


[Deuxième partie : L’avenir] – Après ces éléments de bilan, tournons-nous ensemble vers l’avenir.

Les échanges de cet après-midi illustrent la nécessité de regarder vers l’avenir pour maintenir notre ambition et pour renforcer encore notre capacité d’agir là où les enjeux de protection des épargnants et de bon fonctionnement des marchés sont les plus sensibles.

J’en ai fait, depuis ma nomination, l’une des priorités de l’AMF qui se traduit, je l’ai dit, dans nos orientations stratégiques. En écho à ces orientations, nos actions répressives doivent s’adapter aux nouveaux enjeux que constituent la finance durable et la finance numérique.

Il s’agit tout d’abord de renforcer nos moyens d’action en amont.

Nous devons, et c’est un souhait fort, renforcer notre capacité à détecter les comportements illicites et leurs nouvelles formes, et y apporter les réponses adaptées.

Plusieurs avancées sont déjà intervenues :

La loi du 9 juin 2023 sur l’influence commerciale permettra d’encadrer l’activité des influenceurs sur les réseaux sociaux, activité qui peut avoir des conséquences considérables pour un public souvent jeune.

Très concrètement, la loi introduit l’interdiction pour les influenceurs de faire la promotion de certains produits financiers risqués et complexes, de services sur actifs numériques dès lors que l’annonceur n’est pas enregistré ou agréé, ou des offres au public de jetons en l’absence de visa obtenu par l’annonceur.

Nos capacités en matière de blocage de sites ont été renforcées. Nous aurons la possibilité d’intervenir sur la totalité du périmètre des instruments financiers et la procédure en elle-même a été simplifiée, pour plus d’efficacité.

Je sais que cette loi est contestée, mais il me semble que sur les éléments qui nous concernent directement, elle constitue une avancée majeure qui intéresse d’ailleurs beaucoup nos collègues européens confrontés comme nous aux difficultés liées au rôle des « Fin influenceurs ». J’espère que nous pourrons préserver cette avancée.

Nous appelons, par ailleurs, de nos vœux d’autres avancées, pour nous permettre de renforcer nos actions en faveur de la protection des épargnants et de la bonne information des investisseurs.

Nous souhaitons, par exemple, élargir nos possibilités de recours à l’identité d’emprunt et nous doter d’outils de veille et de surveillance sur les réseaux sociaux qui nous permettent d’exploiter de manière automatisée des données publiques, aussi bien dans le cadre de notre activité de surveillance des marchés que des enquêtes pour abus de marché.

Nous espérons qu’un véhicule législatif se présentera prochainement pour porter cette évolution majeure pour renforcer l’efficacité de notre action.

Nous souhaitons également bénéficier d’un pouvoir d’injonction sous astreinte. Aujourd’hui, le Collège de l’AMF peut ordonner à toute personne de mettre fin à un manquement à ses obligations visant à protéger les investisseurs et, par exemple, de remédier à une mauvaise information du marché. L’AMF use rarement de ce pouvoir, notamment en raison de l’absence de possibilité d’assortir cette injonction d’une astreinte en cas d’inexécution. Cela passe là aussi par une modification législative que j’appelle de mes vœux.


La modernisation de nos moyens répressifs est aussi un sujet clé. J’ai souhaité que nous réfléchissions de manière très ouverte sur le renforcement et la modernisation de nos moyens répressifs et de leur impact. Mais avant cela, encore faut-il pouvoir préserver l’existant qui est parfois remis en cause.

L’AMF, comme l’ensemble des acteurs, est confrontée à une contestation régulière de la manière dont elle exerce ses pouvoirs. C’est la règle du jeu dans un Etat de droit. 

Une partie de notre action consiste donc à préserver nos moyens d’action ou à les adapter si nécessaire

Depuis le dernier colloque de la Commission des sanctions, des décisions favorables importantes sont intervenues qui ont permis de conforter notre arsenal juridique, mais aussi nos pratiques.

S’agissant des visites domiciliaires tout d’abord, qui ont fait l’objet de nombreux contentieux : un arrêt rendu par la Cour de cassation en décembre 2022 est revenu sur la notion d’ « occupant des lieux », confortant ainsi la pratique de l’AMF. Il réaffirme que lors d’une visite autorisée par un juge, les documents et supports d’information en lien avec l’objet d’une enquête qui se trouvent dans les lieux désignés par le juge ou accessibles depuis ceux-ci peuvent être saisis. Il n’est pas nécessaire que ces documents ou supports appartiennent à l’occupant des lieux.

S’agissant ensuite des données de connexion (les fadets) : celles-ci constituent un moyen d’enquête important. Elles ont été à nouveau questionnées par la jurisprudence l’an passé. Ce sujet a été largement abordé au cours de vos travaux cet après-midi, et plus particulièrement lors de la deuxième table ronde.

Je ne peux que me réjouir des arrêts du 10 mai dernier de la Cour de cassation, qui valident notre dispositif juridique et nous confortent dans l’utilisation des données de connexion dans les enquêtes pour abus de marché, dans le strict cadre fixé par la jurisprudence.

En revanche, un nouveau risque pèse désormais sur nos enquêtes et nos contrôles : la création d’un privilège de confidentialité (le legal privilege, en anglais) au bénéfice des consultations juridiques rédigées par les juristes d’entreprise. Un tel privilège est en effet susceptible de peser potentiellement sur l’efficacité de nos enquêtes. Il nous faut maintenant examiner si les garde-fous prévus par la loi permettront d’éviter des effets négatifs potentiels sur nos enquêtes.

Développer les moyens d’action de demain.

Au-delà de la préservation de l’existant, nous souhaitons enrichir notre gamme des suites à donner aux manquements que nous constatons et renforcer l’efficacité de notre action.

L’objectif est multiple : ce sera pour nous le moyen d’apporter à chaque dossier une suite, et que celle-ci soit la plus adaptée possible, pour gagner en efficacité et en rapidité de traitement.

Nous souhaitons disposer d’une procédure de transaction « simplifiée » pour traiter de manquements simples à des obligations déclaratives – par exemple –.

Nous espérons qu’un véhicule législatif pourra être trouvé prochainement pour nous permettre d’intégrer cette possibilité de réponse et ainsi de veiller plus efficacement encore à la bonne information du marché.  

Nous sommes également attentifs à la manière dont nos homologues, en France comme à l’étranger, procèdent pour mener à bien efficacement leurs missions respectives. Certaines pratiques peuvent être sources d’inspiration. Et des travaux comme ceux de cet après-midi sont très utiles pour nourrir nos réflexions sur des outils nouveaux et les bonnes pratiques à suivre.


En conclusion, j’espère vous avoir montré au travers de quelques exemples que nous sommes proactifs et désireux d’aller de l’avant. Et pourtant, je lis régulièrement des critiques à l’encontre d’une soi-disant inaction de l’AMF. Je vous l’affirme, il est totalement erroné de croire que l’AMF est inactive. Son action prend des formes très différentes. Certaines sont visibles, mais d’autres sont par nature plus confidentielles, ce qui ne les rend pas moins efficaces.

Prenons l’exemple de la supervision des entités régulées et des sociétés cotées. Au-delà de ses activités d’agrément ou d’autorisation, l’AMF est active au quotidien, au travers d’un dialogue très resserré avec les acteurs, notamment pour s’assurer que l’information donnée aux investisseurs est exacte, sincère et non trompeuse, qu’elle est adaptée, et qu’elle intervient dans les délais impartis par la réglementation. Cette action est essentielle. Elle est pourtant invisible à l’extérieur.

L’AMF est en effet tenue au secret professionnel sur les dossiers individuels. C’est sans doute la condition de notre capacité à mener en permanence ce dialogue exigeant avec les acteurs que nous régulons et les sociétés cotées.

Par ailleurs, lorsque notre action va jusqu’à l’ouverture d’une procédure de sanction, elle s’inscrit évidemment dans une temporalité qui n’est pas celle des marchés.  

L’action répressive du régulateur ne devient, en effet, « visible » qu’en toute fin de procédure, lors de la tenue de la séance publique de la Commission des sanctions et de la publication de la décision sur le site de l’AMF. Cela peut avoir un côté frustrant et j’en ai conscience. Pour autant, je peux vous l’assurer : l’AMF remplit pleinement ses missions et elle use pour cela de l’ensemble des moyens d’action, publics ou non publics, qui sont à sa disposition.

Je vous remercie de votre attention.

Prise de parole
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