Merci de désactiver le bloqueurs de pub pour visualiser cette vidéo.
Discours de clôture de Marie-Anne Barbat-Layani, présidente de l'AMF - 17e colloque de la Commission des sanctions de l'AMF, Mardi 24 septembre 2024

Discours de clôture de Marie-Anne Barbat-Layani, présidente de l'AMF - 17e colloque de la Commission des sanctions de l'AMF, Mardi 24 septembre 2024

Seul le prononcé fait foi

Madame la Présidente de la Commission des sanctions,
Mesdames et Messieurs les membres du Collège et de la Commission des sanctions,
Mesdames et Messieurs en vos grades et qualités,

Je suis très honorée de conclure ce 17e colloque de la Commission des sanctions de l’AMF. Je commencerai donc par remercier sa présidente, qui m’a proposé cette intervention, ainsi que l’ensemble des intervenants qui ont échangé cet après-midi sur deux thématiques clefs :  l’application du contradictoire dans la procédure de sanction et la répression de la diffusion de l’information fausse ou trompeuse par les sociétés cotées.

  • Sur le premier sujet, l’application du contradictoire dans la procédure de sanction, je commencerai par réaffirmer une évidence, mais cela va mieux en le disant : l’Autorité des marchés financiers est attachée aux droits de la défense.

Cela nécessite des adaptations permanentes, car le contexte et les perceptions évoluent. C’est pourquoi, au fil des années, le renforcement du contradictoire dans la procédure répressive a contribué à cet objectif, mais aussi à la solidité des décisions rendues et, ce faisant, à la crédibilité du régulateur.

  • Sur le second sujet, nous sommes évidemment très vigilants à ce que l’information diffusée au marché par les sociétés cotées soit exacte et non trompeuse, et qu’elle intervienne dans les délais. C’est la condition du bon fonctionnement des marchés financiers, dont le rôle est fondamental pour le financement de l’économie. C’est donc un objectif clef.

Le bon fonctionnement des marchés est donc naturellement, avec la protection de l’épargne investie dans des instruments financiers, au cœur des missions que nous a confiées le législateur.  Cela implique de veiller à la bonne information des investisseurs.

Nous avons rappelé cet objectif fondateur dans nos orientations stratégiques 2023-2027, « impact 2027 », dont la première orientation transversale est d’être « un régulateur exigeant pour une place financière de premier plan ». Cette exigence s’exerce au quotidien, en utilisant tous les outils juridiques que nous a confié le législateur. La sanction en est un. Elle n’est pas le seul, même si les autres sont moins visibles. Permettez-moi d’en évoquer certains.

Astrid Milsan, qui dirige la direction des émetteurs et des affaires comptables de l’AMF, a évoqué cet après-midi les différentes formes que pouvait prendre l’action de l’Autorité s’agissant des sociétés cotées.

Il en va de même pour les sociétés de gestion. Nous intervenons d’abord en amont des agréments des acteurs et des produits, pour nous assurer que les exigences réglementaires sont comprises et respectées. Dans le cadre de notre action de supervision, nous intervenons également après l’agrément, en effectuant un suivi pour nous assurer du respect permanent de la réglementation, de la bonne information des investisseurs, et de la protection de l’épargne.  

Il y a une gradation dans la montée en puissance de notre action. Dans les phases de mise en œuvre de textes nouveaux, dans un premier temps, notre action se veut d’abord pédagogique et préventive. Notre contribution aux travaux, désormais principalement européens, de clarification des textes, comme nos actions de pédagogie, favorisent une meilleure appréhension, et nous l’espérons, une meilleure mise en œuvre par les professionnels des obligations nouvelles. Nos contrôles « SPOT » (pour Supervision des Pratiques Opérationnelle et Thématique) sont à cet égard un outil essentiel : ce sont des contrôles à visée non répressive, qui nous permettent d’identifier les bonnes et les mauvaises pratiques, et dont les résultats sont publiés.

Ils nous sont utiles pour affiner nos travaux, mais aussi pour clarifier les attentes du régulateur et donner, sur la base d’exemples réels et concrets, des signaux clairs à la Place financière. 

Au fil du calendrier d’application des textes, notre action intègre ensuite de plus en plus une dimension de supervision et de vérification du bon respect des textes. Les contrôles pédagogiques demeurent, mais sont progressivement accompagnés de contrôles classiques, qui sont susceptibles d’aboutir à des sanctions. Personne n’est pris en traitre, les attentes du régulateur ayant été préalablement clarifiées.

Dans le domaine de la finance durable, par exemple, notre programme de supervision pour 2024 prévoit la montée en puissance du contrôle du respect des règles par les acteurs de la gestion d’actifs, en plus de nos actions d’accompagnement.

Nous avons d’ailleurs pris, cette année, une première mesure répressive à l’égard d’une pratique de greenwashing dans une société de gestion, sous la forme d’une transaction, qui entre également dans notre palette d’outils répressifs. 

Dernier étage de cette gradation : la sanction. Si la sanction n’est pas un objectif en soi, elle est un gage de crédibilité et d’intégrité réelle de la Place et de la capacité du régulateur à la garantir. De ce point de vue, l’AMF est une autorité particulièrement active.

Les dernières données publiées par l’Autorité européenne des marchés financiers (ESMA) montrent que les sanctions prononcées par la Commission des sanctions de l’AMF en 2022 représentent à elles seules une part très significative des sanctions prises au sein de l’Union européenne. Elles représentent ainsi 60 % du montant total des sanctions prononcées en matière de manquements à la directive AIFM, et même 98 % en matière de manquements à la directive OPCVM. Certes, la taille de notre place financière est à prendre en compte, mais cela n’explique pas tout : j’y vois la preuve de notre fort engagement pour assurer l’intégrité d’une place financière qui n’a jamais fait le pari du laxisme ou du moins-disant réglementaire.

Le dernier rapport de l’ESMA sur les abus de marché, qui porte sur l’exercice 2021, témoigne également de la détermination de l’AMF dans ce domaine : les sanctions prononcées par la Commission des sanctions de l’AMF représentent à elles seules plus de 70 % du montant agrégé à l’échelle de l’Union européenne.

Ceci m’amène naturellement à évoquer devant vous aujourd’hui un sujet sur lequel nous sommes pleinement mobilisés, celui de la lutte contre la grande délinquance financière, et en particulier contre les réseaux d’initiés internationaux.

Depuis quelques années, dans le cadre de nos activités de surveillance des marchés et d’enquête, nous observons la montée en puissance d’un phénomène international : celui de réseaux d’initiés, impliquant un nombre de personnes et de montants investis très conséquents. Il s’agit de groupes d’individus qui s’organisent pour obtenir, illégalement et de manière répétée, des informations privilégiées sur des sociétés cotées afin de les utiliser, à la veille d’annonces importantes comme des offres publiques d’achat ou la publication de résultats financiers par exemple.

Pour obtenir ces informations, les réseaux d’initiés vont, dans certains cas, tenter d’obtenir des informations privilégiées de la part de banquiers d’affaires, d’avocats ou encore de collaborateurs de sociétés cotées, en leur proposant de l’argent ou des cadeaux ou des avantages. Certains groupes procèdent également par piratage informatique en s’introduisant sur des serveurs pour prendre connaissance de projets de communiqué de presse ou d’autres documents confidentiels avant qu’ils ne soient rendus publics.

Certains réseaux semblent désormais s’associer à des organisations criminelles, qui sont en mesure de leur fournir une plus grande surface financière pour investir. Le phénomène est donc particulièrement grave. Et les modes opératoires peuvent impliquer une cascade de structures à l’étranger, qui rendent les enquêtes complexes et tributaires d’une bonne coopération avec nos homologues étrangers.

L’activité de ces réseaux a été identifiée sur d’autres places financières. La Financial Conduct Authority britannique a d’ailleurs communiqué sur le sujet en février dernier.

L’AMF est pleinement mobilisée face à cette criminalité organisée. Nous œuvrons au renforcement de la coopération entre les différentes autorités concernées au niveau national, notamment avec le Parquet national financier. Nous aurons l’occasion d’en reparler prochainement, en particulier lors du colloque organisé les 14 et 15 octobre prochain pour célébrer les 10 ans d’existence du PNF. L’AMF coopère intensément avec ses homologues étrangers pour enquêter efficacement sur ces réseaux.

Selon les statistiques de l’Organisation internationale des commissions de valeurs (OICV), organisation qui réunit les régulateurs de marché du monde entier, l’AMF a fait partie du trio de tête des régulateurs ayant le plus recours aux mécanismes de demande d’assistance entre superviseurs dans le cadre d’accords internationaux de coopération et d’échange d’informations. L’an passé, selon des données provisoires, l’AMF est l’autorité qui a envoyé le plus grand nombre de requêtes à ses homologues. C’est la raison pour laquelle nous avons été très proactifs dans la réforme adoptée récemment à l’OICV pour rendre ces coopérations entre superviseurs plus efficaces.

Durant l’été, nous avons par ailleurs renforcé nos actions de sensibilisation, auprès de différentes associations professionnelles de l’écosystème juridique et financier.

Face à ces réseaux, face aux mécanismes opaques qu’ils mettent en place, la lutte contre les manquements à la réglementation comme la répression de la délinquance financière exige des moyens adaptés.

A l’occasion de la précédente édition de ce colloque, j’avais présenté un certain nombre d’évolutions juridiques que nous appelions de nos vœux pour étoffer nos moyens d’enquête et améliorer encore l’efficacité de notre action répressive.

Certaines de ces propositions sont directement inspirées par l’évolution des modes d’information et de communication. D’autres par les bonnes pratiques d’autres autorités en France ou à l’étranger, avec qui nous échangeons régulièrement.

Je citerai quatre priorités.

  • Premièrement, en matière d’abus de marché et notamment dans notre lutte contre les réseaux d’initiés, nous souhaitons bénéficier d’un dispositif de clémence en s’inspirant de mécanismes de réduction ou d’exemption de peines prévus par le code pénal, à l’image du dispositif de clémence de l’Autorité de la concurrence.
  • Deuxième priorité : nous souhaitons élargir nos possibilités de recourir à l’identité d’emprunt, pour nos collaborateurs, et nous doter d’outils de veille et de surveillance sur les réseaux sociaux qui nous permettent d’exploiter de manière automatisée des données publiques : je veux parler ici du « web scraping », aussi bien dans le cadre de notre activité de surveillance des marchés et de protection des épargnants, que pour nos enquêtes sur les abus de marché.
  • Troisième priorité : dans le cadre de notre mission de veille sur la bonne information des investisseurs, nous souhaitons que notre pouvoir d’injonction soit assorti d’une astreinte. L’astreinte aurait le mérite de contraindre de façon encore plus efficace une société cotée à remédier à une situation de mauvaise information du marché lorsque l’AMF en fait la demande.
  • Quatrième priorité : un mécanisme de transaction simplifiée, qui nous permettrait de mettre fin à des pratiques qui nous font perdre beaucoup de temps et de concentrer nos moyens d’enquête et de contrôle sur les sujets les plus graves, en traitant rapidement les manquements simples à des obligations déclaratives.

J’espère qu’un véhicule législatif viendra bientôt permettre de nous doter de ces dispositifs, de nature à renforcer notre action.

Au-delà des moyens juridiques, nous avons besoin de moyens humains et techniques à la hauteur des enjeux qui sont les nôtres.

Il s’agit de protéger efficacement l’intégrité de la première place financière européenne.

Il s’agit d’empêcher l’utilisation des marchés financiers par la criminalité organisée.

Il s’agit de protéger les investisseurs contre des arnaques et des fraudes que le numérique, et maintenant l’intelligence artificielle, rendent de plus en plus efficaces. 

J’ai déjà eu l’occasion de le dire : les moyens de l’AMF sont cruciaux. Je forme donc le vœu que les pouvoirs publics continueront à donner à l’AMF les moyens de déployer son action au service de l’intérêt général.

Je vous remercie de votre attention.