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Discours de Robert Ophèle, président de l'AMF - Forum Fintech ACPR-AMF - Lundi 12 octobre 2020

Discours de Robert Ophèle, président de l'AMF - Forum Fintech ACPR-AMF - Lundi 12 octobre 2020

Seul le prononcé fait foi

Bonjour à tous,

En clôture de cette matinée, je voudrais insister sur la complémentarité naturelle des trois plans stratégiques qu’a retenus la Commission européenne et dont la mise en œuvre devrait conditionner la prospérité de l’Union dans les prochaines années : l’Union des marchés de capitaux, la finance numérique et le pacte vert. Complémentarité et donc contribution que la finance numérique peut apporter à la réussite de l’Union des marchés de capitaux et à la concrétisation du pacte vert.

La finance numérique peut apporter une contribution décisive à la réussite de l’Union des marchés de capitaux. L’Autorité des marchés financiers s’emploie depuis de nombreuses années à favoriser les innovations, tout en gérant les nouveaux risques qu’elles posent. Je ne peux donc que me réjouir que l’Union européenne ait fait le choix de la régulation, dans le cadre du nouveau paquet législatif Finance numérique, que ce soit dans le domaine des crypto-actifs, ou dans le domaine de la résilience opérationnelle du secteur financier.

La Commission européenne a prévu deux règlements transversaux sur les crypto-actifs : l’un sur les crypto-actifs instruments financiers, l’autre sur les crypto-actifs qui ne sont pas instruments financiers.

Pour ce qui est des crypto-actifs instruments financiers – les security tokens – la Commission propose un régime innovant pour des infrastructures de marché innovantes. Il s’agit en effet d’un régime d’exemption à certaines des obligations issues de la réglementation européenne, au bénéfice des infrastructures de marché sur blockchain. Ces exemptions sont très ciblées. Elles doivent être sollicitées en amont de l’activité auprès du régulateur, qui vérifiera le bien-fondé des exemptions au cas par cas. Ce régime d’exemption, dit « régime pilote », permet l’expérimentation de nouveaux modèles de plateformes.

Nous avions défendu cette approche et échangé à ce sujet avec nombre de nos homologues régulateurs européens. Je me réjouis donc qu’un consensus se soit dégagé sur le principe d’exemption, comme le souligne la Commission européenne dans son exposé des motifs.

« Member State representatives expressed overall support for the approach chosen to create a pilot regime to allow for experimentation with the application of DLT in financial services. They highlighted it should not be too restrictive, but at the same time cannot lead to market fragmentation or undermine important existing regulatory requirements ».


Je me réjouis également qu’on évoque un règlement et non une directive ; une union ne se construit pas sur la base de 27 transpositions de directives d’harmonisation minimale. En tout état de cause, ce règlement est une très bonne nouvelle pour la promotion de l’innovation, parce qu’il permet de débloquer plusieurs projets innovants d’infrastructures de marché, en levant les obstacles réglementaires qui avaient été identifiés, en particulier l’obligation d’une gestion centralisée des négociations et services de dépositaire alors même que les blockchains fonctionnent par consensus et sont donc, par essence, décentralisées.  

Quels sont les gains potentiels à attendre en autorisant ce type de plateformes ? Il s’agit de réduire les coûts des paiements transfrontaliers et d’améliorer leur rapidité, il s’agit également de rationaliser les processus de règlement-livraison en diminuant le nombre d’étape de traitement, et par voie de conséquence, réduire les coûts de frottement et diminuer les risques induits par ces processus. Il s’agit également de conserver une Europe compétitive à un moment où ces approches se déploient désormais dans de nombreux pays.

Il ne faut pas croire qu’exempter des plateformes à une portion de leurs obligations signifie que le suivi de ces infrastructures serait une approche laxiste. Au contraire, le mécanisme de gouvernance envisagé par la Commission est un suivi rapproché :

  • d’abord par l’autorité nationale compétente qui aura la responsabilité du suivi du modèle d’affaires innovant – et l’AMF s’y emploiera évidemment ;
  • ensuite, suivi de l’ESMA, qui verra passer tous les projets d’infrastructure, donnera son avis et contrôlera l’uniformité du dispositif dans l’Union.
     

Mais nous pouvons sans doute être encore un peu plus audacieux :

  • en ouvrant le régime d’exemption à tout type d’acteurs, y compris les nouveaux entrants, sans relâcher les contraintes qui pèseront sur les projets. Cela favorisera une saine concurrence, donnant le maximum de chances à l’Europe dans la course au progrès technologique ;
  • en élargissant la gamme des PME pouvant bénéficier de la cotation/admission de ses titres sur les infrastructures sur blockchain ; c’est nécessaire pour assurer l’équilibre financier des projets que nous connaissons ;
  • en prenant garde de ne pas interdire d’emblée certains modèles d’affaires. Nous devons rester prudents et humbles devant les progrès technologiques afin d’avoir une réponse équilibrée.

Ainsi, il va nous falloir tous travailler dur mais, au moins, nous serons armés juridiquement pour développer et réguler les évolutions des infrastructures de marché, le cœur du réacteur.

L’Union européenne a également fait le choix de réguler les crypto-actifs qui ne sont pas des instruments financiers. Oui, il est temps de réguler les marchés de bitcoin, d’éther et autres crypto-actifs. Nous le ferons avec d’autant plus d’efficacité que nous le ferons de façon harmonisée et concertée dans toute l’Union, avec un régime unique pour les émissions et les prestations de services. Le règlement européen MiCA, pour Markets in Crypto-Assets, prévoit un encadrement des Initial Coin Offerings et des Prestataires de services sur actifs numériques, nos PSAN.

Nous faisons un grand pas en avant : non seulement le règlement MiCA garantira une réglementation harmonisée dès le départ, mais il permettra deux mécanismes de passeport : un passeport pour les offres de jetons, l’autre pour la fourniture de services d’investissement sur crypto-actifs. Nul doute que cela renforcera l’Union des marchés de capitaux.

C’est également attendu par les prestataires de services sur crypto-actifs européens. Ils sont de taille encore modeste dans l’Union, nous pouvons espérer voir un bon nombre d’entreprises changer d’échelle grâce à la profondeur du marché unique européen. L’approche de régulation doit, quant à elle, rester proportionnée à la taille des entreprises du secteur.

La loi Pacte cessera donc de s’appliquer le jour où le règlement MiCA entrera en vigueur. Dans l’attente, le régime de la loi Pacte s’impose et me semble une bonne préparation au régime européen. Il impose aussi une hausse des standards du secteur et les efforts consentis par les prestataires de services sur crypto-actifs ne seront pas perdus. Ce que le régulateur aura vérifié n’aura pas à être revérifié au moment de l’instruction des dossiers d’agrément MiCA puisque le règlement prévoit que ce qu’un régulateur a déjà vérifié à propos d’un PSAN ne sera pas à revérifier à l’instruction. La transition en sera facilitée.

Afin de faciliter la constitution des dossiers, l’AMF a d’ailleurs publié il y a quelques semaines un document répondant aux questions les plus fréquentes qui lui sont posées par les entreprises souhaitant obtenir un enregistrement et/ou un agrément de PSAN, qu’elles soient françaises ou étrangères ; je vous y renvoie.

Le Collège de l’AMF a enregistré à ce jour quatre prestataires de services sur actifs numériques et, d’ici à la fin de l’année, nous pourrions en avoir enregistré une vingtaine d’autres. Dans une seconde étape, certains d’entre eux ont indiqué vouloir demander un agrément. Ceci confirme le dynamisme de l’écosystème français.


Innovations financières au service de la finance donc, mais innovation financière au service de la finance durable.

Les fintechs sont souvent associées à l’énorme consommation d’énergie mobilisée par certaines technologies blockchains. C’est naturellement très largement réducteur, et je souhaite attirer votre attention sur les apports décisifs des fintechs dans le domaine de la finance verte. Bien entendu, toutes les applications des fintechs  que nous venons d’évoquer peuvent se décliner dans la finance verte, que ce soit le crowdfunding pour des projets verts, les ICO avec par exemple l’émission de jetons représentatifs de kwh d’énergie renouvelable, ou les STO pour les actions ou obligations émises par des sociétés engagées dans la lutte contre le réchauffement climatique ou encore le développement de plateformes qui sur la base d’une technologie  blockchain rassemble de façon sécurisée les données pertinentes concernant les émetteurs de green bonds (green assets wallet). Mais il me semble que, dans certains cas, ces fintechs sont particulièrement pertinentes voire incontournables.  C’est ainsi le cas avec la mobilisation des ressources de l’intelligence artificielle pour des analyses ESG, avec la gestion des risques liés au réchauffement climatique et le développement des produits d’assurance couvrant les catastrophes naturelles. Pour se convaincre de l’apport des fintechs à la finance verte, je vous invite à examiner la liste des projets identifiés dans ce secteur par Finance for Tomorrow.

À l'ère du numérique, les technologies de l'information et de la communication soutiennent des systèmes complexes. La numérisation et l'interconnexion accrues amplifient les risques liés aux technologies de l’information et de la communication, ce qui rend la société dans son ensemble, et le système financier en particulier, plus vulnérables aux cyber-menaces ou aux perturbations des systèmes d’information.

L’initiative de la Commission européenne de compléter son paquet numérique par un règlement DORA, pour « Digital Operational Resilience (Act) for the financial sector », couvrant l’ensemble du secteur est donc bienvenue. Il couvrira ainsi les entreprises d’investissement, les établissements de crédit, les sociétés de gestion de portefeuille, les prestataires de services de crypto-actifs, l’ensemble des infrastructures de marché, les référentiels centraux de données. L’ambition est forte puisqu’il s’agit de généraliser les meilleurs standards. DORA exigera notamment des établissements financiers qu'ils mettent en place des cadres complets de gouvernance et de contrôle internes pour les risques liés aux technologies de l’information et de la communication. Les établissements financiers devront avoir et maintenir des systèmes et des protocoles mis à jour, ainsi que d'identifier et de documenter les sources potentielles de risques, en particulier les configurations qui s'interconnectent avec les systèmes d’informations internes et externes.

En effet, le recours à l’externalisation est une tendance lourde qui pose la question du contrôle des risques attachés aux prestataires, puisque l’insuffisance de ces contrôles constitue généralement l’une des principales vulnérabilités identifiées dans le secteur financier. Le projet de législation DORA définit des principes clés pour la gestion du risque de tiers lié aux technologies de l’information et de la communication ; lors de l’élaboration d’un contrat de sous-traitance, tout établissement financier devra ainsi intégrer à sa réflexion le risque que son prestataire ait recours à un fournisseur de services tiers dominant et non facilement substituable, au deuxième niveau.

Si l'introduction d'exigences aussi strictes entraînera des coûts significatifs de mise en œuvre pour les différentes parties prenantes, il s’agit cependant d'une étape essentielle vers une plus grande résilience du secteur financier dans son ensemble, favorisant ainsi la confiance qui est un prérequis pour pouvoir proposer des services financiers performants.