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Discours de Marie-Anne Barbat-Layani, présidente de l'AMF - Conférence organisée par les Masters Droit des Affaires et Finance d’entreprise et ingénierie financière dans le cadre des House of Finance Days - " Finance durable : Risques et opportunités p...

Discours de Marie-Anne Barbat-Layani, présidente de l'AMF - Conférence organisée par les Masters Droit des Affaires et Finance d’entreprise et ingénierie financière dans le cadre des House of Finance Days - " Finance durable : Risques et opportunités pour les entreprises" - 5 mars 2024 - Université Paris-Dauphine

Seul le prononcé fait foi

Monsieur le Président (de l’Université Paris Dauphine PSL, Monsieur Président El Mouhoub Mouhoud), Madame la Professeure Sophie Schiller, Messieurs les Professeurs (Maurice Nussenbaum, Professeur à l’université Paris Dauphine, Jean-Marc Moulin, Professeur à l’Université de Perpignan et Alain Couret, Professeur émérite à l’Université Paris I),
Mesdames, Messieurs,
Chers étudiants des Masters« Droit des Affaires » et « Finance d’entreprise et ingénierie financière »

C'est avec un grand plaisir que j’ai l’honneur d’introduire avec le Président El Mouhoub Mouhoud cette conférence organisée à l’occasion de la publication de cet important ouvrage sur un thème qui me tient particulièrement à cœur : « La Finance durable », dont j’ai d’ailleurs rédigé la Préface.

Je remercie le Président El Mouhoub Mouhoud d’accueillir ce colloque ici, à l’Université Paris Dauphine, dont la réputation et le prestige ne sont plus à démontrer. 

En effet, pour parler d’un sujet aussi déterminant que la finance durable pour l’avenir des entreprises et du secteur financier, mais aussi de notre société toute entière, quoi de plus logique que de le faire ici, directement auprès des cadres et dirigeants de demain ?

Cela répond à un intérêt très fort de la part des jeunes diplômés ou futurs diplômés, et on peut d’ailleurs s’en réjouir. Je remettrai d’ailleurs les diplômes aux étudiants du Master de Droit des Affaires très prochainement dans les locaux de l’AMF, le 25 mars prochain.

Cet intérêt ne faiblit pas avec l’obtention d’un diplôme, et se retrouve intact dans l’engagement des jeunes collaborateurs de l’AMF, et pas uniquement des jeunes, d’ailleurs. J’ai parfois l’impression d’avoir une ONG interne. Je ne m’en plains pas. C’est pour moi une motivation formidable que d’apporter des réponses à cet engagement, à la fois au travers de l’action de l’AMF, dont la finance durable est clairement un des principaux piliers, mais aussi au travers de son propre mode de fonctionnement, qui se doit d’être exemplaire. En tant que Présidente de l’AMF, j’estime qu’il est de mon devoir d’offrir à mes collaborateurs un véritable alignement entre leurs valeurs et aspirations personnelles, et ce qu’ils vivent et font au travail. 

Nous devons prendre en compte cette attente : nous sommes tous témoins d’une aspiration croissante à une finance qui a un sens, une finance utile, une finance qui s'engage véritablement pour le bien commun, une finance qui, comme nous nous efforçons de le faire à l'AMF, « agit pour le réel ». La transition énergétique est une priorité collective et une urgence absolue. 

Je l’ai exprimé très directement lors de mes récents vœux à la Place financière : « il n’est de finance que durable ». J’ai sciemment employé le présent, car c’est maintenant qu’il faut agir, pas demain. 

La promotion de la finance durable constitue l’une des principales priorités stratégiques de l’AMF, qui est pleinement mobilisée pour accompagner le financement de la transition énergétique. 

Les tables-rondes de cet après-midi sont une opportunité exceptionnelle d’offrir à la fois un aperçu et un complément des sujets abordés dans l’ouvrage excellemment coordonné par les Professeurs Sophie Schiller, Jean Marc Moulin et Maurice Nussembaum. Un aperçu, d’abord puis que nous avons le plaisir d’avoir ici plusieurs contributeurs à l’ouvrage, et un complément, parce que les échanges seront l’occasion d’ouvrir la discussion et de croiser les retours de praticiens et d’universitaires chevronnés. 

Cette conférence sera l’occasion de mettre en perspective les enseignements issus de la profondeur historique du marché français sur les sujets extra-financiers, catalysée par une volonté politique forte d’aller de l’avant. Dès le début des années 2000, nous avons en effet vu naître en France des premières obligations de reporting extra-financier pour les entreprises, ainsi que la création de produits financiers orientés sur la prise en compte du pilier social. 

Acteurs économiques (entreprises mais aussi investisseurs) et pouvoirs publics ont agi de concert, contribuant ainsi à la maturité du marché français : labels, pratiques volontaires, puis essor de la règlementation.

C’est grâce à la dynamique entre pratiques volontaires des acteurs les plus avancés et développements réglementaires que nous avons bénéficié d’un cercle vertueux en matière de RSE qui me semble unique, et qui a fait de la Place de Paris l’une des places de tout premier rang en matière de finance durable, avec un écosystème robuste, mature et ambitieux. Garder ce positionnement pionnier et ambitieux est un des objectifs majeurs que j’ai évoqués pour la Place de Paris au début de l’année 2024, année des Jeux Olympiques : la Place de Paris est la première place financière européenne, et, de très loin, la première Place financière de l’Union européenne. Cela lui donne une responsabilité particulière, et elle doit aussi viser la première place du podium en matière de finance durable !

L'ouvrage dont nous marquons aujourd'hui la publication retrace le chemin de cette évolution, offrant une vision exhaustive et éclairée des multiples facettes de la finance durable. De la genèse de ce concept à sa concrétisation dans les pratiques financières et réglementaires, en passant par les défis et les opportunités qu'elle présente pour les entreprises et les investisseurs, cet ouvrage offre un précieux guide, sans équivalent, pour quiconque souhaite comprendre et s'engager dans ce domaine crucial.

Les thèmes des trois-tables rondes reflètent ce tour d’horizon complet où seront abordés un large éventail de thématiques, allant du droit à la finance en passant par l'audit, soulevant des sujets fondamentaux comme le financement des entreprises, la fiscalité, le devoir de vigilance, la comptabilité verte, les enjeux sociaux, l’interrogation sur la création de valeur. Et ce, avec une diversité de points de vue, avec ces sujets vus depuis les entreprises, mais aussi les investisseurs, les banques, les assureurs, les gérants d'actifs, les labels et les agences de notation ESG et le régulateur des marchés financiers. 

Nous avons la chance d’avoir ainsi toute la chaîne de valeur de l’investissement durable représentée. Cette conférence sera l’occasion de mettre en perspective la complémentarité des acteurs, les difficultés qu’ils rencontrent pour identifier, puis gérer les risques et opportunités que font naître la transition vers une économie durable, de même que les solutions mises en œuvre. Des discussions riches et stimulantes nous attendent, explorant la création de valeur, la fiscalité, la prévention du greenwashing, les contrôles et les risques associés à cette nouvelle ère financière.

On le sait, les besoins de financement pour réaliser cette transition sont énormes. Les chiffres suivants parlent d’eux-mêmes : au niveau européen, selon une étude de la Commission européenne, le besoin de financement supplémentaire est évalué à 480 milliards an sur 10 ans dont 350 milliards pour la réduction des émissions de gaz à effet de serre dans le secteur énergétique. 

Au niveau français uniquement, les efforts d’investissement supplémentaires estimés à 66 milliards d’euros par an par le rapport de Jean Pisani-Ferry & Selma Mafhouz. Le rôle de la finance sera donc déterminant.

Satisfaire ces besoins suppose d’accomplir une véritable révolution industrielle et financière, doublée d’une véritable révolution réglementaire, avec la directive CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive) qui impose la création en quelques années seulement d’un système de reporting extra-financier normé et standardisé. Les panélistes de la première table-ronde nous permettront de mieux comprendre les enjeux liés à la mesure de cette performance dite extra-financière, mais surtout, de mener une interrogation plus profonde encore sur le sens de la création de valeur dans ce contexte.

La transparence permet de suivre l’évolution des pratiques des entreprises et des acteurs financiers. Ces dernières années ont vu des innovations se multiplier tant dans l’ingéniosité des solutions développées pour enclencher la transition, que dans l’ingénierie pour les financer. A titre d’exemple révélateur, selon BPI France, les levées de fonds des pépites françaises qui participent à la transition écologique ont dépassé 2,5 milliards d’euros en 2022, représentant 19 % du total levé par les start-ups françaises. La seconde table-ronde permettra de rentrer dans le détail des pistes pour les acteurs, de même que les challenges qui les attendent parmi lesquels le risque de greenwashing. Mais au-delà des débats et des analyses, cette conférence est également une invitation à l'action. La finance durable ne peut rester une simple aspiration intellectuelle, elle doit se traduire en actions concrètes et en engagements tangibles.  

C’est dans cette volonté de crédibilité et de confiance que nous inscrivons notre action à l’AMF. L’engagement de l’AMF sur les sujets « RSE » et d’investissement socialement responsable (ISR) n’est pas nouveau : c’est même une des composantes les plus puissantes de l’ADN de l’AMF. 

Nous l’avons encore ré-affirmé avec force dans nos Orientations stratégiques 2023-2027 «  Impact 2027 ».  En tant que régulateur, l’AMF est au cœur des attentes multiples qui caractérisent l’univers de la finance durable. 

Le positionnement du régulateur est évidemment singulier, car nous devons à la fois être un aiguillon pour les acteurs économiques dans les domaines dont nous avons la charge, mais aussi les accompagner efficacement dans un univers réglementaire complexe, qui s’est construit de manière particulièrement volontariste en Europe, avec un calendrier rapide et des normes parfois pas totalement cohérentes. 

Nous avons aussi une responsabilité particulière vis-à-vis des investisseurs et des épargnants, celle de lutter contre le « greenwashing », sur des bases qui restent souvent incomplètes ou peu précises. Nous avons la chance d’intervenir à différents niveaux : de l’élaboration des règles à leur application.

Nous sommes également confrontés à une gestion de temporalités parfois difficiles à concilier. Face à l’urgence climatique, beaucoup attendent de nous une action urgente et nous les comprenons fort bien. 

Mais si l’on prend le cas des sanctions - on nous reproche parfois de ne pas avoir prononcé à ce stade dans le domaine de l’ESG -, il faut savoir qu’elles sont prononcées à l’issue d’enquêtes approfondies, dans le respect du principe du contradictoire, et au terme d’un processus qui peut donc difficilement intervenir moins de trois à cinq ans après les faits. 

Ce n’est pas forcément simple à expliquer, d’autant que rien de ce qui se passe avant le prononcé d’une sanction par notre Commission des sanctions, n’est public, mais c’est ainsi que fonctionne un Etat de droit. 

Ceci dit, la sanction n’est que la partie la plus visible de notre action : elle n’est pas un but en soi, et notre action de supervision quotidienne est au moins aussi importante. La revue que nous effectuons de l’information financière mais aussi extra-financière des entreprises cotées est, par exemple, l’occasion d’un dialogue parfois très musclé avec les émetteurs. Cela ne se voit pas, mais la qualité de la communication des entreprises résulte souvent d’exigences imposées par l’AMF. 

Si je prends un autre exemple, qui a beaucoup agité la Place de Paris et jusqu’au Parlement, au cours de ces derniers mois, celui des « résolutions climatiques » (le fameux « say on climate »), l’AMF a pris une position à la fois très allante et très responsable, en capitalisant sur les travaux du Haut conseil juridique de Place. Tout en plaidant pour un dialogue actionnarial très pro-actif des entreprises à l’occasion des assemblées générales dès maintenant, nous avons indiqué qu’il était prématuré de rendre de telles résolutions obligatoires, dans l’attente d’un cadre européen plus précis que la directive CSRD va permettre de faire émerger progressivement, et nous avons invité le législateur à prévoir, le moment venu, un vote des actionnaires sur le rapport de durabilité audité dans le futur cadre de cette directive.

Comprendre comment se déclinent aujourd’hui concrètement les missions de l’AMF en matière de finance durable nécessite de rappeler dans quel contexte elles s’inscrivent. 

En effet, depuis 2018, la réglementation en matière de finance durable s’est développée à un rythme sans précédent en Europe. Si ces développements à l’échelle européenne ne peuvent qu’être salués, ils représentent un réel défi pour les acteurs pour plusieurs raisons. 

C’est pourquoi il est crucial que l’action de l’AMF en matière de finance durable se traduise par une participation active aux travaux menés au niveau national, mais surtout européen, sur la clarification du cadre réglementaire. 

Nous plaidons ainsi pour une revue de ce cadre et formulons des propositions permettant d’en revoir les éléments de fragilité les plus criants. 

De manière particulièrement évidente, le régime de transparence applicable aux produits d’investissement, issu du règlement « SFDR » (Sustainable Finance Disclosure Regulation) est aujourd’hui problématique car il peut induire en erreur les investisseurs. 

Il génère de par ses incertitudes un nouveau risque, celui de « green bleaching », qui traduit la renonciation d’un nombre croissant d’acteurs financiers à mettre en avant les caractéristiques ESG de peur d’être accusés de « greenwashing ». 

C’est pourquoi, nous venons de publier une proposition de révision de ce règlement qui suggère notamment d’intégrer dans ce cadre la notion tout à fait essentielle de transition, en nous appuyant pour ce faire notamment sur les travaux de l’Institut de la Finance durable.

De même, nous pensons que la régulation des fournisseurs de données ESG n’est pas assez étendue : après la réglementation des notations ESG, qui vient d’aboutir en Europe, nous appelons à ce que la fourniture de données fasse aussi l’objet d’un encadrement réglementaire.

L’action de l’AMF passe également par la pédagogie et l’accompagnement des acteurs dans la prise en compte de ces règles. Cet accompagnement peut se faire via un dialogue avec les acteurs de Place ou bien via la production de contenus visant à expliciter les attentes de l’AMF. Nous mettons l’accent tout particulièrement, cette année, sur le cadre réglementaire applicable aux émetteurs pour préparer le saut quantique que représentent les premières publications requises par la nouvelle directive CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive) sur le reporting extra-financier. 

L’AMF a ainsi publié un guide pédagogique sur les plans de transition qui se veut un instrument utile pour faciliter l’élaboration de la documentation par laquelle les émetteurs rendront compte, de manière dorénavant obligatoire, de leur plan de transition. 

Notre action de supervision est protéiforme. Je suis, comme je l’ai indiqué, consciente des critiques que nous subissons parce que nous ne serions pas suffisamment enclins à faire usage de l’intégralité de nos outils, notamment répressifs. Mais le fait que nous ayons, au regard de l’ampleur de la marche à franchir pour beaucoup d’acteurs, une approche d’accompagnement, ne signifie nullement que nous renonçons à utiliser la totalité de nos outils. Notre action se déploie en amont comme en aval. 

Nous avons indiqué très clairement dans le cadre de notre plan d’action 2024 notre volonté de recourir progressivement, au fur et à mesure que la mise en œuvre du cadre européen s’affirmera, à une approche de supervision classique. Nous avons ainsi réalisé plusieurs campagnes de contrôle, non répressifs à ce stade, qui ont donné lieu à une publication permettant d’expliciter les bonnes et mauvaises pratiques observées. L’année 2024 sera encore marquée par différents contrôles pédagogiques liés à la thématique finance durable : sur les politiques de vote et d’engagement actionnarial mises en place par les SGP ou encore sur la prise en compte des préférences de durabilité dans le parcours investisseur. 

Les nouveaux textes, comme la directive CSRD, vont nous permettre de passer, en matière extra-financière, d’un contrôle essentiellement formel portant sur un nombre limité d’informations à un contrôle beaucoup plus substantiel et qualitatif sur des informations extra-financières plus détaillées et plus cadrées. Bien entendu, nous n’excluons pas non plus de recourir d’ores et déjà à nos outils répressifs, par exemple en cas d’information fausse ou trompeuse, ou en cas de risque sur la protection des épargnants et investisseurs, comme je lai déjà indiqué plus haut. 

Le fait que le cadre de la finance durable s’enrichisse et se clarifie au niveau réglementaire nous donnera bien sûr un levier beaucoup plus conséquent pour nous assurer de la qualité de l’information fournie aux investisseurs. 

Si les textes européens abordent souvent le sujet de la finance durable sous l’angle de la transparence, cela ne signifie pas que ce cadre ne soit pas un levier en lui-même suffisant de transformation y compris pour les entreprises. Et c’est précisément, me semble-t-il, le principal défi auquel nous sommes confrontés : faire en sorte que ce cadre ne débouche pas simplement sur un exercice formel de compliance, mais soit véritablement le vecteur de la transformation de nos économies vers un modèle plus durable. J’en forme le vœu devant vous !


Je vous remercie pour votre attention et je vous souhaite à tous une journée fructueuse et enrichissante de discussions et d'échanges.