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Discours de Marie-Anne Barbat-Layani, présidente de l'AMF - Forum Fintech AMF-ACPR, Lundi 16 octobre 2023
Seul le prononcé fait foi
Monsieur le Gouverneur,
Mesdames, Messieurs,
Je suis particulièrement heureuse de vous retrouver dans le cadre de cette 4e édition du Forum Fintech organisée conjointement par l’AMF et l’ACPR, qui s’inscrit dans le cadre de la « French Fintech Week 23 » pour promouvoir le dynamisme de l’écosystème fintech global en France.
Je remercie tout particulièrement François Villeroy de Galhau, Gouverneur de la Banque de France, Président de l’ACPR, de nous accueillir dans un si bel endroit au cœur de Paris.
C’est la première fois que je m’exprime lors de cet évènement depuis ma prise de fonction comme Présidente de l’AMF fin octobre 2022, et je m’en réjouis. Je tiens à vous remercier, Mesdames et Messieurs, d’être présents à ce rendez-vous annuel devenu incontournable dans le paysage français de l’innovation financière.
Ce moment sera l’occasion pour moi :
- de dresser le rapide bilan de ces dernières années en terme d’innovation et d’accompagnement des fintechs ;
- d’évoquer les développements propres à l’écosystème des crypto-actifs ;
- mais aussi d’esquisser les enjeux à venir, en particulier, ceux liés à l’intelligence artificielle.
Mon propos sera ainsi structuré en trois temps.
1. Je souhaite, tout d’abord, souligner devant vous que l’AMF – comme vous le savez – est très engagée, depuis plusieurs années, dans l’accompagnement de l’innovation dans le secteur financier.
C’est une des priorités figurant dans les orientations stratégiques de l’AMF 2023-2027 (« Impact 2027 ») que j’ai présentées en juin dernier. Parmi les grandes priorités, j’ai, à cette occasion, réaffirmé avec force notre positionnement de régulateur ouvert et favorable à l’innovation. Cette ouverture se traduit dans notre engagement à accueillir les porteurs de projets innovants. C’est d’ailleurs la vocation de notre équipe dédiée « Innovation et Finance Digitale », qui est à l’écoute de l’ensemble des porteurs de projets, et que beaucoup d’entre vous connaissent.
Cette équipe rencontre plus d’une centaine de porteurs de projets par an, ce qui témoigne du dynamisme du secteur de l’innovation dont nous pouvons nous réjouir, et nous donne une expertise forte dans ce domaine.
Pour ce qui est de l’accompagnement de l’innovation, l’équilibre à trouver, pour un régulateur, consiste à réaffirmer notre volonté d’offrir le meilleur environnement possible pour l’innovation, mais aussi d’agir sans faiblesse lorsque cela est nécessaire pour appliquer la réglementation et protéger les épargnants. Il n’y a aucun antagonisme entre ces objectifs.
Le développement remarquable de la place financière de Paris, devenue première place européenne par capitalisation boursière, s’est fait avec un régulateur exigeant, qui a contribué à sa qualité. C’est notre approche sur l’ensemble des sujets dont nous avons la charge.
2. S’agissant plus particulièrement de l’écosystème des crypto-actifs, je souhaite réaffirmer, dans un second temps, que la technologie blockchain constitue une priorité pour permettre le développement d’un écosystème innovant au bénéfice des investisseurs mais aussi dans sa transition vers les nouvelles réglementations intervenant :
- dans l’univers des titres « traditionnels »
- comme dans l’univers des crypto-actifs que nous appelons les actifs numériques.
Tout d’abord, concernant les titres financiers « traditionnels ». C’est notre cœur de métier à l’AMF. Ils étaient déjà couverts par plusieurs réglementations européennes, qu’il fallait faire évoluer pour permettre les expérimentations d’inscription sur la blockchain de titres financiers (la « tokénisation ») et lever certaines exigences réglementaires liées au règlement-livraison des titres, en contrepartie de garanties appropriées.
C’est ce que permet le « Règlement européen sur un régime pilote pour les infrastructures de marché reposant sur la technologie blockchain », qui est entré en application en mars 2023, dont je salue le caractère résolument pro-innovation. Il appartient désormais aux acteurs économiques de se saisir de ce régime.
Je ne reviendrai pas en détail sur le fonctionnement et les opportunités qu’il ouvre, auxquels est consacrée la première table ronde.
L’AMF, en étroite collaboration avec l’ACPR et la Banque de France, s’est mise en ordre de marche pour accueillir en France les porteurs de projets et les accompagner vers ce régime.
Au-delà du régime pilote, il y a également les crypto-actifs (que nous appelons en France les actifs numériques et qui ne sont pas des instruments financiers). Nous ne pouvons que constater que le monde des crypto-actifs et sa perception ont radicalement changé en un an. La chute de FTX, début novembre 2022, a provoqué des réactions fortes, dans plusieurs pays. Les débats internationaux accélèrent en vue d’une régulation plus stricte dans l’ensemble des juridictions.
L’univers crypto est désormais attendu sur sa capacité à respecter la réglementation. J’y ajouterai sa capacité à démontrer son utilité économique et sociale, que nous pouvons mesurer dans 4 dimensions :
1) La contribution directe de l’écosystème à l´économie et à la création d’emplois.
2) La contribution au financement de l’économie et des entreprises.
3) La contribution au monde de l’investissement et à la protection des investisseurs. Les études montrent qu’entre 8 et 10 % des Français détiennent des cryptos. C’est loin d’être anecdotique et il est normal que les questions de protection des investisseurs se posent de manière de plus en plus concrète. D’autant que les crypto-actifs sont devenus le premier sujet sur lequel notre service qui reçoit les plaintes des épargnants est saisi.
4) Et enfin, la contribution au financement de la transition vers une économie durable.
Le monde des cryptos, en particulier, ne peut pas rester à l’écart de ce sujet, alors que l’impact environnemental de sa technologie elle-même est questionnée sur ce terrain.
Nous espérons notamment que le potentiel des green fintech, qui sera abordé lors de la seconde table ronde de la matinée, pourra se matérialiser.
Le monde des crypto-actifs a également changé d’un point de vue règlementaire, avec des approches divergentes selon les juridictions.
L’Europe a fait le choix d’avancer résolument dans la voie de la régulation avec le règlement MiCA qui prévoit – pour fin décembre 2024 – un agrément obligatoire pour les prestataires de services sur actifs numériques.
Nous appelions de nos vœux ce régime européen harmonisé. Il viendra remplacer le régime français issu de la loi PACTE en 2024.
Le passage à un cadre renforcé est une condition du retour de la confiance des investisseurs, des épargnants, dans l’écosystème crypto.
Dans ce contexte, nous nous trouvons face à deux enjeux majeurs :
- accompagner l’écosystème français dans sa transition vers un univers mieux régulé,
- assurer une mise en œuvre la plus harmonisée possible au niveau européen.
Nous avons enregistré près d’une centaine de PSAN en 3 ans (ils étaient 2 fois moins l’an dernier) et nous avons accordé notre premier agrément optionnel PACTE en juillet. Nous espérons qu’il y en aura d’autres dans les prochains mois.
Ceci montre le dynamisme de l’écosystème français des crypto-actifs. Mais il faut regarder la réalité en face : cet écosystème se trouve au niveau réglementaire à la croisée des chemins. L’agrément MiCA constitue une marche importante à franchir. Il n’est pas sûr que tous les acteurs enregistrés auprès de l’AMF auront les moyens de passer ce cap.
Il revient à ces acteurs de s’y préparer et de se doter des moyens de se mettre en conformité avec ces exigences accrues, au plus tard fin juin 2026 pour ceux qui servent exclusivement une clientèle française.
L’AMF a acquis une solide expérience en matière de dialogue avec l’écosystème crypto, de compréhension des modèles d’affaires, et d’instruction de dossiers, avec nos collègues de l’ACPR.
C’est un véritable atout dans cette nouvelle ère qui s’ouvre dans l’encadrement des acteurs cryptos avec le règlement MiCA, et nous poursuivrons nos actions visant à accompagner les acteurs vers cette nouvelle étape cruciale pour la protection des investisseurs. Un atelier est d’ailleurs consacré cet après-midi à la préparation à MiCA.
Cette expérience acquise dans l’application du régime français des PSAN nous est très utile dans les travaux européens en cours à l’ESMA, intenses, concernant les textes d’application de MiCA - dits « de niveau 2 ». Ce sont quelque 30 normes techniques d’exécution (RTS) qui doivent être établies – je vous en épargne la liste complète – sur des sujets importants tels que la mise en place d’un dispositif efficace de dépôt de réclamation par un investisseur.
Avec MiCA, demain, dans l’Union européenne, la concurrence ne sera qu’à un clic : toute plateforme agréée en Europe disposera d’un passeport et pourra proposer ses services aux investisseurs français. C’est pourquoi, nous œuvrons à l’ESMA pour éviter d’ouvrir la voie au « forum shopping » qui permettrait à certains acteurs de mettre en concurrence les autorités nationales dans une course dangereuse au moins-disant réglementaire.
L’AMF est donc très vigilante dans l’élaboration de ces normes techniques afin de garantir, autant que possible, le même niveau d’exigence de la part de l’ensemble des régulateurs européens qui seront amenés à octroyer des agréments MiCA, et nous soutenons pleinement l’ESMA dans ses efforts de coordination de la mise en place de ce nouveau régime.
La coopération est essentielle avec nos homologues européens, mais également à l’échelon international, notamment dans le cadre des travaux de l'organisation internationale des commissions de valeurs (OICV / IOSCO). La version définitive de son rapport sur la régulation des crypto-actifs sera publiée dans quelques semaines.
Je pense également aux travaux du Conseil de stabilité financière (Financial Stability Board) qui montrent que des risques spécifiques sont portés par les « conglomérats crypto », ou acteurs intégrés, généralement mondiaux, qui exercent une activité globale regroupant des services normalement ségrégués dans la finance traditionnelle. Ces risques sont de nature très différentes :
- risque de conflits d’intérêts en raison de la coexistence de plusieurs types de services au sein d’un même groupe, voire d’une même personne morale, et la confusion des avoirs du groupe et de ses clients externes ;
- risque de défaillance et de perte des avoirs des clients, avec des expositions intra-groupe qui pourraient ne pas être maitrisées ;
- incertitude sur les conditions de formation des prix et la liquidité, avec des plateformes globales dont la localisation peut se trouver hors de la surveillance des autorités nationales ou dans des pays où ces activités ne sont pas régulées.
Le FSB a fait des recommandations au G20 sur ce sujet. Ces travaux revêtent une importance cruciale. Nous serons force de propositions, si les réflexions qui s’ouvrent sur un MiCA 2, que nous sommes de plus en plus nombreux à appeler de nos vœux, peuvent déboucher rapidement.
Certaines activités sur crypto-actifs ne sont pas couvertes par MiCA : c’est le cas en particulier de la Finance décentralisée (DeFi).
Les autorités françaises – AMF et ACPR – se sont intéressées au sujet et ont produit des rapports qui montrent le défi réglementaire que représente cet écosystème.
Ces réflexions se doivent d’être ouvertes, menées avec vous tous. Vous avez été nombreux, acteurs du secteur des crypto-actifs comme de la finance plus traditionnelle, à nous faire des retours en réponse à notre papier de discussion sur la Finance décentralisée, publié en juin dernier.
Nous allons poursuivre cet échange en collaboration étroite avec l’ACPR, dans le cadre d’un groupe de travail que nous allons créer, sous l’égide du Forum Fintech ACPR-AMF, comme vient de l’évoquer le Gouverneur.
L’objectif de ce groupe de travail sera d’explorer certaines caractéristiques techniques, par exemple, la certification des smart contracts qui sont au centre des protocoles DeFi – et d’étudier la possibilité d’en tirer parti comme élément possible d’un dispositif réglementaire futur.
Ici aussi, les réflexions internationales sont plus que jamais nécessaires compte tenu de la nature transfrontière des activités de DeFi.
L’AMF a participé activement aux travaux de l’OICV sur la Finance décentralisée et contribué à l’élaboration d’un rapport, actuellement ouvert à la consultation (jusqu’au 19 octobre). L’OICV y formule neuf recommandations en vue de répondre aux préoccupations soulevées par les activités de Finance décentralisée, en matière d'intégrité des marchés et de protection des investisseurs.
Une fois finalisées, ces recommandations doivent fournir, comme pour les crypto-actifs, une approche réglementaire claire et cohérente à l'échelle mondiale, dans différentes juridictions, pour les activités de Finance décentralisée.
3. Enfin, il me reste à esquisser les enjeux à venir, en particulier ceux liés au potentiel technologique de l’intelligence artificielle.
C’est un sujet d’avenir, celui sur lequel nous allons peut-être le plus travailler dans les prochaines années : l’accélération du développement de l’intelligence artificielle. L’IA peut introduire des questions nouvelles et aussi des opportunités pour les superviseurs en termes d’outils. Nous utilisons, d’ailleurs, des outils à base d’IA dans la surveillance des marchés à l’AMF et nous en mesurons toute l’efficacité.
Nous avons lancé une série de travaux visant à comprendre les enjeux liés au développement de l’IA par les acteurs des marchés financiers.
De nombreux cas d’usage de l'IA existent, en particulier, pour les activités de front office :
- dans les activités de marché, dans la négociation et l’exécution d’ordres, pour établir des stratégies de trading et optimiser les coûts d’exécution ;
- dans la gestion d’actifs : par exemple, l’analyse d’informations issues de données alternatives peut servir dans les analyses fondamentales ou l’établissement de stratégies quantitatives.
De nombreux acteurs, notamment des Fintech ou « RegTech », utilisent l’IA pour des activités servant à l’automatisation et l’optimisation des processus (saisie automatique de données), à la gestion des risques et à la conformité (solutions de détection des fraudes, de surveillance des opérations ou des risques, ou pour générer des rapports réglementaires).
Pour autant, pour les autorités de régulation, l’IA peut présenter des risques potentiels s’agissant notamment :
- de la précision et de la fiabilité de certains modèles d'IA ;
- de leur manque de transparence ;
- d’enjeux de cybersécurité et de protection des données personnelles ;
- voire, dans certains cas, des risques de manipulation de marché, si l’IA venait à générer des fausses informations qui se diffuseraient largement.
C’est évidemment un point d’attention pour l’AMF et pour l’ensemble de la communauté des régulateurs. C’est pourquoi nous prendrons une part active aux travaux internationaux sur le sujet.
Je vous remercie de votre attention et vous souhaite des échanges constructifs.
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Responsable de la publication : Le Directeur de la Direction de la communication de l'AMF. Contact : Direction de la communication, Autorité des marchés financiers - 17, place de la Bourse - 75082 Paris Cedex 02