Merci de désactiver le bloqueurs de pub pour visualiser cette vidéo.
Discours de Marie-Anne Barbat-Layani, présidente de l'AMF - Vœux 2023 à la Place financière - Lundi 9 janvier

Discours de Marie-Anne Barbat-Layani, présidente de l'AMF - Vœux 2023 à la Place financière - Lundi 9 janvier

Seul le prononcé fait foi

Mesdames et Messieurs les membres du Collège,
Monsieur le Président de la Commission des sanctions, Mesdames et Messieurs les membres de la Commission des sanctions,
Mesdames et Messieurs,
Chers collègues,

Je vous remercie d’être venus aussi nombreux à l’occasion de ce rendez-vous des vœux de l’AMF à la Place de Paris, qui est l’occasion d’évoquer sa feuille de route et ses priorités d’action pour 2023.

Le contexte n’est pas facile, nous le savons tous, car le monde financier est soumis aux grandes incertitudes qui affectent le monde actuel : pandémie, guerre en Ukraine, prix de l’énergie, et à leurs conséquences économiques et financières avec l’inflation et la remontée des taux d’intérêts. On pourrait s’attarder sur ce contexte, mais en ce début d’année 2023, j’ai plutôt envie de revenir avec vous sur une bonne nouvelle.  

L’AMF est aujourd’hui le régulateur de la plus grande place financière européenne.

Je sais bien que les esprits chagrins diront que c’est d’un cheveu qu’elle a dépassé la place de Londres, et uniquement en termes de capitalisation boursière. Mais indéniablement la Place de Paris est, et de loin, la première place financière de l’Union européenne, et imaginons un instant que nous soyons moins français, et un peu plus anglo-saxons : nous aurions sabré le champagne…

C’est une situation dont il faut se féliciter, et c’est une situation qui nous oblige. Ce sera l’un des déterminants les plus forts du plan stratégique de l’AMF pour les 5 prochaines années auquel nous travaillons actuellement, et que je pense pouvoir vous présenter avant l’été. Je me contenterai aujourd’hui d’évoquer nos priorités d’action pour 2023. 

Donc, Paris est devenue la plus grande place financière européenne. Cette situation, qui est une bonne manière d’appréhender l’action de l’AMF mérite que l’on s’y arrête un instant :  

  • Disons-le d’emblée : c’est une bonne nouvelle ! Car cela signifie que les circuits de financement de notre économie sont puissants, et que d’importants centres de décision sont sur notre territoire. A l’heure où l’on redécouvre l’importance de la souveraineté, y compris économique, on peut se féliciter de cette situation. Les acteurs financiers ne sont pas désincarnés, ce sont des hommes, et parfois des femmes, trop peu encore, et leur localisation sur notre territoire garantit qu’ils sont attentifs à son développement. Je le dis très sincèrement : c’est une chance pour la France, et pour l’Europe, car c’est à cette échelle qu’il faut raisonner aujourd’hui, on le sait.
  • Ceci doit permettre à l’épargne française, qui est on le sait particulièrement abondante et stable, et c’est là aussi une chance, de venir financer notre activité économique. On le sait, ce n’est pas si simple, car encore faut-il que cette épargne soit bien orientée, au bénéfice des épargnants comme du financement de l’économie, des entreprises et de la transition écologique, qui nécessite des investissements considérables. C’est un domaine dans lequel nous devons encore progresser, en plaçant l’épargnant au cœur de notre action, et j’y reviendrai.
  • Cette chance, c’est à vous tous que nous la devons – et un peu aussi, soyons honnêtes, au Brexit : à vous tous, acteurs financiers, mais aussi aux entreprises. En effet, la performance de la Place de Paris résulte d’abord au travers de la capitalisation boursière et donc de la performance des entreprises.
  • Cette chance, nous la devons aussi un peu à l’AMF. Permettez-moi de rendre hommage au travail de mes prédécesseurs et des équipes de l’AMF. Une vraie compréhension des besoins de l’économie et du bon fonctionnement de la Place, une capacité d’écoute, une vigilance, du courage et de l’exigence : voilà l’héritage que je trouve en prenant mes fonctions. Ils fondent l’excellence de l’autorité de marché : j’aurai évidemment à cœur de faire fructifier cet héritage. J’ai l’intention de faire de la qualité du service rendu par l’AMF un des déterminants clefs de notre futur plan stratégique. Je pense notamment à l’industrie de la gestion et aux prestataires de service d’investissement, nos premiers « clients », si je peux m’exprimer ainsi, mais aussi bien entendu aux émetteurs et à l’ensemble des acteurs financiers de la Place.
  • Cette situation crée pour la Place de Paris des obligations. Tout d’abord, un devoir de vigilance. Le monde financier est confronté aujourd’hui à des incertitudes multiples, d’une ampleur sans beaucoup de précédents : il faut avoir le pied marin… et surveiller ses risques avec attention. Un devoir d’exemplarité, ensuite, tant vis-à-vis des épargnants que de la société : Paris doit continuer à bâtir son succès sur son intégrité et sur une forme d’exigence qui se traduit depuis longtemps dans la rigueur de la gestion et de la régulation. Soyons clair : Paris n’a jamais fait le pari du « moins-disant réglementaire ». Et dans son équation stratégique comme dans son ADN, elle ne le fera pas davantage aujourd’hui. Cette intégrité est une force, et l’exigence de la régulation est la meilleure garantie du développement d’une place financière dans la durée. C’est la marque de fabrique de la Place de Paris, et cela ne lui a pas mal réussi ! Être un régulateur exigeant et compétent, c’est la meilleure contribution que nous pouvons apporter à l’attractivité de la Place de Paris. C’est aussi la raison pour laquelle, je le dis au passage, l’AMF apporte tout son soutien à la mission de son ancien président, Robert Ophèle, qui prépare la candidature de Paris pour accueillir la future autorité européenne de lutte contre le blanchiment : au-delà de l’histoire (faut-il rappeler que c’est le Sommet de l’Arche qui est à l’origine de l’organisation mondiale en charge de la lutte contre le blanchiment, le GAFI, placé auprès de l’OCDE, une des plus grandes organisations internationales, située à Paris ?), il existe à Paris un écosystème de régulateurs et un état d’esprit qui peuvent donner à cette autorité un levier particulièrement puissant. 

> Que signifie l’exemplarité pour la première place financière européenne ? Tout d’abord, comme je l’ai dit, une attention particulière portée aux épargnants. N’oublions jamais que la place financière leur doit beaucoup, car l’épargne, celle des épargnants, mais aussi bien sûr celle des investisseurs professionnels et des investisseurs étrangers, est la matière première avec laquelle travaillent tous les acteurs financiers : l’épargne. Elle leur doit donc beaucoup : d’abord la sécurité et la solidité des acteurs, mais aussi la transparence, un conseil de qualité, et des frais raisonnables pour le service rendu. Je le dis au passage : il n’existe pas de service gratuit en ce bas monde, et la qualité comme la proximité du conseil ont un coût. Cela doit être pris en compte dans les réflexions européennes sur la protection des investisseurs : les idées simples en apparence, comme l’interdiction pure et simple des commissions, ne sont pas forcément les plus efficaces. Mais évidemment, les frais doivent être raisonnables, transparents, et justifiés. L’objectif est simple : l’épargnant doit recevoir des conseils adaptés à sa situation et à ses besoins, et ses intérêts doivent passer avant tous les autres. La bonne orientation de l’épargne est un objectif important : il faut des investissements plus longs, qui permettent aux Français de financer leurs projets tout au long de leur vie, et de préparer leur retraite, et qui viennent davantage financer les entreprises et la transition écologique. L’investissement en actions, direct ou indirect, est on le sait, encore trop peu développé en France. C’est un sujet sur lequel nous devons continuer à travailler.   

Nous devons donc continuer à œuvrer à une bonne information des investisseurs, et renforcer notre action en matière d’éducation financière. Il existe une asymétrie fondamentale d’accès à l’information dans un univers financier de plus en plus complexe : c’est le devoir du monde financier d’être loyal, et c’est la première mission de l’AMF que d’y veiller. Je salue au passage l’action de notre commission consultative Epargnants, et celle de la médiatrice de l’AMF, Marielle Cohen-Branche, dont chacun connaît ici la contribution à la protection des épargnants. Je note avec grand intérêt que le Parlement se saisit de nouveau du sujet de la protection des épargnants, puisqu’une proposition de loi a été déposée par les sénateurs Husson et de Montgolfier, dont chacun ici connaît le fort engagement sur ces sujets. La protection de l’épargnant sera bien entendu notre première priorité d’action en 2023 et le cœur de notre plan stratégique.

> L’exemplarité signifie aussi que nous devons répondre aux attentes de la société : je veux parler ici de la finance durable. C’est une demande forte et légitime des épargnants. C’est aussi celle des pouvoirs publics, car la France porte ici une ambition particulière, incarnée par l’accord de Paris. Le ministre des Finances, Bruno Le Maire, vient d’annoncer un projet de loi ambitieux sur l’industrie verte : l’industrie financière comme son régulateur doivent être au rendez-vous et nous y serons ! La finance a un rôle majeur à jouer pour la transition écologique : n’ayons pas peur de le dire, elle a ici un vrai rendez-vous avec l’histoire, que nous ne pouvons pas nous permettre de rater. La Place de Paris a fait de la Finance durable un axe clef de sa stratégie, et la création de l’Institut de la Finance durable, présidé par Yves Perrier, montre qu’elle a bien l’intention de garder son leadership dans ce domaine.

Promouvoir la finance durable, ce n’est pas forcément facile pour le régulateur, car nous ne disposons pas encore de toutes les références pour trier le bon grain de l’ivraie. Qu’est-ce qui est vraiment vert ? C’est parfois très frustrant pour les épargnants qui ne savent pas si ce qu’on leur présente comme durable est vraiment durable. Cela l’est aussi pour les entreprises, confrontées à des exigences un peu foisonnantes, et souvent contestées, dans le domaine extra-financier. Cela l’est pour les associations qui défendent l’environnement et pour mes enfants et les vôtres, qui nous demandent d’agir vite et efficacement et ne comprennent pas que nous ayons du mal à trouver le mode d’emploi. L’AMF appelle de ses vœux le renforcement et la clarification de la réglementation européenne dans ce domaine. Elle y apportera toute son expertise. Et dans l’attente, elle continuera à accompagner les acteurs financiers et les émetteurs, maintiendra son niveau d’exigence, et n’hésitera pas à dénoncer le greenwashing que nous appelons en français éco-blanchiment. La finance durable sera une de nos grandes priorités d’action pour 2023, et à l’évidence un des grands piliers de notre plan stratégique.

> Être le régulateur d’une grande place financière, cela signifie aussi que nous devons donner sa juste place à l’innovation. L’AMF a fait le choix d’être un régulateur ouvert à l’innovation. C’est un choix que je confirme. Cela ne signifie pas que l’on doive être dans le laisser-faire béat ou le n’importe quoi. Chacun ici a en tête l’affaire FTX. Clairement, elle concentre tout ce que l’on ne voulait plus voir dans le monde économique ; mais c’est aussi, et surtout, manifestement, une fraude. Et il ne faut pas en conclure que l’innovation technologique, dans le domaine financier, est un mal en soi. Madoff ne condamne pas la finance traditionnelle. FTX ne doit pas condamner la finance digitale.  

Évidemment, il est nécessaire que l’univers crypto fasse maintenant clairement le choix de la régulation et de la protection des investisseurs. C’est son intérêt car les brebis galeuses jettent facilement le discrédit sur tout une industrie. L’AMF, comme le parlement, appelle de ses vœux une accélération du passage au régime d’agrément obligatoire pour les prestataires qui ne sont pas enregistrés aujourd’hui.

De la même manière, nous saluons l’initiative de Bercy de se pencher sur le rôle des influenceurs, car c’est un domaine dans lequel nous avons déjà été amenés à intervenir. Plus généralement, innovation ne veut pas dire far West, et les réseaux sociaux ne sont pas un monde de non droit. L’univers financier a bâti patiemment tout un corpus et des pratiques de protection des investisseurs qui ne doit pas s’arrêter aux portes de la dématérialisation ! Comme la finance traditionnelle, la FinTech doit faire à Paris le choix de la rigueur et de la protection des épargnants. Comme la finance traditionnelle, elle y trouvera une base de développement solide et durable ; et elle peut compter sur l’AMF pour l’accompagner dans cette voie.

Soyons exigeants, mais gardons-nous de devenir conservateurs ! Nous avons la chance de bénéficier d’une nouvelle génération d’investisseurs (les 18-24 ans investissent nettement plus en bourse que leurs aînés) et d’entrepreneurs audacieux. C’est une chance pour la Place de Paris.

> Être le régulateur de la plus grande place financière européenne, qu’est-ce que cela signifie pour l’AMF ?

Deux choses principalement : nous devons continuer à renforcer notre efficacité, y compris celle de notre action répressive, et nous devons jouer tout notre rôle à l’international et en Europe pour défendre et promouvoir le modèle financier français.

  • Quelques mots tout d’abord sur cette action européenne et internationale. C’est une priorité d’action pour 2023 et un des piliers de notre futur plan stratégique.

Je bénéficie là aussi d’un héritage considérable : notre voix est écoutée, l’expertise de nos équipes est recherchée. Au point d’ailleurs que la question de nos moyens devient particulièrement prégnante, pour jouer tout notre rôle dans le concert des grands régulateurs de marché. Nous soutenons, notamment, le travail remarquable de l’ESMA (Autorité européenne de supervision des marchés) sous l’égide de sa remarquable présidente Verena Ross, pour renforcer la convergence de la supervision.

Nous souhaitons contribuer fortement à ces travaux et peser dans les débats européens… Pour ne citer qu’un exemple, le modèle français de marchés financiers transparents ne doit pas sortir affaibli des actuels débats sur le règlement MIFIR.

  • Notre action européenne est évidemment pleinement alignée avec nos priorités et la première d’entre elles : la protection des épargnants. Je suis donc très heureuse d’avoir été élue présidente du comité Protection des investisseurs de l’ESMA : dans ce domaine plus que tout autre, nous aurons bénéfice à connaître les bonnes pratiques de nos collègues, mais aussi à nous assurer que le passeport européen n’est pas synonyme d’exigences moins rigoureuses que les nôtres. 

Nous sommes également engagés dans les travaux de l’organisation internationale des régulateurs de marchés, l’OICV. On peut se féliciter, au passage, de l’élection d’un Européen, notre collègue belge Jean-Paul Servais, à la présidence de l’organisation internationale des marchés. Le modèle européen est une réalité dans bien des domaines, et notamment en matière financière, où l’Europe a déployé un arsenal de protection qui est le socle d’un marché intérieur des services financiers parfois frustrant, mais auquel nous devons tous continuer à travailler.  

La coordination internationale est essentielle pour l’efficacité de nos enquêtes : nous sommes de plus en plus confrontés à des réseaux d’initiés internationaux, et le travail avec nos collègues étrangers est devenu aussi indispensable que la collaboration avec la Justice.

Notre action internationale porte aussi sur les sujets de régulation. Il est fondamental que les régulateurs de marché apportent leur expertise aux travaux sur l’endettement dans la finance non bancaire qui préoccupe le Forum de stabilité financière. Nous sommes, par définition, les meilleurs connaisseurs de l’industrie de la gestion qui en est un des acteurs. J’aurai l’occasion de m’y impliquer personnellement, car je co-présiderai avec mon collègue britannique Nikhil Rati, le comité de l’OICV qui travaille sur ces problématiques, en lien avec le Forum de stabilité financière.

  • Le dernier point que j’aborderai au titre de nos priorités d’action est celui du renforcement de l’efficacité de notre action répressive. Ce renforcement est indispensable, car il fait partie intégrante de la crédibilité de notre rôle de régulateur de la première place financière européenne. De plus, certains de nos outils sont aujourd’hui fragilisés juridiquement. Cet objectif est parfaitement cohérent avec les travaux du parlement comme du gouvernement sur la lutte contre la fraude : le Sénat vient de publier un très intéressant rapport sur ce sujet, et le ministre des comptes publics Gabriel Attal y travaille activement. Nous serons force de proposition et ne devons-nous interdire aucune réflexion à ce stade, car nous devons assurer une régulation exigeante et efficiente, en lien avec nos partenaires, notamment l’ACPR, la Justice, et la DGCCRF. Je salue au passage la décision récente de la Commission des sanctions de l’AMF, présidée par Jean Gaeremynck, qui n’a pas hésité à prononcer une sanction exceptionnelle face à des problèmes qui l’étaient tout autant notamment par les montants en jeu.

Vous le constatez, l’AMF a du pain sur la planche et une ambition forte. Tout ceci nécessitera des moyens : l’AMF doit être en mesure de conserver et de développer son inestimable capital humain, et de disposer des meilleures technologies pour renforcer l’efficacité de son action et la qualité du service à ses usagers. Nous devons tout d’abord y travailler en interne : moderniser notre organisation et notre gestion, et ce sera fait, avec l’appui de notre Collège. J’espère aussi que nous pourrons ainsi convaincre l’Etat de nous donner les moyens de cette ambition ! 

Et pour conclure, vous savez tous que l’AMF fêtera cette année ses 20 ans. Nous aurons donc l’occasion de nous revoir pour cet anniversaire important. C’est une nouvelle page que je me prépare donc à ouvrir avec le Collège et les équipes de l’AMF, et je mesure pleinement la chance qui est la mienne de diriger l’AMF à un moment aussi compliqué et important de son histoire.  

Je vous remercie de votre attention et je vous souhaite à toutes et à tous une excellente année 2023 !