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Discours d'introduction de Jean Gaeremynck, président de la Commission des sanctions - 15e colloque de la Commission des sanctions de l'AMF, Mercredi 5 octobre 2022

Discours d'introduction de Jean Gaeremynck, président de la Commission des sanctions - 15e colloque de la Commission des sanctions de l'AMF, Mercredi 5 octobre 2022

Seul le prononcé fait foi

Mesdames, Messieurs,
Chers collègues, Chers amis,

Je suis très heureux de vous accueillir aussi nombreux pour ce 15° colloque de la Commission des sanctions.

Après deux éditions qui se sont tenues en format hybride – en présentiel et à distance – je crois que nous apprécions tous de nous retrouver ici, au Palais Brongniart.

En effet, si ce colloque est un rendez-vous annuel qui nous donne l’occasion de réfléchir et de débattre sur des sujets qui concernent la procédure répressive de l’AMF, le droit financier et le fonctionnement de la Commission des sanctions, il est également une occasion de rencontres et d’échanges. J’aurais donc grand plaisir, avec les autres membres de la commission, à échanger avec vous, en fin d’après-midi, lors du cocktail de clôture.

Mais avant cela, je souhaiterais partager avec vous quelques réflexions à l’issue de ma première année d’exercice comme président de la Commission des sanctions.

Ces réflexions se nourrissent, d’abord, du bilan de l’activité de la Commission des sanctions et des juridictions de recours.
Quel est ce bilan depuis 12 mois ?

Depuis le dernier colloque, la commission a rendu 13 décisions de sanction et 5 décisions d’homologation d’accords de composition administrative.

S’agissant des sanctions, la commission a prononcé en un an un total de près de 6,1 millions d’euros de sanctions pécuniaires.

Evidemment, toutes ces décisions sont intéressantes ! Mais certaines le sont, à mon sens, particulièrement !

Tel est le cas des décisions qui portent sur des notions jusqu’alors peu explorées par la Commission des sanctions. Je pense par exemple à la décision du 11 juillet 2022 sur la notion d’action de concert, ou encore à celle du 20 juillet 2022 qui porte sur les obligations professionnelles des dépositaires – catégorie d’entités régulées ayant fait l’objet de peu de décisions de la commission jusqu’à présent.

D’autres décisions ont un intérêt particulier car, bien que portant sur des notions qui – cette fois - nous sont familières – par exemple la notion d’information privilégiée -, elles ont suscité de vifs débats entre la poursuite et la défense et elles ont amené la Commission des sanctions à affiner sa position sur des problématiques déjà abordées par des décisions antérieures. Tel est le cas de la décision du 24 mars 2022 qui sanctionne un manquement à l’obligation de publier dès que possible une information privilégiée née dans le cadre du déroulement de la procédure européenne d’autorisation de mise sur le marché de médicaments.

Je retiens aussi de cette année les décisions des 30 novembre 2021, 26 avril 2022 et 25 mai 2022 qui portent notamment sur la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, et dont il sera probablement question aujourd’hui à l’occasion de la seconde table ronde.

Enfin et surtout, je note que, depuis notre 14édition, les juridictions de recours ont rendu un total de 16 ordonnances et décisions :

  • 6 de la cour d’appel de Paris
  • 3 de la Cour de cassation
  • 7 du Conseil d’Etat

A ces décisions s’ajoutent deux décisions du Conseil constitutionnel statuant sur des questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) et un arrêt du 15 mars 2022 rendu par la Cour de justice de l’Union Européenne. Dans ce dernier arrêt, la Cour de justice répond à plusieurs questions préjudicielles posées par la cour d’appel de Paris. Il s’agissait en substance de déterminer si l’information relative à la publication prochaine d’un article de presse relayant des rumeurs de marché était susceptible de répondre à l’exigence de précision d’une information privilégiée. Il s’agissait aussi de préciser ce qu’il faut entendre par la divulgation « à des fins journalistiques » et « dans le cadre normal de l’exercice [de la] profession [de journaliste] » d’une telle information, au sens des articles 21 et 10 du règlement Abus de marché (MAR).

Mais je voudrais revenir aussi sur quelques-unes de ces décisions des juridictions de recours. Car ces décisions guident notre activité répressive. Elles clarifient notre cadre procédural. Elles confortent ou au contraire remettent en question nos décisions. Dans tous les cas, elles font œuvre de jurisprudence, et à ce titre évidemment, elles méritent toute notre attention.

Je mentionnerai tout d’abord deux ordonnances du magistrat délégué par le premier président de la cour d’appel de Paris rendues les 3 novembre et 15 décembre 2021 sur des demandes de sursis à exécution.

Ces ordonnances, qui ont ordonné totalement ou partiellement le sursis à exécution des décisions déférées, posent la question du quantum des sanctions prononcées et surtout, de la transparence des mis en cause sur leur situation financière et patrimoniale devant la commission des sanctions. Trop souvent, comme ce fut le cas dans ces affaires, les mis en cause sont particulièrement discrets pendant la procédure de sanction sur ces informations financières, lesquelles pourtant font systématiquement l’objet de demandes du rapporteur. Et c’est au stade du contentieux que pour la première fois sont produits des éléments substantiels, pour démontrer les conséquences manifestement excessives qu’impliquerait le paiement de la sanction pécuniaire. Il va sans dire qu’à défaut de justificatifs, la commission des sanctions n’est pas en mesure d’adapter aussi solidement qu’elle le voudrait le quantum de la sanction à la capacité contributive du mis en cause. La commission peut, en revanche, tenir compte de l’absence de transparence du mis en cause sur ce point ou de la circonstance que celui-ci ne fait que déclarer des éléments sans en justifier. Il reste que, selon nous, il n’est pas satisfaisant que la commission soit exclusivement dépendante, pour l’appréciation des ressources des personnes mises en cause, des éléments d’information fournis au bon vouloir de ces dernières. Elle devrait pouvoir interroger sur ce point des sources administratives, et l’on peut souhaiter que la législation soit complétée en ce sens. 

Je voudrais également évoquer ici l’arrêt de la Cour de cassation rendu le 24 novembre 2021. Au terme d’une longue procédure, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi, et la solution dégagée par la Commission des sanctions a été confirmée.

Dans cette affaire, des problématiques inédites sur le plan procédural avaient été soumises à l’appréciation de la Commission des sanctions puis, pour certaines, à celle de la cour d’appel de Paris. Par son arrêt, la Cour de cassation confirme que les enquêteurs ont pu valablement envoyer une seconde lettre circonstanciée aux personnes susceptibles d’être mise en cause après que le collège a estimé que l’information en cause était devenue privilégiée à une date antérieure à celle retenue par les enquêteurs. La Cour de cassation a ainsi clairement énoncé que lorsque le collège retient une appréciation des faits plus sévère que celle proposée par les enquêteurs, il ne peut décider d'ouvrir une procédure de sanction pour des manquements au « périmètre plus sévère ou plus large » sans qu'au préalable une nouvelle lettre circonstanciée ait été adressée par les enquêteurs aux personnes susceptibles d’être mises en cause, afin de recueillir leurs éventuelles observations et que ces dernières aient été analysées dans la rédaction finale du rapport d'enquête.

D’autres affaires, toujours pendantes devant les juridictions de recours portent également sur des problématiques procédurales nouvelles. Je pense notamment à l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 24 mars 2022, qui fait l’objet d’un pourvoi, par lequel la Cour d’appel a écarté un moyen tiré de la méconnaissance du principe de loyauté et des droits de la défense. Dans cette affaire, c’est la procédure d’enquête qui était critiquée. Les requérants reprochaient notamment aux enquêteurs de ne pas avoir versé au dossier soumis à la commission des sanctions des pièces que les requérants estimaient être à décharge et de ne pas les avoir informés du risque de se voir reprocher par l’AMF un manquement d’entrave.

Notre procédure ad hoc, qui se situe au croisement de la procédure pénale et de la procédure administrative, s’enrichit de ces décisions. Elles font jurisprudence et viennent encore clarifier le cadre d’intervention de la Commission des sanctions.

Je voudrais également revenir brièvement sur la décision du Conseil constitutionnel du 28 janvier 2022 statuant sur une question prioritaire de constitutionnalité portant sur le manquement d’entrave, défini par le législateur comme le refus de donner accès à un document, de refus de communiquer des informations ou de répondre à une convocation, ou encore le refus de donner accès à des locaux professionnels. Les Sages ont déclaré ce texte comme contraire à la constitution dans la mesure où les refus opposés aux demandes des enquêteurs et des contrôleurs, qui caractérisent le manquement d’entrave, étaient susceptibles de donner lieu tout à la fois à sanctions administratives et à poursuites pénales. La portée de cette décision peut toutefois être relativisée : en effet, la déclaration d’inconstitutionnalité porte sur une version du texte du code monétaire et financier qui n’est plus en vigueur, et en tout état de cause, il appartient toujours à la commission, pour fixer le quantum d’une éventuelle sanction pécuniaire, de tenir précisément compte des conditions dans lesquelles les personnes mises en cause ont coopéré ou non avec les enquêteurs.

Enfin, je ne saurais clore ce bilan des décisions des juridictions de recours sans dire un mot de l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 30 juin 2022 qui a annulé la décision de la Commission des sanctions du 28 juillet 2020. Par cette décision, la Cour a retenu que l’information figurant dans le communiqué de presse de l’émetteur, relatif à son projet de construction d’une centrale nucléaire dotée de deux réacteurs à eau pressurisée au Royaume-Uni ne présentait pas de caractère inexact ou trompeur. La lecture de cet arrêt est intéressante. Elle illustre la spécificité des faits de chaque espèce, lesquels dans bien des cas peuvent donner lieu à des appréciations aussi divergentes que solidement articulées, aussi bien de la part de la poursuite que de la commission, du rapporteur comme des juridictions de recours. Il n’y a pas beaucoup d’automatismes dans nos décisions, nous traitons une matière très riche et les débats peuvent être intenses.

Au-delà de ce bilan, mes réflexions portent sur la participation de notre commission à la politique de régulation de l’AMF.

Il est clair en effet que la politique de régulation de l’AMF est conduite par le collège, et la Commission des sanctions est un organe indépendant du collège. Mais cette indépendance n’empêche pas la commission de participer, à la place que lui a assignée le législateur, à cette politique de régulation. 

  • Tout d’abord parce que malgré leur indépendance, le collège et la Commission des sanctions poursuivent la même mission : celle de protéger les épargnants, de veiller à la bonne information des investisseurs et au bon fonctionnement des marchés financiers.
  • Ensuite, parce que les décisions de la commission, qui sont motivées, pédagogiques et dissuasives, illustrent les bonnes et les mauvaises pratiques des intervenants sur les marchés et clarifient les attentes du régulateur à leur égard.
  • En statuant sur les griefs notifiés par le collège, la commission applique, interprète et parfois clarifie la règlementation, quand cela est nécessaire. La commission joue ainsi un rôle d’éclaireur, notamment lorsqu’il s’agit d’appliquer la règlementation européenne, et en particulier le règlement Abus de marché (MAR). Ce faisant, elle apporte sa pierre à l’édifice de la régulation, en ayant toujours le souci de l’impact opérationnel de ses décisions sur l’activité des professionnels et sur les marchés.

C’est bien le cas de la décision ayant donné lieu à l’arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) du 15 mars dernier, qui, après son passage à Luxembourg, revient devant la cour d’appel de Paris. Comme il a été dit ci-dessus, ces décisions vont contribuer à clarifier encore la notion d’information privilégiée ainsi que l’appréciation du caractère illicite de la divulgation de telles informations dans le cadre de l’exercice des fonctions de journaliste.

D’ailleurs, au sujet de l’interprétation et de l’application de la règlementation européenne, si d’une manière générale, l’AMF a des échanges réguliers avec ses homologues et participe à de nombreux groupes de travail, nous appelons de nos vœux la mise en place d’échanges spécifiques avec les homologues de la Commission des sanctions au sujet des décisions rendues en matière répressive.

  • Enfin, j’en parlais à l’instant, lorsque des divergences d’appréciation persistent une fois rendues les décisions de la Commission des sanctions, ce sont les juridictions de recours qui prennent le relais pour trancher et pour dire le droit. A ce titre, elles peuvent être saisies par un recours – principal ou incident – du président de l’AMF. L’existence de ces voies de recours, et notamment le recours principal du président de l’Autorité, outre qu’elle illustre l’indépendance des deux organes de l’AMF doit être vue comme répondant au besoin de disposer de tous les outils pour clarifier l’interprétation d’un texte ou ses modalités d’application. Au-delà des controverses, le but est toujours le même : rendre le droit accessible et prévisible, donner une meilleure visibilité aux intervenants et aux acteurs des marchés financiers.

Tout cela pour souligner, une nouvelle fois, que l’activité répressive de l’AMF contribue à sa politique de régulation.

J’en viens à notre programme de l’après-midi.

Nous aborderons d’abord, lors de notre première table ronde, la question des secrets dans les procédures répressives. Quels secrets doivent être protégés ? Comment le sont-ils ? Quelles sont les pratiques des différents régulateurs ? Quelles différences peut-on noter avec les pratiques des autorités pénales ? C’est la première fois que la commission aborde ce sujet dans l’un de ses colloques et il nous a paru particulièrement utile de le soumettre à la réflexion collective des personnalités que vous allez entendre dans quelques instants.

Puis, la seconde table ronde se penchera sur la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme – thématique qui a fait l’objet d’une actualité importante avec la publication en mai 2022 du rapport d’évaluation mutuelle du GAFI et qui donne lieu à des décisions de la Commission des sanctions de plus en plus nombreuses : quel est le rôle de chacun des superviseurs ? Quelles sont leurs pratiques ? Quels sont les enjeux de cette règlementation et les perspectives en la matière ?

Mais je n’en dirai pas davantage. Je préfère laisser la parole, pour introduire les thèmes choisis, à une personnalité qui s’impose à l’évidence : M. François Molins, procureur général près la Cour de cassation, qui nous fait l’honneur d’intervenir cet après-midi comme apporteur d’éléments clefs à la réflexion (j’essaie de trouver un équivalent à « key note speaker »), et je lui en adresse entre notre nom à tous mes sincères remerciements.

Je remercie également l’ensemble des participants aux tables rondes qui ont accepté d’apporter leur contribution à ce colloque et de nourrir nos réflexions. Enfin, je remercie Benoît de Juvigny, le secrétaire général de l’Autorité, d’avoir accepté de clôturer cet évènement.

Je vous souhaite à tous un excellent après-midi avec nous !