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Discours d'introduction de Jean Gaeremynck, président de la Commission des sanctions - 16e colloque de la Commission des sanctions de l'AMF, Jeudi 12 octobre 2023

Discours d'introduction de Jean Gaeremynck, président de la Commission des sanctions - 16e colloque de la Commission des sanctions de l'AMF, Jeudi 12 octobre 2023

Seul le prononcé fait foi

Mesdames, Messieurs,
Chers collègues, chers amis,

Je suis très heureux de vous accueillir aussi nombreux pour ce 16e colloque de la Commission des sanctions.

Pour cette 16e édition, nous avons décidé de quitter la place de la Bourse pour un cadre maritime. J’espère que vous apprécierez ce bel amphithéâtre de la Maison de l’Océan. Il me semble que ce cadre correspond mieux à la température ambiante, au moins à celle de ces derniers jours. Pour autant rassurez-vous, le dress code n’a pas changé.

Ce lieu est l’un des deux établissements appartenant à l’Institut océanographique, Fondation Albert Ier, Prince de Monaco, qui est une fondation qui fédère des acteurs scientifiques, politiques, économiques et le grand public pour faire connaître et protéger l’Océan.

La Maison de l’Océan, dans laquelle nous nous trouvons, a été inaugurée en 1911 et elle complète l’œuvre du Prince Albert Ier, qui était un véritable explorateur, navigateur et pionnier de l’océanographie moderne. Le Prince a d’ailleurs lui-même mené de nombreuses missions d’explorations à travers les mers, à la fin du XIXe et début du XXe siècle.

Vous pouvez en avoir un aperçu derrière moi où les immenses fresques reproduisent des scènes authentiques de ces explorations, peintes par l’artiste Louis Tynaire qui accompagnait le Prince à bord de ses navires.

Je m’arrête là pour l’histoire de ce lieu et vous propose maintenant de vous embarquer pour voguer ensemble à travers le bilan de la Commission des sanctions, le droit financier et le droit européen.


Cette 16e édition du colloque de la commission sera pour moi la dernière en tant que président. Je souhaiterais donc profiter de cette tribune pour partager avec vous quelques éléments de bilan de ces années de présidence.

Mais avant cela, arrêtons-nous quelques instants sur l’activité de la Commission des sanctions et des juridictions de recours depuis notre rendez-vous d’octobre 2022.

Depuis le dernier colloque, la Commission a rendu 15 décisions de sanction et 8 décisions d’homologation d’accords de composition administrative.

S’agissant des sanctions, la Commission a prononcé en un an un total de plus de 126 millions d’euros de sanctions pécuniaires. Ce montant élevé – il l’est plus que d’habitude – traduit notamment la gravité des manquements sanctionnés.

Je ne reviendrai pas dans le détail sur chacune des décisions rendues, mais il me parait tout de même important d’attirer votre attention sur certaines d’entre elles et, en particulier, sur celles rendues par la formation plénière de notre Commission. Depuis octobre dernier, il y en a eu trois.

D’abord, la décision du 30 décembre 2022, rendue à l’égard d’une société de gestion de portefeuille établie au Royaume-Uni et de deux de ses dirigeants. Cette affaire présentait un caractère inédit, tant par les faits reprochés que par leur gravité exceptionnelle et l’impact qu’ils ont eu sur des milliers d’investisseurs. La question principale qui se posait était de savoir si les investissements réalisés par des fonds français gérés par cette société étaient éligibles à l’actif de ces fonds. La réponse donnée par la Commission a été « non ». Cette décision a donné lieu au prononcé de sanctions importantes d’un montant total de 93 millions d’euros. Elle fait l’objet d’un recours devant le Conseil d’Etat.

L’année qui vient de s’écouler a été aussi l’occasion pour la commission d’apprécier pour la 1re fois des faits reprochés à une association professionnelle de conseillers en investissements financiers. Vous le savez, depuis plusieurs années, et en particulier depuis 2015, nous avons rendu de nombreuses décisions à l’égard de conseillers en investissements financiers. Les manquements commis sont récurrents et dénotent souvent des carences d’ordre organisationnel, mais parfois également une certaine négligence, voire un manque flagrant de professionnalisme. Derrière ces manquements de CIF, il ne faut pas oublier qu’il y a des investisseurs, souvent non professionnels, qui investissent parfois l’épargne d’une vie entière.

Après tant de décisions mettant en évidence des manquements graves, nous saluons la décision du secrétaire général d’ouvrir des contrôles à l’égard des associations de CIF, qui sont agréées et régulées par l’AMF. La décision rendue par la Commission le 5 septembre dernier à l’égard de l’une des associations les plus représentatives de CIF met en évidence des manquements lors de l’examen des dossiers de demande d’adhésion de conseillers en investissements financiers, dans la mise en œuvre des procédures de l’association elle-même en matière de contrôle et de sanction de ses membres ainsi qu’en matière de gestion des conflits d’intérêts.

Nous espérons que les remédiations mises en œuvre au niveau de cette association et, d’une manière plus générale, la prise de conscience par l’ensemble des associations de leur rôle essentiel, auront un impact positif sur l’ensemble de l’écosystème et, in fine, sur la protection de l’épargne.

Enfin, la dernière décision rendue par la formation plénière de la Commission est celle du 7 septembre dernier. Elle concerne un émetteur et son dirigeant et constate l’existence de manipulations de marché par la diffusion d’informations fausses ou trompeuses. Nous avons, en effet, retenu que cet émetteur avait diffusé des informations qui donnaient aux investisseurs une image de sa situation de liquidité plus favorable qu’elle ne l’était réellement, en particulier en qualifiant, sans nuance, dans différents supports de communication, cette situation de « solide » ou « très solide ». En prononçant à l’égard de cet émetteur une sanction pécuniaire de 25 millions d’euros, nous nous inscrivons dans la mission de l’AMF d’assurer le bon fonctionnement du marché et la protection des investisseurs. Car, là-encore, ce sont les investisseurs qui supportent les conséquences d’un défaut de transparence. Cette décision a fait l’objet d’un recours.

Je voudrais également dire quelques mots de la décision du 30 janvier 2023, rendue par la 2e section à l’égard trois personnes morales et huit personnes physiques pour des manquements d’initiés ou des manquements relatifs à la tenue et à la mise à jour de liste d’initiés. Cette affaire, qui a donné lieu au prononcé d’un montant total de 3 160 000 euros de sanctions pécuniaires, constitue un exemple topique de chaînes de transmission d’informations privilégiées et de manquements d’initiés. On peut se féliciter que les moyens de surveillance et d’investigation mis en œuvre par l’AMF permettent de détecter ce type de comportements afin de ne pas les laisser impunis. Je précise également que cette décision a, elle aussi, été portée devant une juridiction de recours.

Pour finir, une fois n’est pas coutume, je voudrais également souligner cette année une décision par laquelle la Commission a homologué un accord de composition administrative conclu avec une société de gestion. Il était reproché à la société de gestion d’avoir été défaillante dans la structuration de fonds à gestion indicielle étendue puisque celle-ci ne permettait pas l’atteinte des objectifs de gestion affichés dans les documents réglementaires de ces fonds. Dans le cadre de l’accord conclu avec le secrétaire général, la société de gestion s’est engagée à verser aux investisseurs concernés, à proportion de leurs encours respectifs, un montant correspondant à la quote-part des frais de gestion et de fonctionnement prélevés sur chacun des fonds concernés au-delà d’un certain taux. La somme totale maximum de ces versements était évaluée à 7 750 000 euros. On peut, là encore, se féliciter de la mise en place de ce genre d’engagement qui va dans le sens de la protection des investisseurs.

Enfin, je note que, depuis notre 15e colloque, les juridictions de recours ont rendu un total de 16 ordonnances et décisions :

  • 5 de la cour d’appel de Paris,
  • 5 de la Cour de Cassation,
  • 6 du Conseil d’Etat.

Comme je vous le disais l’année dernière, les décisions des juridictions de recours sont toujours précisément analysées car, qu’elles confirment ou qu’elles infirment les décisions de notre Commission, elles nous éclairent et ce sont elles qui font jurisprudence.

Cette année, je voudrais faire mention de l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 30 mars 2023 par laquelle la cour d’appel de Paris a statué après renvoi préjudiciel sur le caractère privilégié d’informations portant sur la publication prochaine d’articles de presse relayant des rumeurs de marché et sur la notion de divulgation de ces informations « à des fins journalistiques ». Dans cet arrêt, la Cour a retenu que les informations en cause pouvaient bien être qualifiées de privilégiées, et qu’elles avaient été divulguées à des fins journalistiques. Elle a considéré que ces divulgations étaient nécessaires mais, en revanche, qu’elles n’étaient pas proportionnées, de sorte qu’elles étaient illicites.

Cet arrêt fait l’objet d’un pourvoi.


J’en viens à présent au bilan, plus large, de mes 7 années passées comme président de la 2e section puis, depuis septembre 2021, de la 1re section de la Commission.

Au cours de mon mandat, j’ai eu à cœur, avec l’ensemble des membres de la Commission, de poursuivre l’action de mes prédécesseurs en renforçant – encore et toujours – la dimension pédagogique des décisions de la Commission des sanctions.

La mission de la Commission est de faire en sorte que les décisions qu’elle rend, par-delà le cas particulier des personnes mises en cause dans les différentes affaires, soient utiles à l’ensemble du marché. C’est qu’elles permettent non seulement de sanctionner des manquements historiquement avérés, mais également de prévenir de futurs manquements en renseignant les acteurs du marché sur la manière d’appliquer la réglementation et les conséquences de la violation des règles en vigueur.

Nous avons donc travaillé à rendre nos décisions plus accessibles, plus lisibles, plus compréhensibles, de manière à ce que chaque acteur, qu’il soit par exemple conseiller en investissements financiers, gestionnaire de fonds ou même particulier investisseur, puisse comprendre les enjeux et les risques de son activité sur les marchés financiers.

Il ne vous aura pas échappé à ce sujet, puisque vous êtes de fidèles lecteurs de nos décisions, qu’après avoir supprimé les considérants en début de paragraphe, nous avons numéroté les paragraphes en question, pour se référer plus facilement aux passages les plus importants des décisions et faciliter les renvois internes. Nous avons également clairement fait apparaître, en les distinguant par des titres spécifiques, la position de la poursuite, l’argumentation de la défense, et l’analyse de la Commission, le tout dans un « récit » menant logiquement de la présentation des griefs à la solution retenue. Ce faisant, par des rédactions développées, nous nous efforçons de faire clairement apparaître notre raisonnement sur chaque grief, ainsi que nos réponses aux différents arguments de la défense. Nous avons également renforcé la rédaction de nos dispositifs ce qui permet désormais, en un coup d’œil, d’identifier quels manquements sont caractérisés ou ne le sont pas, et la solution donnée aux moyens de procédure.

Ce souci de pédagogie contribue, je l’espère, à faire en sorte que nos décisions soient encore mieux comprises et respectées.

Mais ce n’est pas tout. Au-delà de renforcer la pédagogie, c’est également l’accès aux décisions qu’il faut travailler. Car ces décisions peuvent être claires, lisibles et compréhensibles, si elles ne sont accessibles, en pratique qu’à un petit nombre de personnes (que je n’ose ici qualifier d’initiées) l’effort de pédagogie manque son but. C’est aussi à l’aune de l’accessibilité, me semble-t-il, que l’on mesure l’efficacité de l’action répressive de l’AMF.

Vous le savez, depuis 2019, chaque décision s’accompagne d’un communiqué de presse en français et en anglais. Par ailleurs, des actions de communication spécifiques sont organisées auprès de professionnels pour les alerter sur les manquements que nous avons constatés au fil de nos décisions. C’est le cas, par exemple, au bénéfice des responsables de la conformité des prestataires de services d’investissement et des sociétés de gestion. A l’heure de passer le flambeau, j’appelle de mes vœux la poursuite et le développement d’actions de ce type, en élargissant leurs bénéficiaires, pour diffuser au plus grand nombre les enseignements des décisions que nous rendons.  Enfin, la diffusion et l’accès aux décisions passent également par la mise à jour du recueil de jurisprudence. Vous l’aurez noté, la dernière édition du recueil ne vous a pas été remise aujourd’hui, mais rassurez-vous, elle vous sera envoyée la semaine prochaine à l’adresse que vous avez renseignée sur la plateforme d’inscription. 


J’en viens à notre programme de l’après-midi.

Dans quelques jours, vous le savez, nous fêterons les 20 ans de l’AMF, qui a été installée par le ministre de l’Économie, des Finances et de l’Industrie le 24 novembre 2003, en application de la loi de sécurité financière du 1er août 2003.Vingt ans après cette installation, notre 1re table ronde dressera un bilan de l’action répressive de l’AMF et de sa Commission des sanctions et tentera d’envisager les perspectives pour les années à venir. Quelles étapes ont marqué la période récente ? Quelle est l’efficacité de l’action répressive de l’AMF ? Quelles évolutions envisager ?

Je viens de vous présenter quelques réflexions sur la mesure de l’efficacité de l’action répressive et l’accès aux décisions de notre Commission. Je suis vivement intéressé d’entendre, dans un instant, le point de vue de nos différents intervenants, que nous allons accueillir dans un instant.

Puis, la seconde table ronde débattra de l’influence de la jurisprudence européenne sur la procédure de sanction.

Après les décisions de la Cour de justice de l’Union européenne rendues ces dernières années concernant les données de connexion, le droit au silence, le non bis in idem, nous nous interrogerons sur leur impact pratique. Faut-il se réjouir de ces évolutions et de la convergence européenne ? Là encore, quelles nouvelles évolutions attendre ?

Nous avons conscience que notre écosystème n’est en aucune manière isolé. Nos décisions sont influencées par celles d’autres juridictions, nationales, européennes voire étrangères, statuant autant en matière financière que dans d’autres domaines.

Il me tarde donc d’entendre nos différents intervenants à ces deux tables rondes. Je les remercie chaleureusement d’avoir accepté d’apporter leur contribution à ce colloque et de nourrir nos réflexions.

Mais avant cela, j’ai le grand plaisir d’accueillir Christophe Soulard, Premier président de la Cour de cassation et ancien membre de la Commission des sanctions. Cher Christophe, en notre nom à tous, je vous remercie de nous faire l’honneur de votre présence cet après-midi comme « key note speaker », euh je veux dire comme chargé du discours d’ouverture, pour nous faire part de vos réflexions en guise d’introduction aux débats de nos deux tables rondes.

J’adresse également mes sincères remerciements à Mme Barbat-Layani, présidente de l’AMF, qui clôturera cet évènement.

Je vous souhaite à tous un excellent après-midi avec nous !