
- Accueil
- Actualités & publications
- Prises de parole
- Intervention de Marie-Anne Barbat-Layani, Présidente de l’Autorité des marchés financiers à l'Académie des sciences morales et politiques - Lundi 7 avril 2025
Intervention de Marie-Anne Barbat-Layani, Présidente de l’Autorité des marchés financiers à l'Académie des sciences morales et politiques - Lundi 7 avril 2025
« La régulation des marchés financiers : entre héritage culturel, choix politiques et stratégies contemporaines »
Seul le prononcé fait foi
Monsieur le Secrétaire perpétuel,
Monsieur le Président,
Monsieur le Vice-Président,
Mesdames et Messieurs les académiciens, Mesdames et Messieurs,
C’est un très grand honneur d’être parmi vous, aujourd’hui, dans un lieu qui réunit tant d’intelligence et d’histoire, pour évoquer les grands enjeux de la régulation financière.
Vous avez choisi de placer cette année les travaux de votre Académie sous le thème de la géographie : « La terre des hommes. Diverses facettes de la géographie. » et j’ai donc essayé de réfléchir au lien entre géographie et marchés financiers. Au-delà de l’actualité, qui nous conduit à traverser l’Atlantique, on peut dire que, s'il y a bien un aspect qui a impacté l'organisation et le fonctionnement des marchés financiers dans les dernières décennies, c'est bien leur relation aux notions de lieu, de région, de frontières – réelles et virtuelles.
Un peu avant l'an 2000 et le passage à l'euro, les développements technologiques ont en effet permis la dématérialisation progressive des marchés financiers. Les marchés se sont ainsi trouvés libérés des contraintes matérielles qui avaient à l'origine dicté leur organisation et obligé l'offre et la demande à se rencontrer en un lieu physique centralisé, dans une ville, une région, un pays.
La "corbeille" historique de la Bourse de Paris, qui en témoigne, se trouve encore exposée au Palais Brongniart, comme souvenir d'un passé où les marchés requéraient une implantation concrète en un lieu précis. Le Palais Brongniart n’est plus aujourd’hui qu’un vestige de l’histoire boursière, comme avant lui, selon le plan de Turgot, le bout de la rue Vivienne situé entre l’écurie du Duc d’Orléans et la bibliothèque du roi.
Aujourd’hui, on rencontre plus de difficulté à repérer « la bourse » ; elle est majoritairement virtuelle, dans « la toile ». La plus grande bourse de crypto-actifs se situe d’ailleurs, comme se plait à le dire son fondateur, « là où il se trouve », créant ainsi un défi nouveau pour les régulateurs ; mais encore y a-t-il, sinon une adresse et un siège, au moins un « dirigeant responsable », comme le dit notre jargon. Que l’on songe maintenant à la « finance décentralisée », qui prétend n’avoir «ni lieu ni maître », et effectue des opérations financières via des protocoles exécutés par d’innombrables ordinateurs anonymes.
Si l’on revient aux marchés financiers plus classiques, la technologie permettrait donc, en théorie, de négocier des titres financiers à travers les frontières, de manière identique et fluide dans le monde entier, à partir d’un ou plusieurs marchés dématérialisés.
En réalité, l'on observe que les marchés restent rattachés à des lieux, notamment par la règlementation. Car l’activité financière est extrêmement réglementée, pour d’excellentes raisons, liées à l’impact de la finance sur le reste de l’économie et sur la vie de chacun de nos concitoyens : formidable accélérateur de projets quand elle fonctionne bien, ses crises sont dramatiques par leurs effets. La régulation, mission régalienne, demeure très nationale. S’il existe une organisation internationale qui définit des standards globaux, l’essentiel des règles restent nationales (ou européennes pour ce qui nous concerne). Quant à ceux qui veillent à leur bonne application par les acteurs financiers, les autorités de marché ou « régulateurs », ils sont également très nationaux, même si l’Europe tente, de manière hélas trop limitée à ce stade, de mettre en place un échelon européen de supervision plus puissant.
Les marchés se sont développés de manière prédominante dans certains endroits du globe. En Europe, en Asie, en Inde aujourd’hui, mais aussi et surtout aux Etats-Unis, qui concentrent aujourd'hui la plus grande part de l'activité financière. Cette concentration des échanges et de l’innovation financière dans une « juridiction » tierce (c’est le nom que l’on donne dans notre jargon aux grands ensembles géographiques et financiers), peut s'avérer problématique pour l'Europe, comme pour le reste du monde. Les marchés américains drainent une grande partie de l’épargne mondiale, et on estime aujourd’hui à 300 Mds€ par an les flux d’épargne qui quittent chaque année l’Europe pour s’investir aux Etats-Unis, à l’heure où l’Europe en a plus que jamais besoin.
C'est aussi le cas lorsque la règlementation américaine tend à produire des effets extraterritoriaux, venant imposer des objectifs de politique publique en dehors du territoire américain. On risque ainsi aujourd’hui de voir les entreprises européennes prises en étau entre une loi européenne qui leur impose des obligations en matière d’ESG (« Environnement, Social et Gouvernance »), par exemple sur la parité su sein des conseils d’administration, et une loi américaine qui leur interdit de s’en préoccuper !
C’est enfin un sujet pour l’indépendance de l’Europe, son « autonomie stratégique », car on redécouvre aujourd’hui à quel point la localisation des acteurs financiers et des centres de décision est un enjeu central, que l’on a eu parfois un peu tendance à sous-estimer. C’était oublier que « l’argent est le nerf de la guerre » et, plus prosaïquement, que « qui paye décide ». Il va donc falloir sécuriser davantage la maîtrise de nos circuits de financement pour mieux assurer notre indépendance stratégique.
C’est tout le sens de ce que je considère comme « le » sujet de notre génération en matière financière, après l’extraordinaire épopée de la monnaie unique : l’Union de l’Epargne et de l’investissement.
A la fin du siècle dernier, nos prédécesseurs ont bâti l’euro et ses institutions, qui s’avèrent aujourd’hui un bouclier extraordinairement précieux contre les à-coups financiers. Mettre fin à la fragmentation des marchés financiers européens, et permettre enfin leur développement, est aujourd’hui une nécessité pour que le moteur de la finance donne à l’Europe les moyens de son autonomie stratégique et de ses choix politiques. C’est notre responsabilité de faire avancer ce projet et l’AMF apporte sa pierre à l’édifice. J’y reviendrai.
Dans ce contexte, se pose une question centrale : comment la régulation financière s’inscrit-elle dans une géographie marquée par des différences culturelles, historiques et économiques ?
Je vous propose donc aujourd’hui de présenter l’AMF, incarnation d’une certaine idée de la régulation financière, avant d’évoquer ses grandes priorités d’action.
1. L’AMF, une certaine idée de la régulation financière
Les systèmes financiers comme leur régulation, sont le produit d’un passé culturel, institutionnel et politique. Sans revenir sur les analyses de Max Weber, on relèvera que le modèle anglo-saxon favorise une régulation libérale, fondée sur la transparence de l’information et la responsabilité individuelle des investisseurs. Des pays comme la France ou l’Allemagne ont une tradition plus interventionniste, où l’État joue un rôle majeur dans l’encadrement du secteur financier.
L’AMF incarne la vision française de la finance et de la régulation, une vision assez singulière, que nous portons, celle d’une finance bien régulée, utile, intègre, résiliente et compétitive, au service du financement de l’économie et de ses transformations essentielles.
La création de l’AMF, en 2003, est en quelque sorte la dernière étape d’une volonté continue de centralisation de la régulation et du contrôle. Ce choix historique, héritage du Colbertisme, a été renforcé par des crises nationales majeures -comme la faillite du Crédit Lyonnais- qui ont nourri une forme de méfiance envers les dérives du marché, comme le veut le fameux adage « la confiance n’exclut pas le contrôle ». Comme l’a souligné Jean-Claude Trichet : « La confiance dans les marchés ne suffit pas, elle doit être encadrée par une autorité publique légitime ».
L'AMF est le régulateur des marchés financiers français. Elle incarne et porte la vision française de la régulation financière et joue à ce titre un rôle essentiel dans l'existence, l'organisation et le fonctionnement de la Place financière de Paris.
L’AMF est issue de la loi de sécurité financière du 1er août 2003. Évoquant ce qui était alors le projet de loi de sécurité financière, le Président Chirac indiquait, en janvier 2003, qu’elle « dotera la place de Paris d'une autorité des marchés financiers puissante et respectée qui contribuera à son développement ».
Lors de l’installation de l’AMF le 24 novembre 2003, le ministre de l'économie et des Finances de l'époque, Francis Mer, soulignait que la création de l’AMF consacrait « l'ambition des pouvoirs publics de disposer à leurs côtés d'une autorité efficace et puissante, à la fois sur le plan national et international. » Le législateur « a voulu une autorité forte, qui protège les épargnants et qui soit attentive aux innovations de la vie financière, qui assure à tous transparence et sécurité. » Il s’agissait de faire de l’AMF « la tour de contrôle vigilante de notre marché », disposant « pour cela de tous les moyens lui permettant d'agir avec fermeté et rapidité ».
L'AMF a récemment fêté ses vingt ans. Cela a été l'occasion de dresser un bilan mais aussi de nous projeter dans l'avenir, avec confiance et détermination. Ces vingt dernières années ont montré que les choix fondamentaux qui ont présidé à la création de l’AMF, à la définition de ses missions et à son organisation, restent pleinement d’actualité.
L'AMF est une autorité publique indépendante, dotée de la personnalité morale. Elle dispose d’une autonomie juridique, fonctionnelle et financière, indépendance fondamentale dans l’exercice de ses missions.
Sa gouvernance repose sur deux organes faîtiers collégiaux distincts, aux missions différentes : le Collège, qui est l’organe décisionnel et de poursuite de l’AMF, présidé par le président de l’AMF ; et la Commission des sanctions, indépendante du Collège, qui est l’organe de jugement habilité à prononcer des sanctions disciplinaires et pécuniaires.
Notre Collège, paritaire de par la loi, réunit des membres issus d’univers différents, publics et privés. La direction générale du Trésor y est représentée sans voix délibérative, assurant ainsi un lien étroit entre l’autorité réglementaire et le régulateur de marché, dont le « règlement général », véritable code de la route des marchés, doit être homologué par le ministre des Finances pour entrer en vigueur.
Nous bénéficions aussi d’une grande richesse pluridisciplinaire au niveau des services. Notre modèle de ressources humaines est unique dans le secteur public, puisqu’il ne repose sur aucun « corps administratif », mais s'appuie sur les compétences d’un peu plus de 500 collaborateurs de très haut niveau, issus d’univers professionnels très divers (juristes, auditeurs, spécialistes des marchés financiers, data scientists, informaticiens…), auxquels s’appliquent les règles du secteur public, notamment en matière de déontologie. Nous sommes également une autorité très technologique : environ 20 % de notre budget annuel est consacré aux technologies de l’information (équivalent à 26 M€). Après avoir réussi le virage de la donnée, l’AMF déploie aujourd’hui une stratégie en matière d’intelligence artificielle pour renforcer son efficacité, et s’est fixé pour objectif de définir en 2025 sa feuille de route en la matière.
L’AMF dispose également de six commissions consultatives, qui réunissent des experts de la place, y compris en matière de protection des investisseurs et de finance durable, et dont le rôle principal est d’éclairer les décisions du Collège. Elle s’est en outre dotée d’un Conseil scientifique et a porté sur les fonts baptismaux le Haut Comité Juridique de Place (HCJP) en 2015 pour approfondir la réflexion en matière juridique.
Les missions de l'AMF sont fixées par le législateur :
- Veiller à la protection de l’épargne investie dans les instruments financiers, à l’information des investisseurs et au bon fonctionnement des marchés d’instruments financiers ;
- Veiller à la qualité de l’information fournie par les sociétés de gestion pour la gestion de placements collectifs sur leur stratégie d’investissement et de gestion des risques liés aux effets du changement climatique :
- Apporter son concours à la régulation des marchés aux échelons européens et internationaux et coopérer avec les autorités compétentes des autres États ;
… tout en prenant en compte, dans l’accomplissement de ses missions, des objectifs de stabilité financière dans l’Union européenne et l’Espace économique européen et en contribuant à la mise en œuvre convergente des dispositions nationales de l’Union européenne à l’égard des acteurs régulés.
L’AMF joue également un rôle essentiel en matière de prévention du blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme à l’égard des acteurs qu’elle supervise.
Elle surveille ainsi les 800 sociétés cotées à Paris et supervise environ 1 300 acteurs dont environ 700 sociétés de gestion de portefeuille, 5 infrastructures de marché et teneurs de compte conservateur. Elle supervise plus de 12 000 organismes de placement collectif (pour un encours d’environ 3500 milliards d’euros). S’y ajoutent les nouveaux acteurs régulés : 45 prestataires de service de financement participatif et une centaine d’acteurs du monde des crypto-actifs que près de 7 000 conseillers en investissements financiers.
Dans l’exercice de ses missions, l’AMF agit notamment en étroite coordination avec l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), autorité jumelle, chargée du contrôle prudentiel des banques et des assurances : cette architecture traduit le choix de la France de séparer le régulateur prudentiel du régulateur des marchés.
En matière répressive, l’AMF agit également en coopération avec le Parquet national financier, qui a la priorité des sanctions en matière d’abus de marché, une fois que le Collège a décidé de poursuivre. Elle présente une spécificité juridique intéressante, puisque le contentieux de ses décisions relève pour partie des juridictions privées (contentieux des décisions sur les acteurs non réglementés), et pour partie des juridictions publiques (contentieux des acteurs réglementés).
L’AMF est aujourd’hui confrontée à de nouveaux défis et enjeux importants, qui s’ajoutent à ses missions traditionnelles. Elle s’est vu confier de nouvelles missions à fort impact :
- la stabilité financière, qui désigne la prévention des crises financières, notamment les enjeux liés au développement de la finance non bancaire dont nous avons en partie la charge ;
- la finance durable (avec notamment le contrôle du reporting extra-financier et la lutte contre le greenwashing) ;
- l’innovation et la finance numérique, avec une nouvelle population régulée : les Prestataires de service sur actifs numériques (crypto-actifs), et le contrôle de la résilience opérationnelle numérique cyber-sécurité des acteurs régulés) ;
2. Les grandes priorités de l’AMF
Pour nous projeter dans l'avenir en tenant compte de ces défis, nous avons publié nos priorités stratégiques pour la période 2023-2027, qui témoignent à la fois de notre fidélité à notre ADN, et de notre volonté d’adaptation aux nouveaux enjeux.
Deux axes transversaux stratégiques :
- Etre un régulateur exigeant pour la première place financière européenne
- Avoir une action européenne et internationale forte
Trois priorités thématiques :
- Protéger les épargnants
- Promouvoir une finance plus durable
- Accompagner l’innovation
Et un socle essentiel : être une autorité attractive et performante, au service de l’intérêt général. Permettez-moi de développer un peu plus précisément ces priorités.
1. Être un régulateur exigeant au service de la première place financière de l’Union européenne
Avec ses orientations stratégiques 2023-2027, l’AMF a pour la première fois affiché l’attractivité de la place financière comme une des priorités de son action.
Cela n’allait pas de soi, contrairement à nos homologues britanniques auxquels la loi vient de confier un mandat de compétitivité ; et cela a d’ailleurs fait l’objet de discussions fortes.
Cette priorité traduit une conviction importante, qui naît de la vision française de la finance et de sa régulation que j’évoquais tout à l’heure : c’est par la qualité et l’exigence de notre action de régulation, ce que nous avons appelé notre exigence, que nous contribuons à l’attractivité de la Place. Le moins-disant règlementaire n’a jamais été un choix des autorités françaises en matière financière, et cela ne nous a pas trop mal réussi collectivement puisque Paris est aujourd’hui de loin, la première place financière de l’Union Européenne.
Cette exigence, nous la posons aussi vis-à-vis de nous-mêmes, en travaillant sur la simplification, en évitant la sur-règlementation, en nous interdisant notamment désormais la sur-transposition des textes européens, et en étant transparents et vigilants sur nos propres performances.
Nous avons besoin d’un secteur financier solide pour assurer l’autonomie stratégique de la France, mais aussi de l’Union européenne. Cette première priorité stratégique trouve donc son prolongement naturel dans notre action européenne et internationale.
2. « Une action internationale forte »
Au niveau international, les enjeux de stabilité financière sont au cœur des travaux de l’Organisation Internationale des régulateurs financiers (OICV) et du Conseil de stabilité financière, créé après la crise de 2008. J’assure notamment la coprésidence, aux côtés de mon homologue britannique, du groupe en charge de la stabilité financière, où le rôle des régulateurs de marché est maintenant très central compte tenu de la montée en puissance très marquée de la finance non bancaire, qui représente aujourd’hui la moitié de la finance mondiale. Au sein de cet univers, le rôle des fonds d’investissement et des mécanismes de marché, dont les autorités de marché comme l’AMF sont les régulateurs, va croissant.
Le « private equity » prend une place croissante dans le financement des entreprises, tandis que les marchés boursiers subissent, partout dans le monde, une réelle désaffection qui peut interroger la capacité des bourses à assumer durablement l’une de leurs fonctions essentielles : la révélation des prix (en France, pour 14 introductions en bourse l’an dernier, nous avons observé 39 retraits de la cote !). Le même phénomène se développe du côté du crédit : autrefois apanage des seules banques, il provient de manière croissante d’autres acteurs. Le précédent président de la SEC (Securities and Exchange Commission) américaine estimait que les fonds de dette assureraient assez rapidement aux Etats-Unis, une part du crédit aux entreprises plus importante que celle les banques ! Il nous faut donc sans arrêt ajuster notre compréhension de ces évolutions, des interactions entre les différentes catégories d’acteurs, de leurs impacts potentiels sur la stabilité du système financier, et adapter les outils de la règlementation.
Au niveau européen, l’enjeu majeur est le développement d’un véritable marché unique des capitaux, pour répondre aux besoins de financement considérables de nos économies. Le récent rapport de Mario Draghi a chiffré à 800 Mds€ par an les besoins supplémentaires de financement liés à la transition numérique et énergétique.
S’y ajoutent maintenant les besoins de la défense européenne, si bien que l’on doit considérer que ce sont 1 000 Mds supplémentaires par an qu’il faut trouver. Cela passe par la mobilisation du secteur bancaire, bien entendu, mais surtout des marchés de capitaux, pour mieux transformer le gisement trop sous-exploité de l’épargne européenne et l’orienter vers des investissements de plus long terme.
La Commission européenne vient de publier sa stratégie pour la mise en place de l’Union de l’Epargne et de l’investissement. Il est nécessaire que ce projet, existentiel pour l’Europe, continue à bénéficier d’un portage politique fort, pour éviter le risque d’enlisement dans un programme technocratique aux impacts limités, ou, pire, le choix de l’inaction pour ne pas bouleverser les équilibres nationaux.
Car la construction d’une Union de l'Epargne et de l'Investissement nécessitera des évolutions fortes, notamment sur l’architecture de la supervision européenne, avec un transfert des compétences des superviseurs nationaux comme l’AMF vers l’Autorité européenne de supervision des marchés financiers, qui n’est pas un projet simple.
La mise en place d’une supervision plus européenne directe est pourtant indispensable pour la compétitivité du secteur financier européen, aujourd’hui confronté à 27 superviseurs nationaux aux pratiques divergentes. Ce n’est pas la supervision qui crée le marché, mais la situation actuelle est un sérieux obstacle au développement de marchés de capitaux plus puissants et plus attractifs. Si l’Europe n’y parvient pas, la tentation d’aller se coter aux Etats-Unis où les entreprises peuvent espérer une valorisation bien plus élevée, risque de devenir irrésistible, tandis que les 300 Mds€ d’épargne européenne qui partent chaque année s’investir outre-Atlantique risquent de ne pas revenir de sitôt.
L’Europe dispose d’un exemple d’organisation de la supervision intéressant avec l’Union Bancaire et son système de supervision unique mis en place pour les banques, à Francfort après la crise financière, qui doit être mise en place pour la régulation des marchés.
Elle doit aussi favoriser les enveloppes d’investissement de long terme dans les entreprises, ce qui nécessitera des choix et des décisions fiscales résolues, parfois complexes politiquement, chaque pays a ses propres traditions, et que les pays qui ont le mieux développé ce type d’investissements sont la Suède ou les Pays-Bas, qui l’ont fait au travers de fonds de pension. Il faudra placer l’investisseur au centre des attentions, car c’est lui qui décidera in fine du succès de ce projet.
La Commission européenne a par ailleurs lancé récemment une stratégie de simplification du cadre réglementaire, objectif qui est devenue une évidence au niveau européen. Celle-ci doit concerner d’abord les entreprises, pour assurer la compétitivité de nos économies, mais elle devra se pencher aussi sur les particuliers, dont le parcours d’investisseur est hyper réglementé, pour de bonnes raisons, mais aussi parfois de manière contre-productive.
Cet objectif de simplification est par ailleurs intimement lié à la problématique de la supervision européenne. En effet, sans supervision européenne, il n’y aura pas de réelle simplification possible. Aujourd’hui, le manque de convergence des pratiques de supervision et la concurrence entre superviseurs créent de tels risques, notamment pour la protection des investisseurs, que l’Europe ne peut pas se contenter de normes principielles, et produit des textes de plus en plus longs, précis et prescriptifs. C’est à cela qu’il faut s’attaquer.
3. Adapter notre action pour protéger les investisseurs
La protection des épargnants et des investisseurs est la première de nos priorités stratégiques. A l’heure des nouveaux canaux d’information et de l’intelligence artificielle, on ne protège pas les épargnants et les investisseurs comme autrefois.
C’est un vrai défi pour l’AMF qui doit adapter ses outils, ses moyens et son mode de raisonnement à cet environnement nouveau. Nos actions s’inscrivent dans une double approche : comprendre pour mieux protéger.
D’abord comprendre. Succès phénoménal des crypto-actifs et des fonds d’investissement indiciels (dits « ETF »), investissements fractionnés, retour des produits complexes, rôle de plus en plus important des réseaux sociaux et des influenceurs, nouvelles modalités de commercialisation, « gamification» (technique des jeux en ligne appliquées au marketing des produits financiers), rôle des « fin-influenceurs », montée rapide des usages de l’intelligence artificielle : le paysage de l’épargne est en pleine révolution.
Nous avons travaillé avec l’OCDE pour mieux comprendre les « nouveaux investisseurs », ce million de Français qui a commencé à investir depuis le COVID. Nous observons en effet deux phénomènes importants : le rajeunissement des investisseurs, et un regain d’intérêt pour l’investissement (la part des Français déclarant envisager de souscrire des placements en actions en 2025 atteint 30% , soit le niveau le plus élevé depuis la création de notre enquête en 2017).
Ces nouveaux investisseurs présentent des caractéristiques qui nous interpellent. Ils surestiment leurs compétences financières et s’informent principalement sur les réseaux sociaux et via les influenceurs.
Autre enseignement clef de l’étude de l’OCDE : la moitié des « nouveaux investisseurs » a investi dans les crypto-actifs. Je le signale au passage : au-delà des nouveaux investisseurs, il y a aujourd’hui plus de Français qui détiennent des crypto-actifs en direct (10%) que des actions cotées (7%). C’est une évolution majeure.
Ensuite, protéger. Nous avons commencé à déployer une stratégie d’éducation financière dédiée à ces nouveaux investisseurs (avec notamment une campagne reprenant les codes du jeu vidéo lancée en octobre dernier, qui a rencontré un grand succès sur les réseaux sociaux auprès des plus jeunes).
Nous nous attachons aussi à surveiller les impacts de l’intelligence artificielle (IA) : l’obligation d’agir dans le meilleur intérêt des clients doit demeurer la règle et être intégrée par les systèmes d’IA utilisés par les acteurs financiers.
Il nous faut également renforcer notre capacité de veille et nos outils pour mieux lutter contre les arnaques. Nous observons en effet une explosion des arnaques financières, que le numérique et l’intelligence artificielle, potentialisent : faux conseillers, usurpations d’identité (dont celle de l’AMF, la mienne…), arnaques sur crypto-actifs, arnaques sur arnaques…
Avec 15% de Français qui estiment avoir été victimes d’une arnaque financière (et35% pour les moins de 35 ans), il s’agit d’un véritable phénomène de société. De plus en plus de particuliers sont piégés, et les montants perdus sont considérables pour ceux qui se sont laissés prendre : 29 500 € en moyenne. Au-delà des tragédies individuelles, quand on sait que les marchés financiers reposent sur la confiance, on mesure l’enjeu de ce problème contre lequel nous sommes particulièrement mobilisés.
Nous observons également la montée en puissance d’un autre phénomène inquiétant pour l’intégrité des marchés : celui de réseaux d’initiés internationaux. Il s’agit de groupes d’individus qui s’organisent pour obtenir des informations privilégiées sur des sociétés cotées. Certains réseaux s’associent désormais à des organisations criminelles, et on observe des montants investis considérables. Les enjeux sont majeurs et le phénomène est international. Face à ces réseaux, nous coopérons intensément avec le Parquet national financier et nos homologues étrangers. L’AMF est ainsi une des trois autorités qui utilise le plus l’accord multilatéral de coopération en matière répressive qui unit les 132 régulateurs financiers membres de l’OICV. Nous avons également préparé une vingtaine d’articles législatifs pour renforcer l’efficacité de notre action répressive.
4. Promouvoir une finance plus durable
La transition énergétique est une priorité collective que s’est donnée l’Europe.
Quels que soient les effets de mode, chacun peut constater aujourd’hui que notre maison brûle et que nous ne pouvons pas continuer à regarder ailleurs… mais aussi, plus prosaïquement, qu’il est essentiel pour les investisseurs de savoir comment les entreprises intègrent le changement climatique - dont les impacts financiers sont d’ores et déjà très lourds et tangibles - , dans leurs stratégies.
La qualité de l’information délivrée aux investisseurs est essentielle. Il est important d’établir un langage commun et des informations fiables, vérifiées et contrôlables : qu’est-ce qu’une activité durable, qu’est-ce qu’un investissement durable ? L’AMF lutte contre « l’éco-blanchiment » (greenwashing) et accompagne les acteurs financiers dans la mise en œuvre de la règlementation. Nos travaux montrent que les entreprises cotées intègrent désormais de plus en plus dans leur gouvernance et leur stratégie les objectifs du développement durable et de la transition.
Des textes ont été adoptés, principalement au niveau européen, introduisant notamment des exigences de transparence renforcées. Nous en sommes à présent à la phase de mise en œuvre, mais le contexte est compliqué : les divergences au niveau international s’élargissent. De plus, la méthode pose question : la complexité de ces obligations, leurs coûts élevés, et le calendrier de mise en œuvre, sans doute trop rapide, ont entraîné une forte demande de simplification, à laquelle la Commission européenne vient de répondre en proposant une réduction de 80% du nombre d'entreprises soumises à un reporting de durabilité, et un allègement drastique des exigences correspondantes.
5. Accompagner l’innovation
La France est un grand pays d’inventeurs et d’innovations. La régulation, si elle est claire et bien adaptée, est un puissant soutien à l’innovation. C’est le sens de la loi PACTE, adoptée dès 2019 en France, pour offrir un cadre adapté au monde des crypto-actifs. Repris aujourd’hui au niveau européen, sa mise en œuvre est l’un des plus grands enjeux de l’AMF pour 2025.
Il est donc tout naturellement dans l’ADN de l’AMF d’être favorable à l’innovation et nous l’avons réaffirmé avec force notre positionnement de régulateur ouvert à l’innovation dans notre plan stratégique. Nous rencontrons chaque année plusieurs centaines de porteurs de projets et plusieurs autres sujets nous occupent actuellement : l’ouverture de l’accès aux données financières, la finance décentralisée, mais aussi de manière croissante, l’intelligence artificielle.
6. Être une autorité performante et attractive pour ses collaborateurs, au service de l’intérêt général
L'importance pour l’AMF de disposer des moyens de répondre à ses objectifs avait été soulignée dès sa création, et reste encore un défi. Notre budget, entièrement financé par les contributions de la Place financière, fait l’objet d’un plafond voté en loi de finances. Nous nous devons, en tant qu’entité publique, d’être gérés de façon très rigoureuse. Nous devons aussi savoir rester attractifs pour nos collaborateurs, pour maintenir l’excellence de notre institution.
Nous avons donc mis en place un projet de transformation ambitieux, pour nos collaborateurs, comme pour la qualité du service public dont nous avons la charge.
Nous nous sommes fixé pour objectif d’être une autorité toujours plus efficace, plus transparente, et plus à l’écoute des attentes de l’ensemble des besoins de ceux qui s’adressent à elle, que ce soit les entités que nous supervisons, les entreprises qui viennent se coter en bourse, les innovateurs qui cherchent le bon cadre règlementaire pour développer leurs idées, ou les particuliers qui s’adressent à notre service Epargne info services.
Nous avons mis en place des indicateurs de performance que nous rendons publics, mais aussi une étude de perception annuelle : avec une note globale de plus de 4 sur 5, les résultats de la première étude, menée en 2024, montrent une amélioration très encourageante par rapport à la dernière étude de ce type menée en 2022. Ils nous sont surtout utiles pour continuer à progresser. Nous sommes en effet conscients que notre performance participe, comme notre compétence et notre capacité à bien encadrer les acteurs de marché, de l’écosystème qui a fait le succès de la Place de Paris, un atout essentiel pour notre économie.
Avec l'ensemble de ces orientations stratégiques, nous nous sommes fixé une ambition forte : être un régulateur à fort impact. C’est d’ailleurs le nom que nous avons donné à notre plan stratégique : « Impact 2027 ».
Conclusion
La régulation financière ne peut se comprendre sans tenir compte de son ancrage géographique, culturel et historique. La France porte dans ce domaine une voie singulière et forte, celle d’une régulation fondée sur une finance utile, ancrée dans l’économie réelle, et intègre. L’AMF, qui est aujourd’hui, comme l’avaient voulu ses pères fondateurs, un régulateur reconnu et respecté en France comme à l’international, porte cette vision d’une finance bien régulée qui a fait l’attractivité de la Place de Paris. Cette voie est une très grande réussite, une des plus importantes réussites économiques de notre pays. La France est un grand pays financier et la première place financière de l’Union européenne.
Quel meilleur moment pour évoquer cette vision de régulation financière, peu connue, et pourtant essentielle, que celui où les marchés financiers connaissent une nouvelle tempête ?
Celle-ci n’a pas atteint, du moins à ce stade, une dimension systémique, et peut-être ne sera-ce pas le cas. Peut-être aussi faudra-t-il de nouveau plonger dans la gestion de crise, et inventer des solutions, car le principal enseignement des crises est qu’il n’y a pas vraiment de mode d’emploi ; mais je ne le souhaite pas, car quelle que soit l’habileté des horlogers, les conséquences de ces crises dans la vie de nos concitoyens peuvent être dévastatrices.
Permettez-moi, même s’il est évidemment trop tôt pour le faire, d’en tirer un premier enseignement « à chaud » : on dit beaucoup que la finance serait déconnectée de l’« économie réelle ». Or, ce que nous voyons aujourd’hui, c’est au contraire une finance percutée par des décisions qui portent sur le commerce mondial, le commerce des biens plus précisément. Puisque vous avez décidé de consacrer vos travaux à la géographie, on remarquera donc que la « planète finance », comme on l’appelle parfois, appartient bien au système solaire de l’économie, et que toutes les planètes du système économique semblent bien soumises aux tempêtes solaires du politique.
Si je pousse un peu plus loin l’analyse, on notera aussi que ni les grandes promesses de dé-règlementation radicale de la finance, ni la mise sous tutelle des autorités de régulation vouées aux gémonies pour leur « interventionnisme », ni l’abandon de toute ambition en matière de finance durable, n’ont servi de rien face à des décisions qui affectent le commerce. Le monde financier s’affole, oubliant qu’il devrait se sentir soulagé.
Cela appelle à une forme de modestie : la règlementation et la régulation ne pèseraient finalement guère ? Je vais donc m’arrêter là, ayant en quelque sorte démontré le peu d’utilité de mon office ; mais comme je crois au contraire que la régulation joue un rôle fondamental, j’ai tenté de vous décrire les missions et les défis du régulateur des marchés français, l’Autorité des marchés financiers, que j’ai l’honneur de présider depuis octobre 2022.
Je vous remercie infiniment pour votre attention et me tiens à votre entière disposition pour échanger plus avant.
Sur le même thème



Responsable de la publication : Le Directeur de la Direction de la communication de l'AMF. Contact : Direction de la communication, Autorité des marchés financiers - 17, place de la Bourse - 75082 Paris Cedex 02