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Sénat : audition de Robert Ophèle, président de l'Autorité des marchés financiers par la Commission spéciale sur le projet de loi relatif au Brexit

Sénat : audition de Robert Ophèle, président de l'Autorité des marchés financiers par la Commission spéciale sur le projet de loi relatif au Brexit

Le 16 octobre dernier, Robert Ophèle, président de l'Autorité des marchés financiers, a été auditionné par la Commission spéciale du Sénat sur le projet de loi relatif au Brexit. Dans son intervention, il dresse un état des lieux des activités concernées par le changement opéré par le Royaume Uni qui va ainsi passer du statut de membre de l'Union européenne à celui de pays tiers.

Seul le prononcé fait foi

La plupart des activités financières sont des activités fortement réglementées ; passer du statut de membre de l'Union avec l'accès au marché unique qui lui est associé via le passeport (libre prestation de services et libre établissement) au statut de pays tiers constitue donc une rupture majeure susceptible d'affecter non seulement la possibilité aux acteurs du Royaume Uni de proposer dans l'Union européenne de nouveaux services financiers (et réciproquement) mais également le stock de contrat en cours entre les acteurs du Royaume Uni et de l'Union européenne. Compte tenu de l'importance de la Place de Londres et de la densité de ses relations avec l'Union à 27, la rupture est d'ordre systémique.

Robert OphèleLa diversité des services et des acteurs du domaine financier ainsi que le nombre élevé de réglementations tant européennes que nationales appellent une analyse détaillée et granulaire afin de mesurer les conséquences effectives du Brexit et de permettre ainsi aux autorités publiques de prendre les bonnes décisions pour en assumer ou en réduire la portée. En cas d'absence de période transitoire (" no deal Brexit ") ces décisions devront être prises avant mars 2019 et annoncées suffisamment tôt pour que les acteurs privés les prennent en compte. Cela vaut naturellement pour le niveau européen, le plus structurant dans le domaine financier, mais également pour le niveau national qui peut justifier des modifications législatives, des modifications réglementaires (décrets, arrêtés, règlement général de l'AMF…), des clarifications doctrinales (Bulletin officiel des finances publiques-Impôts – BOFIP –, positions AMF…) ou des accords de coopération avec les superviseurs du Royaume Uni (la Financial Conduct Authority (FCA) pour l'AMF).

Globalement, le fait que le Royaume Uni devienne un pays tiers a les conséquences suivantes (en l'absence de modification des textes européens de niveau 1) :

  • perte de tout passeport pour les établissements installés au RU (ni libre prestation de services ni liberté d'établissement) qui auront au mieux un accès aux 27 marchés nationaux en fonction des 27 réglementations nationales ;
  • la plupart des contrats en cours peuvent se poursuivre mais les nouveaux contrats sont prohibés en raison de la perte du passeport ;
  • possibilité, dans certains cas, de retrouver l'accès au marché unique dans le cadre d'une équivalence du régime du pays tiers reconnue par la Commission et d'un enregistrement des établissements ou plateformes auprès de l'Autorité européenne des marchés financiers (l'ESMA) ;
  • possibilité de garder une clientèle de l'Union européenne dans le cadre d'une sollicitation par cette dernière (reverse sollicitation) et dans les limites précisées par l'ESMA dans ses questions / réponses qui ne sont pas contraignantes.

Analyse plus granulaire

Gestion collective

Pour les organismes de placements collectifs en valeurs mobilières (OPCVM)

Il n' y aura plus d'OPCVM britannique car le régime OPCVM s'applique uniquement à des fonds enregistrés dans l'UE et gérés par des sociétés enregistrées dans l'UE. Si les firmes du Royaume Uni veulent continuer à proposer leurs OPCVM dans l'Union, elles doivent donc transférer leurs OPCVM dans un pays de l'Union européenne à 27 avant le Brexit et y installer une société de gestion quitte à déléguer la gestion des fonds à l'entité du Royaume Uni (ce qui pose la question de la substance minimale à donner à l'entité européenne). En ce cas, un accord de coopération doit être conclu entre l'autorité compétente de l'État membre de la société de gestion (AMF pour la France) et la Financial Conduct Authority. L'accord de coopération est également nécessaire pour que les sociétés de gestion de l'Union européenne qui ont de longue date délégué leur gestion à une entité du Royaume Uni puissent continuer à le faire ;

Pour les fonds d'investissement alternatifs (FIA) 

Tous les fonds actuels du Royaume Uni (OPCVM et FIA) deviennent des FIA de pays tiers et, s'ils ne migrent pas vers l'Union européenne à 27, ils ne peuvent y être commercialisés que :

  • Eventuellement via un régime national de placement privé (régime français relativement restrictif prévu à l'article 421-13-1 du règlement général de l'AMF) et avec un accord de coopération entre l'autorité nationale et la FCA.
  • Eventuellement via une reverse sollicitation
  • En obtenant le passeport FIA pour les pays tiers (prévu par les articles 37 et suivants de la directive AIFM sur les gestionnaires de fonds d'investissement) qui ouvre la commercialisation aux investisseurs professionnels. Il nécessite un agrément de la société de gestion du Royaume Uni par l'autorité compétente de l'État membre dit de référence (en principe l'État où l'essentiel de la commercialisation aura lieu) et entraine l'application intégrale de la directive AIFM (sauf en cas de conflit de loi) et sans qu'intervienne de décision formelle d'équivalence par la Commission. Une implication forte de l'ESMA (et des autres États membres concernés) est prévue en cas de désaccord sur le choix de l'État membre de référence et dans l'hypothèse d'un conflit de loi. La procédure est lourde, pas totalement documentée à ce jour (manque des textes réglementaires de niveaux 2 et 3) et n'a pas encore été mise en œuvre ; de ce fait aucune possibilité d'activation d'ici fin mars 2019.
Pour les fonds de l'Union européenne à 27

Selon les réglementations nationales des ajustements seront nécessaires car certaines règles limitent la capacité des fonds à détenir des actifs de pays tiers ou à contracter avec des contreparties de pays tiers ; pour les fonds français :

  • éligibilité limitée à l'actif des OPCVM des fonds du Royaume Uni et des titres cotés au Royaume Uni
  • pas de possibilité pour un OPCVM d'avoir des dépôts dans un établissement de crédit du Royaume Uni si la liste (nationale) des pays tiers acceptés n'est pas revue
  • pas de contrat de dérivés avec une entreprise d'investissement (investment firm) du Royaume Uni
  • pas de fonds nourricier d'un fonds maître au Royaume Uni
  • selon les FIA certains actifs deviennent inéligibles
  • éligibilité au PEA à revoir (les titres du Royaume Uni qui y entraient de plein droit deviennent des titres de pays tiers)

Services d'investissement (mandats de gestion, conseils financiers, etc.)

Pour la clientèle de détail (et clients professionnels sur option)

Pas de possibilité de passeport mais possibilité de proposer les services pays par pays selon la manière dont la directive MIF 2 a été transposée : en général (c'est le cas français) il y a une exigence que le service soit effectué via une succursale installée dans le pays, spécifiquement agréée comme succursale de pays tiers avec fonds propres et accord de coopération à conclure avec la Financial Conduct Authority ;

Pour la clientèle professionnelle par nature

En l'absence de décision d'équivalence, application du régime national :

  • pour la France, dans le projet de loi PACTE tel que voté par l'Assemblée nationale en première lecture, il y a nécessité d'établir une succursale agréée pour fournir des services en France (article 23 du projet modifiant l'article 532-48 du code monétaire et financier),
  • dans certains pays (par exemple, les Pays-Bas), agrément du prestataire même sans implantation nationale (overseas exemption tel qu'appliquée actuellement par le Royaume Uni) s'il a une licence dans certains pays avec lesquels un accord a été conclu,
  • possibilité de Reverse sollicitation ;

En cas de décision d'équivalence prise par la Commission et d'accord entre l'ESMA et la FCA, possibilité d'être inscrit sur un registre tenu par l'ESMA et de proposer ses services dans l'Union sans présence locale. Mais l'équivalence prévue par le règlement MIFIR est considérée comme trop favorable aux institutions qui en bénéficieraient. Elle est en cours de révision par les co-législateurs et n'a pas été mise en œuvre à ce stade avec des pays tiers et ne saurait être activée d'ici fin mars.

Le cas des infrastructures de marché

Plateformes de négociation

Les instruments faisant l'objet d'une trading obligation (actions et certains swaps de taux et CDS) ne peuvent plus être traités par les prestataires de services d'investissement de l'Union sur les plateformes ou chez les internalisateurs systématiques du Royaume Uni en l'absence d'une décision d'équivalence de la Commission qui peut être prise sur deux fondements :

  •  art 25(4) de la directive MIF 2 pour des marchés réglementés qui permettent une meilleure distribution de produits financiers dans l'Union (des décisions ont ainsi été prises pour les marchés de l'Australie, de Hong Kong, de Suisse et des États-Unis)
  •  articles 23 et 28(4) du règlement MIFIR pour le besoin explicite de l'obligation de négociation sur plateforme (décision prise uniquement pour des plateformes de dérivés supervisées par la Commodity Futures Trading Commission –CFTC)
Chambres de compensation en l'absence d'équivalence
  • les instruments faisant l'objet d'une obligation de compensation (clearing obligation) (swaps de taux et CDS) ne peuvent plus être traités par les opérateurs concernés (institutions financières et large corporates dits NFC+) sur les chambres de compensation du Royaume Uni ; mais le périmètre des instruments faisant l'objet de la clearing obligation peut être revu en conséquence,
  • le périmètre des institutions soumises à l'obligation de compensation centrale est revue à la hausse car des entreprises non financières peuvent devenir des NFC+ (les transactions négociées sur des plateformes du Royaume Uni deviennent des transactions OTC, les transactions intra-groupes avec le Royaume Uni ne sont plus exemptées de l'obligation de compensation centrale,
  • les chambres de compensation du Royaume Uni ne peuvent plus avoir de membres compensateurs de l'Union européenne à 27 ni être utilisées par des plateformes de négociation de l'Union (art 25 du règlement EMIR) :

          • risque pénal dans certains pays (Allemagne, Italie)
          • problématique de la gestion des défauts (directive finalité), partiellement traité dans le projet actuel de loi PACTE , 

  •  les positions sur les chambres de compensation du Royaume Uni ne bénéficieront plus de la pondération favorable des qualified CCP lorsque la pénalisation prévue par la Capital Requirements Regulation (règlement sur les exigences prudentielles) sera activée.

La continuité des contrats en cours

A priori, il n'y a pas de problème pour les contrats à exécution instantanée (type crédits ou dérivés) mais les difficultés surgissent dès qu'il y a une modification au contrat qui s'analyse comme un nouveau contrat (restructuration du crédit ou renouvellement à l'identique – roll over – du dérivé). Il parait donc souhaitable de transférer le contrat, ce qui suscite un certain nombre de difficultés (nécessité de l'accord de la contrepartie, modification du traitement réglementaire avec perte de la clause de grand-père pour les dérivés – obligation de compensation centrale, marges initiales –, évolution dans l'équilibre du contrat). Les autorités publiques pourraient utilement prendre des mesures pour faciliter ces transferts même si la situation est relativement favorable pour la plupart des contrats des banques françaises qui sont " multi-branches " dans le cadre de contrats cadres.

Les contrats à exécution successive (type mandat de gestion) ne pourront être poursuivis et devront soit s'interrompre soit être transférés (la plupart du temps pas de difficulté).

On le voit, si l'essentiel des mesures à prendre pour assurer la continuité des services rendus aux clients relèvent des acteurs eux-mêmes, dans certains cas les pouvoirs publics peuvent, soit au niveau de l'Union soit au niveau national, jouer un rôle décisif pour faciliter la transition.