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Rapport annuel de l'AMF 2024 - Lettre au président de la République

Monsieur le Président de la République,

À l’heure où les marchés financiers viennent de connaître une nouvelle tempête, le rôle de l’Autorité des marchés financiers (AMF) est plus important que jamais. Les régulateurs de marché jouent un rôle central dans un monde financier où la finance non bancaire représente aujourd’hui la moitié de la finance mondiale.

L’AMF, qui co-préside le groupe en charge de la stabilité financière de l’organisation internationale des régulateurs de marché, porte la voix de la France dans ces travaux et débats. Nous y portons la vision singulière française d’une finance intègre, bien régulée et utile à l’économie, dont la virtuosité technique n’a jamais distendu le lien de proximité avec l’investisseur. La France est un grand pays financier, l’un des plus importants et des plus respectés sur ces sujets si essentiels pour la vie de nos concitoyens.

Les marchés ont bien absorbé l’impact de décisions portant sur les tarifs douaniers, montrant une nouvelle fois que la déconnexion supposée entre économie financière et économie réelle mérite quelques nuances. Malgré des pics de volatilité sans précédent, ils ont montré une grande résilience, y compris technique.

Pour autant, la vigilance reste de mise. Si le choc a été de courte durée, il ne retire rien de l’importance des vulnérabilités structurelles liées aux évolutions rapides de la finance, qu’il nous faut continuer à mieux comprendre, et si nécessaire, à mieux réguler.

L’effet de levier s’est beaucoup développé, créant des zones de sensibilité aux évolutions des taux d’intérêt comme l’a montré la période récente d’augmentation rapide des taux. La finance privée se développe rapidement, questionnant potentiellement jusqu’au rôle traditionnel de révélation des prix des bourses de valeurs, qui sont partout en attrition, et redistribuant les risques. Le paysage de l’épargne est en pleine révolution, marqué par le succès des produits structurés, des fonds indiciels, des actions fractionnées, et des cryptoactifs, et, peut-être bientôt, des actifs tokenisés. L’intelligence artificielle bouleverse déjà les pratiques, amenant comme toute innovation son lot d’opportunités remarquables, mais aussi des risques nouveaux. Les interconnexions entre les différentes composantes du monde financier, pour certaines non régulées, et l’interaction entre les différents acteurs, particulièrement en cas de tensions, peuvent s’avérer complexes.

Nous devons comprendre ces évolutions multiformes et rapides, et adapter notre action pour que la dynamique des financements qu’elles apportent reste ordonnée et résiliente. Pour cela, le dialogue et le travail entre régulateurs internationaux est fondamental. L’action internationale de l’AMF – régulateur reconnu - dont les équipes sont très impliquées dans les travaux des instances internationales, revêt donc chaque jour plus d’importance, et vous pouvez compter sur notre pleine mobilisation et notre persévérance pour que la voix de la France soit forte.

Au niveau européen, nous contribuons aux travaux de l’Union de l’épargne et de l’investissement. C’est le projet le plus important de notre génération en matière financière. Nous devons le réussir et vous en assurez, Monsieur le Président de la République, l’indispensable portage politique. Après le passage à l’euro, un succès désormais acquis, ce projet fondamental doit permettre de mobiliser les financements de marché pour donner à l’Europe les moyens nécessaires à ses objectifs politiques comme à la transition énergétique et digitale de son économie, et, désormais au financement de sa défense. Il en va de son autonomie stratégique. Les besoins sont ici considérables, environ 1 000 milliards d’euros supplémentaires par an ; ils ne sont pourtant pas hors de portée, si l’abondante épargne européenne trouve dans des marchés européens plus puissants les opportunités de venir mieux financer nos économies. L’Europe dispose de circuits et d’acteurs financiers puissants et d’une attractivité pour les investisseurs internationaux qui peuvent lui permettre de réussir cette transformation.

Trois grandes priorités me semblent devoir être poursuivies pour faire aboutir ce projet : la mobilisation de l’épargne européenne, la mise en place d’une véritable supervision européenne des marchés de capitaux - gage d’une réelle simplification -, et la relance de la titrisation.

" Le projet européen d’Union de l’épargne et de l’investissement est le projet le plus important de notre génération en matière financière. "

Mais c’est l’investisseur européen qui sera, aux côtés des grands investisseurs institutionnels, la clef de la réussite de l’Union de l’épargne et de l’investissement. Son intérêt est a priori convergent avec celui de l’économie, puisqu’il doit aujourd’hui mieux investir pour mieux préparer les grandes étapes de sa vie, notamment la retraite, ce qui implique des investissements plus longs, et l’accès raisonné aux rendements intéressants sur le long terme fournis par les marchés de capitaux. Cela est particulièrement le cas pour les femmes, qui épargnent beaucoup mais investissent moins : il est temps de se pencher de plus près sur ce déficit d’investissement qui leur nuit et nuit à l’économie. L’AMF, qui vient de se voir confier la mise en œuvre de la directive européenne Women on Board, sera aux avant-postes de ce chantier également.

" L’investisseur européen sera la clef de la réussite de l’Union de l’épargne et de l’investissement. "

La mobilisation de l’épargne européenne pourra notamment passer par la mise en place de labels désignant les produits financiers les mieux adaptés au bon financement de l’économie européenne, accompagnés d’un traitement fiscal avantageux. Le rôle des régulateurs de marché sera déterminant pour garantir un niveau élevé de protection des investisseurs, conformément au premier de leurs mandats, et assurer ainsi la confiance qui est la base de tout investissement.

Les régulateurs de marché doivent aussi mieux intégrer les objectifs de croissance et de compétitivité dans leur action : l’AMF en a fait l’une des grandes orientations de son plan stratégique 2023-2027. L’heure de la simplification est venue. Elle ne sera pas simple, car il faut tout à la fois mieux réguler et mieux assurer la préservation des objectifs essentiels : protection des épargnants, stabilité financière, finance durable, encouragement de l’innovation, qui a besoin de règles claires pour se développer.

Elle doit évidemment concerner les entreprises, c’est notamment l’enjeu de la revue de la directive CSRD, mais aussi le parcours des investisseurs. Celui-ci est aujourd’hui complexifié par une accumulation de règles qui répondent toutes à des objectifs pertinents, mais sont sans doute devenues contreproductives.

La libération de l’investissement en Europe passe donc aussi par une simplification du parcours d’investissement. Le comité chargé de la protection des investisseurs de l’Autorité européenne des marchés financiers (ESMA), que je préside, vient de lancer un appel aux parties prenantes pour contribuer à ce chantier fondamental.

Une meilleure régulation passe aussi par un changement de l’architecture européenne de la supervision des marchés de capitaux. Contrairement au secteur bancaire, qui a vu la mise en place d’une supervision unique avec l’Union bancaire, le domaine des marchés de capitaux reste encore très largement national en matière de supervision. Cela freine la constitution d’un véritable marché unique des capitaux, et cela pénalise les grands acteurs financiers paneuropéens.

C’est aussi une cause majeure de la complexité de la réglementation. En effet, en l’absence de rôle central pour l’ESMA, la convergence des pratiques de régulation reste faible, freinée par une concurrence dommageable entre superviseurs, ce qui crée de réelles difficultés sur le terrain via l’usage du passeport européen. La seule protection contre ces dysfonctionnements a donc été, jusqu’à présent, la mise en place de règles extrêmement précises et prescriptives, pour limiter les risques liés à la course au moins-disant réglementaire. Donner le pouvoir à un régulateur européen, c’est au fond la seule manière de mettre fin à cette situation, et donc de rendre possible une réelle simplification des règles sans risquer de pénaliser les investisseurs. Il est donc temps de franchir une étape décisive dans ce domaine.

Les régulateurs de marché européens se sont d’ailleurs eux-mêmes prononcés au printemps dernier en faveur d’une telle évolution. Mais les obstacles politiques ne manqueront pas de se dresser face à ce projet, car il faudra que chaque pays accepte de transférer une partie de sa souveraineté en matière de régulation à l’échelon européen. L’AMF, qui connaît intimement l’univers de la régulation des marchés de capitaux en Europe, sera force de propositions pour contribuer à surmonter ces blocages.

Elle sera également très engagée pour favoriser la nécessaire relance de la titrisation en Europe, qui est une attente forte, exprimée à la fois par les régulateurs de marché, les acteurs financiers européens, mais aussi par les grands acteurs financiers internationaux qui verront dans notre capacité à franchir des étapes concrètes dans ce domaine, le gage de la volonté de l’Europe de développer réellement ses marchés de capitaux. Cela passe là aussi par un véritable effort de simplification, pour revenir aux objectifs essentiels de la réglementation.

Au sein de cette nouvelle Europe financière, la Place de Paris a tous les atouts pour jouer un rôle de premier plan. Son effet d’entraînement sur la finance européenne doit continuer à se développer. C’est la raison pour laquelle l’AMF a fait de l’attractivité de la place financière l’un de ses objectifs stratégiques. Il ne s’agit pas de s’engager dans une course délétère au moins disant-réglementaire, qui n’est d’ailleurs ni la demande des acteurs français, qui connaissent l’importance d’une bonne régulation pour leur développement, ni celle des acteurs financiers internationaux qui ont choisi la Place de Paris. Ils font au contraire le pari, gagnant, d’une régulation exigeante et compétente, qui est un des atouts majeurs de notre place financière.

Son intégrité est un bien précieux. Pour mieux la défendre, face notamment au développement des réseaux internationaux qui utilisent les délits d’initié pour blanchir des capitaux sans doute issus de la criminalité organisée, l’AMF coopère aujourd’hui plus étroitement que jamais avec l’ensemble des acteurs concernés, et utilise à plein les mécanismes de coopération internationale, indispensables pour lutter contre ces criminels particulièrement mobiles. Mais elle a également besoin d’outils juridiques renouvelés, et nous avons préparé à cet effet plusieurs articles de loi qui doivent renforcer notre main face à ces menaces, avérées et redoutables, contre l’intégrité de notre place financière, pour lesquels nous aurons besoin du plein soutien du gouvernement.

Ces outils sont également nécessaires pour renforcer notre action dans la lutte contre les arnaques financières. 15 % des Français estiment aujourd’hui avoir été victimes d’une escroquerie financière. Ce chiffre atteint 35 % chez les moins de 35 ans. Il s’agit donc d’un véritable phénomène de société, qui contribue à dégrader la confiance de nos concitoyens, et aux conséquences parfois tragiques : le montant moyen des pertes atteint 29 500 €. Nous ne pouvons pas admettre une telle situation. C’est pourquoi, là aussi, nous nous mobilisons aux côtés de l’ensemble des autorités compétentes, et nous fixons pour objectif de rendre notre action plus rapide et plus efficace en matière d’éducation financière, de prévention et de répression.

Pour accomplir l’ensemble de ses missions, il est nécessaire que l’AMF dispose des moyens nécessaires. Votre engagement à accompagner le développement de l’AMF a permis d’entamer un travail de remise à niveau de ses moyens, pour tenir son rang au niveau international et européen, mieux protéger les investisseurs, continuer à jouer ce rôle central au service du bon fonctionnement de notre place financière, et prendre en charge les nouvelles missions que lui confie régulièrement le droit européen. L’AMF est pleinement consciente de l’importance des efforts qu’elle doit elle-même accomplir. Elle poursuit donc des mesures de réorganisation, de meilleure gestion, et de transformation indispensables pour justifier la confiance qui lui est faite, sur la base du rapport de la Cour des comptes de 2024. Elle poursuit également sa modernisation, en définissant notamment, en 2025, sa feuille de route sur l’intelligence artificielle.

Monsieur le Président de la République, vous pouvez compter sur notre plein engagement pour contribuer aux chantiers financiers fondamentaux qui nous mobilisent, et dans lesquels la voix de la France mérite d’être portée, haut et fort.

Je vous prie de croire, Monsieur le Président de la République, à l’expression de ma très haute considération.

Marie-Anne Barbat-Layani