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Mini-offres publiques sur actions américaines : attention aux pièges !
Certaines opérations sur titres relatives à des sociétés cotées aux Etats-Unis, appelées « mini-tender offers » et non régulées, ont pu être relayées par des teneurs de comptes français auprès d’actionnaires français qui détenaient de tels titres américains. Or, à l’occasion de l’instruction du dossier que je vous présente ce mois-ci, j’ai pu observer que l’une d’entre elles recélait un caractère nécessairement défavorable aux vendeurs potentiels.
La médiation a permis à l’actionnaire français de sortir du piège et de faire évoluer la pratique de ce teneur de compte vis-à-vis de ces mini-tenders.
Les faits
M. T indiquait avoir reçu, le 3 septembre 2020, un courrier de la part de son teneur de compte, l’informant d’une proposition d'achat de la totalité ou d'une partie de ses actions X, émises par une société américaine cotée au NASDAQ, au prix de 48 dollars par action faite par la société P. alors que le cours du moment était de 35 dollars.
Il précisait que ce courrier mentionnait le 23 novembre 2020 comme étant la date limite de réception du talon réponse et indiquait également la possibilité de révoquer son souhait de participer à cette offre d'achat, "à tout moment, jusqu'à la clôture de l'offre".
Le 25 septembre, soit deux mois avant la date limite, M. T a alors confirmé son souhait de participer à cette opération d'achat. Toutefois, passé le 23 novembre 2020, ses actions figurant toujours sur son compte, M. T a légitimement pensé que son instruction n'avait pas été prise en compte dans la mesure où l’initiateur n’envisageait d’acquérir qu’un nombre limité de titres.
Cependant, le 16 mars 2021, M. T a été informé que la totalité de ses actions avait finalement été cédée dans le cadre de l’offre.
M. T s’est rapproché de son teneur de compte et a fait valoir qu’il n'était aucunement mentionné que son accord pour participer à cette offre d'achat s'étendrait sur plusieurs mois, bien au-delà de la date du 23 novembre 2020.
Estimant avoir été induit en erreur, M. T considérait que cette situation lui avait causé un préjudice qui s’élevait à 2 750 dollars, soit la différence entre le cours de ses actions au 16 mars 2021 (60 dollars) auquel il aurait pu vendre ses actions sur le NASDAQ et le montant reçu dans le cadre de l’offre au prix de 48 dollars par action.
C’est dans ces conditions que M. T a sollicité mon intervention.
L’instruction
J’ai pris l’attache du teneur de compte de M. T qui m’a tout d’abord confirmé que ce dernier avait bien participé à l’offre d’achat de septembre 2020 et m’a transmis copie du talon-réponse qu’il avait complété.
Le teneur de compte ajoutait que même si la vente des titres n’avait pas eu lieu en novembre, cette offre n’était pas révocable et que les clients ayant participé à l’offre avaient reçu une information début mars pour les prévenir de la prorogation jusqu’au 10 mars 2021.
Enfin, le teneur de compte soulignait qu’il s’agissait d’un type d’offre appelé « mini tender » pour lequel l’avertissement suivant apparaissait toujours dans ses avis d’opération sur titres :
ATTENTION : cette offre 'mini tender' n'est pas soumise à enregistrement auprès de l'autorité de marché US (SEC) et n'offre pas le même niveau de protection que les offres publiques classiques. Le prix d'achat proposé par l'initiateur peut être inférieur à celui du marché et ne tient pas compte des frais éventuels. Il est vivement recommandé de se référer et d'être attentif aux termes et conditions de l'offre.
Ainsi, le teneur de compte estimait que M. T avait été informé que le prix de rachat pouvait être inférieur et ne souhaitait donc pas donner suite sa demande.
A réception de cette réponse, j’ai procédé à une analyse approfondie de l’offre de rachat proposée en l’espèce, et plus particulièrement du mécanisme des mini tender offers.
J’ai ainsi pu observer que l’homologue américain de l’AMF, la Securities and Exchange Commission (SEC), avait émis des réserves et diffusé des alertes à ce sujet[1].
La SEC rappelle ainsi que les mini-tender offers, visant à acquérir moins de 5% des actions en circulation d'une société, évitent ainsi de nombreuses exigences de divulgation et de procédure auprès de ses services, lesquelles s'appliquent aux offres portant sur plus de 5% des actions en circulation d'un société. Par conséquence, les mini-tender offers n'offrent pas le même niveau de protection que celui fourni par des offres d'achat plus importantes en vertu des lois américaines sur les valeurs mobilières.
En outre, la SEC avertit les investisseurs que certains initiateurs faisant des mini-tenders à des prix inférieurs au marché espèrent prendre au dépourvu les investisseurs si ces derniers ne comparent pas le prix de l'offre au prix actuel du marché et que d'autres initient des mini-tenders avec une prime en pariant que le prix de marché augmentera avant la clôture de l'offre, puis en la prolongeant jusqu'à ce soit le cas.
Par ailleurs, au cas d’espèce, j’ai également relevé que l’émetteur X, la société cotée visée par cette « mini-offre » non sollicitée, avait publié le 28 juillet 2020 un communiqué recommandant à ses actionnaires de ne pas donner suite à cette offre dans la mesure où celle-ci était conditionnée au fait que le cours, à la clôture de l’offre, soit supérieur à 48 dollars.
Enfin, j’ai également pu trouver en ligne la documentation et les termes de l’offre qui confirment que cette dernière était subordonnée au fait que le cours de clôture soit supérieur au prix de l’offre.
La recommandation
Forte de ces éléments, je suis revenue vers le teneur de compte. Je lui ai indiqué que je m’interrogeais sur le fait qu’il ait relayé auprès de ses clients une telle offre, qui avait tout l’air d’un piège.
J’estime, pour ma part, que ce type d’offre s’apparente à une sorte d’option gratuite pour l’initiateur dans la mesure où l’offre ne se déclenche QUE si le cours de bourse de l’action est supérieur au prix de l’offre, après sa prolongation tacite et discrétionnaire sans que les investisseurs ayant rempli leur bordereau de souscription ne puissent revenir sur leur décision, contrairement à ce qui était indiqué initialement.
J’ai également fait valoir que l’alerte figurant sur l’avis d’opération sur titre (OST) adressé à ses clients m’apparaissait insuffisante car trop générale puisque, dans ce cas précis, la vente au-dessous du cours de bourse ne constitue plus une hypothèse mais une certitude, la prorogation discrétionnaire étant omise et la possibilité pour l’actionnaire de revenir sur sa décision, trompeuse.
Ainsi, au regard des circonstances tout à fait particulières de ce dossier, j’ai indiqué au teneur de compte que je considérais qu’un geste commercial devrait être proposé à M. T sur la base du différentiel entre le prix auquel ont été rachetées ses actions le 16 mars 2021 et le cours de l’action à cette date, soit un montant total de 2 750 dollars.
En réponse, le teneur de compte m’a indiqué qu’il acceptait de suivre ma recommandation, ce dont j’ai informé M. T.
En outre, au-delà de ce dossier, j’avais indiqué au teneur de compte que, en raison des particularités des « mini-tender offers » et de leur caractère très défavorable aux vendeurs de titres, il serait pertinent pour cet établissement de réfléchir, à l’avenir, à la réelle opportunité de les relayer auprès de sa clientèle, ou, à tout le moins, de renforcer de façon beaucoup plus nette le message d’alerte. Sur ce point, et je m’en réjouis, le teneur de compte m’a informée qu’il avait décidé de ne plus communiquer auprès des clients dans le cadre d’offres dites « mini tenders », notamment en raison de la complexité de compréhension de ces opérations et des multiples conditions, généralement en défaveur du client.
La leçon à tirer
Caractère irrévocable de l’offre et prorogation discrétionnaire sont les deux caractéristiques principales qui permettent au piège des « mini tenders » de se refermer sur les actionnaires ayant apporté leurs titres. Les « mini tenders », relayées par les teneurs de comptes comme des opérations sur titres, ne doivent pas être confondues avec des offres publiques, soumises à des régulateurs européens, dont les prix offrent généralement une prime sur le cours de bourse et qui sont révocables jusqu’à la date limite.
En effet, si au moment de l’offre, celle-ci peut sembler attractive car supérieure au cours de l’action, il est classique que l’initiateur prolonge tacitement et discrétionnairement la durée de l’offre jusqu’à ce que le cours de l’action soit supérieur au prix de rachat initialement proposé et ce, alors que les actionnaires ne peuvent pas se rétracter. L’initiateur acquiert ainsi des actions à un prix bien inférieur à leur cours de bourse et peut encaisser la différence au détriment de l’actionnaire.
Les actionnaires doivent donc se montrer particulièrement vigilants s’ils ont connaissance d’une telle offre visant des titres américains qu’ils détiennent. En tout état de cause, comme je l’ai fait valoir dans ce dossier, je considère que les teneurs de compte ne devraient pas relayer ce type d’offres dès lors qu’elles s’avèrent nécessairement défavorables au client puisque conditionnées à un prix de rachat inférieur au cours de bourse. A tout le moins, l’avertissement figurant sur l’avis d’OST adressé aux clients doit, selon moi, comporter une information claire et complète sur l’ensemble des risques inhérents aux « mini tenders » de sorte que l’actionnaire en soit parfaitement averti et en mesure de prendre une décision éclairée.
[ 1 ] https://www.sec.gov/reportspubs/investor-publications/investorpubsminitendhtm.html |
https://www.investor.gov/introduction-investing/investing-basics/glossary/mini-tender-offers
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Responsable de la publication : Le Directeur de la Direction de la communication de l'AMF. Contact : Direction de la communication, Autorité des marchés financiers - 17, place de la Bourse - 75082 Paris Cedex 02