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Ordre de bourse : le cours retenu pour le contrôle de provision ne doit pas être obsolète
Lors de la transmission d’un ordre de bourse, un contrôle de provision est systématiquement effectué par le teneur de compte afin de s’assurer que le client dispose des fonds suffisants pour honorer la transaction. Ce contrôle s’effectue au moment où l’ordre est donné, sur la base du dernier cours connu, en fonction de la quantité demandée ou du montant indiqué, dans la limite des liquidités disponibles sur le solde espèces du client.
Toutefois, dans le dossier que je vous présente ce mois-ci, le cours retenu par le professionnel, qui servait également à convertir les montants engagés en nombre de titres, s’est révélé obsolète et lourd de conséquences pour les clients d’autant plus que ces derniers avaient transmis des ordres sans limite de prix et dans un contexte de réservation de la valeur…
Les faits
M. A indiquait que, le 9 avril 2020, vers 10h30, lui et son épouse avaient transmis des ordres d’achat « au marché » sur le titre X, valeur biotechnologique, en précisant à son teneur de compte le montant du solde espèces de chacun des PEA, soit 27 915,61 euros pour le sien et 17 344,08 euros pour le PEA de son épouse.
Toutefois, à la fin de la journée, M. A a constaté que :
- sur son PEA : 212 261 titres avaient été acquis pour un montant total de 160 012,94€
- sur le PEA de son épouse : 121 225 titres avaient été acquis pour un montant total de 91 401,88€.
Eu égard à la gravité de la situation, M. A a alors contacté son teneur de compte. En réponse, ce dernier lui a indiqué ne pas avoir relevé d’anomalie d’exécution: transmis dans un contexte de réservation[1] de la valeur X (réservation entre 9h46 et 13h53) et selon la modalité « au marché », les ordres avaient été exécutés sur la base du premier cours coté à la reprise de cotation (0,75 €).
Or, M. A faisait valoir qu’il pensait légitimement que les transactions ayant été effectuées dans des comptes PEA et précédées d'une alimentation des comptes espèces correspondants (comme exigé lors de la saisie), l’exécution ne pouvait excéder les montants enregistrés et aller au-delà du solde disponible.
S’estimant victime d’un dysfonctionnement de la part de son teneur de compte, M. A m’a alors saisie afin d’obtenir la régularisation de la situation, en particulier des soldes débiteurs exorbitants constatés sur les deux PEA.
L’instruction
J’ai pris l’attache, à plusieurs reprises, du teneur de compte de M. et Mme A et lui ai demandé de me faire part de ses observations, en particulier sur les points suivants :
- le profil investisseur des clients et leur expérience, en particulier sur l’utilisation des ordres sans limite de prix ainsi que la délivrance, le cas échéant, d’une alerte relative aux ordres inhabituels ;
- les informations dont M. et Mme A disposaient quant à la réservation de la valeur X au moment du passage de leurs ordres ;
- les vérifications faites à réception des ordres, en me précisant le cours retenu pour le contrôle de provision.
Le teneur de compte m’a tout d’abord indiqué que les clients avaient transmis par internet, sur les cinq dernières années, de très nombreux ordres de vente et d'achat en bourse, très souvent orientées sur des titres risqués liés au secteur de la biotechnologie. Ainsi, au-delà de la connaissance des marchés, ils en avaient aussi l'expérience. D’après l’établissement financier, M. et Mme A connaissaient bien le titre X dès lors qu’ils en avaient acheté et vendu à plusieurs reprises par le passé et en avaient fait la constituante principale de leur portefeuille à certains moments.
La banque m’a précisé que M. et Mme A n’avaient pas été alertés du caractère inhabituel de leurs ordres du fait qu'ils étaient libellés avec la modalité "au marché". En effet, un message d'alerte en ce sens est systématiquement présenté aux clients n'ayant pas passé d'ordre "au marché" sur les douze derniers mois. Or, tel n’était pas le cas en l’espèce comme en attestait l’historique des transactions des clients.
S’agissant d'une information particulière figurant sur la fiche valeur quant à la réservation en cours, le teneur de compte m’a indiqué que M. et Mme A disposaient du carnet d'ordres, de la synthèse intraday permettant de constater l'absence de cours d'ouverture, de transactions et de volume, et de l'évolution du cours sur la journée ressortant sans aucune indication au moment du passage de leurs ordres, la cotation des titres ayant repris en début d'après-midi. La banque estimait que tous ces indicateurs ne pouvaient qu'attirer l’attention des clients.
En outre, l’établissement précisait qu’il avait régulièrement été demandé à M. A et son épouse une mise à jour de leurs profils clients et financiers, qu’ils n’avaient jamais souhaité faire, y compris lors de la transmission des ordres d'achat des actions X, le 9 avril 2020, par l’affichage d’un message de mise en garde.
Par ailleurs, le teneur de compte m’a confirmé que 4 ordres d’achat avaient été saisis sur le PEA de M. A et 2 sur le PEA de son épouse. Il m’a précisé que son interface permet la saisie d'un ordre en montant mais que celui-ci est automatiquement converti en nombre de titres. En l’espèce, les ordres des époux A ont effectivement été saisis pour des montants cumulés n'excédant pas les disponibilités des comptes espèces des PEA.
Cet établissement a ajouté que les montants estimés et la conversion en nombre de titres avaient été communiqués aux clients et que les contrôles de provision avaient donc été effectués sur la base des dernières informations dont la banque disposait, notamment, avec le carnet d'ordres.
Le teneur de compte soulignait qu’en passant des ordres "au marché", les clients avaient pris et accepté le risque d'exécution sans limite de prix. Ainsi, lors de la réouverture de la cotation en début d'après-midi du 9 avril 2020, les échanges sur le titre X ont été réalisés à un cours de 0,75 euro et les ordres des clients exécutés à ce cours.
Il m’a confirmé que les exécutions avaient engendré un solde débiteur très important sur chacun des PEA, en infraction avec la réglementation applicable aux plans. Toutefois, en l'absence de dysfonctionnement, ce dernier m’a indiqué qu’il maintenait sa position estimant que la régularisation d'une quelconque erreur de la banque, non démontrée, n’était pas justifiée.
Après ces nombreux échanges, j’ai procédé à un examen attentif de l’ensemble des éléments de ce dossier, en particulier des habitudes d’investissement et du profil investisseur des clients qui avaient notamment refusé de compléter leur questionnaire client (les conséquences d’un tel refus ont été exposées dans un précédent dossier du mois[2]), ou encore de l’information dont M. et Mme A disposaient sur la réservation en cours au moment où ils ont transmis leurs ordres. Même s’il eut été préférable, selon moi, qu’une mention précisant le statut « réservé (à la hausse ou à la baisse) » de la valeur X soit visible lors du passage d’ordre, il m’est apparu que les informations disponibles pouvaient permettre à M. et Mme A de comprendre que les conditions de marché étaient particulières au moment de la transmission de leurs ordres.
En outre, ce type de dossier me conduit systématiquement à analyser précisément les conditions dans les lesquelles le contrôle de provision s’effectue. Or, pour la première fois, j’ai observé que ce contrôle avait été réalisé sur la base d’un cours obsolète.
Plus précisément, j’ai relevé que de manière classique, les ordres au comptant de M. et Mme A avaient été reçus par la banque assurant une fonction de réception-transmission d’ordres, qui a alors procédé au contrôle systématique de la provision, lequel se fait sur la base du dernier cours connu. C’est donc au stade où l’ordre est donné et non à celui où il est exécuté que la provision est vérifiée en fonction du dernier cours connu[3]. De même, les ordres saisis en montant ont été convertis en nombre de titres sur cette même base du dernier cours connu.
Une fois le contrôle de provision effectué, les ordres d’achat ont pu être transmis au marché pour exécution, sortant par là même du périmètre du teneur de compte.
Or, faute d’avoir fixé une limite de prix, les ordres de M. et Mme A ont été exécutés à la réouverture à 13h53 au cours de 0,75€, entrainant les soldes débiteurs contestés. Or, l’article L. 211-17-1 du code monétaire et financier dispose que : « L'acheteur et le vendeur d'instruments financiers mentionnés (…) sont, dès l'exécution de l'ordre, définitivement engagés, le premier à payer, le second à livrer, à la date mentionnée au III de l'article L. 211-17 ».
Dès lors qu’un ordre est exécuté, il appartient à chaque contrepartie de remplir ses obligations et M. et Mme A ne pouvaient donc, en aucun cas, se soustraire au paiement des titres achetés et ce, malgré le solde débiteur généré par cette opération sur les deux PEA.
La recommandation
Si l’exécution des ordres m’est apparu justifiée dans son principe, au regard de l’ensemble des éléments recueillis, tel n’était pas le cas du contrôle opéré au moment de leur transmission. Le cours retenu par l’établissement mis en cause pour effectuer le contrôle de provision et la conversion en nombre de titres des montants engagés s’est révélé, après une analyse approfondie, obsolète. J’ai, en effet, relevé les éléments suivants:
Concernant le PEA de M. A, j’ai observé que sur les 4 ordres transmis, les 3 premiers (saisis à 10h25 et 10h28 et 10h49 alors que la réservation était en cours) pour un montant total arrondi de 17 500 euros ont été estimés sur la base du cours de clôture de la veille (0,106 euro). Sur cette base, le montant total de 17 500 euros a été converti en 165 092 titres.
Or, à 10h25 (horaire du premier ordre), le dernier cours avant réservation était d’ores et déjà connu (réservation à 9h46) et était à 0,212€, base retenue pour la transmission du dernier ordre.
Si la conversion avait été effectuée sur cette base pour les 3 premiers ordres, le montant engagé aurait été converti en moitié moins de titres (17 500 / 0,212), soit 82 546 titres.
Ainsi, il m’est apparu que la conversion effectuée sur la base d’un cours obsolète avait conduit à la transmission d’ordres d’achat pour une quantité de 82 546 titres supplémentaires, exécutés à 0,75 euro, soit un montant total de plus de 60 000 euros en sus dont M. A était redevable.
De même, concernant le PEA de Mme A, sur les 2 ordres transmis, le premier ordre de 10h40 a été estimé et converti sur la base du cours de clôture de la veille : 8546,67 euros / 0,106 = 80 188 titres.
Sur la base d’un cours actualisé, soit 0,212€, ce montant aurait été converti en 40 094 titres.
Là encore, j’ai constaté que plus de 40 000 titres avaient été acquis en « trop » du fait d’un cours obsolète, soit un montant supplémentaire de près de 30 000 euros dont Mme A était redevable.
Je suis donc revenue vers le teneur de compte auquel j’ai fait part de cette analyse. Si la provision était effectivement constituée, il m’apparaissait que le cours obsolète retenu pour convertir les montants engagés en nombre de titres, alors que le dernier cours avant réservation était déjà connu aux horaires des ordres litigieux, avait concouru directement à la présente situation litigieuse.
J’ai donc fait valoir que sur le montant total dont étaient redevables M. et Mme A, la somme globale de 92 000 euros (122 640 titres x 0,75 €) ne me paraissait pas devoir être supportée par les clients.
En réponse, le teneur de compte m’a précisé que M. et Mme A détenaient toujours les titres litigieux en portefeuille et qu’au regard du cours de l’action X (0,14 €), ces 122 640 actions « supplémentaires » représentaient plus de 17 000 euros.
Au vu de cet élément, le teneur de compte m’a indiqué qu’il acceptait de suivre ma proposition, sous réserve de la signature d’un protocole transactionnel et déduction faite de la valeur des actions détenues en portefeuille, soit un montant de 75 000 euros (92 000 – 17 000).
Cet élément particulier m’est apparu complètement recevable et j’ai donc recommandé un dédommagement à hauteur de 75 000 euros que M. et Mme A ont accepté.
La leçon à tirer
Ainsi que j’ai déjà eu l’occasion de le souligner, c’est bien au moment où l’ordre est donné et non lorsqu’il est exécuté que le contrôle de provision intervient sur la base du dernier cours connu. Ce système automatisé de vérification du compte doit assurer le blocage de l’ordre en cas d’insuffisance de provision et ce, dans l’intérêt du donneur d’ordre. Pour que ce mécanisme soit efficient, encore faut-il que ce contrôle ne soit pas effectué sur la base d’un cours obsolète sous peine de conséquences qui peuvent se révéler extrêmement préjudiciables pour le client, a fortiori lorsque ce cours sert également à la conversion en nombre de titres du montant engagé.
Par ailleurs, je rappelle une nouvelle fois que le statut « réservé » d’une valeur au moment du passage d’un ordre de bourse doit appeler à une plus grande vigilance des épargnants dans le type d’ordre choisi. En effet, il n’est pas rare qu’à la reprise de la cotation, le cours de réouverture soit, selon le cas, beaucoup plus haut ou bien plus bas que le dernier cours connu avant la réservation. Ainsi, lorsque l’investisseur transmet un ordre sans limite de prix, il court le risque de voir son ordre exécuté à un cours très éloigné de celui observé préalablement à la réservation. Je me réjouis que, suite à ma demande, les professionnels, dans le cadre d’un groupe de travail organisé sous l’égide de France Post-Marché (ex-AFTI), recommandent de mettre en place des solutions concrètes et des améliorations significatives et utiles dans la transmission d’information aux investisseurs en cas de réservation de cours, en particulier au moment du passage de leurs ordres.
J’ajoute, enfin, qu’un contrôle de provision sur la base d’un cours actuel peut également s’avérer plus complexe lorsque le titre est négocié sur une place étrangère, notamment en raison du décalage horaire qui peut en résulter. J’ai ainsi pu constater que certains établissements retenaient le cours de clôture de la veille et non le cours en temps réel, conduisant à l’exécution d’ordres sans que les clients ne disposent de la provision nécessaire[4]. Dans ces dossiers, conscient des dangers résultant d’un contrôle de provision sur la base d’un cours obsolète, l’établissement concerné, dans l’attente d’évolutions techniques, m’avait indiqué avoir interdit les types d’ordres ne permettant pas une maîtrise du prix d’exécution pour les marchés où les cours utilisés pour le contrôle de provision ne sont pas en temps réel.
En savoir plus
- Dossier du mois de juillet 2021 : Ordre de bourse : quand la réservation de cotation... réserve des surprises..
- Dossier du mois d’octobre 2020 : En cas de questionnaire incomplet, la banque doit alerter son client mais transmettre son ordre de Bourse
- Dossier du mois de novembre 2021 : Un ordre de bourse doit pouvoir être annulé ou modifié tant qu’il n’est pas exécuté
- Rapport annuel 2021
[ 1 ] La réservation résulte de l'impossibilité d'ajuster l'offre et la demande à l'intérieur de zones de cours autorisées. L'entreprise de marché, Euronext Paris, réserve alors temporairement la cotation d'une valeur - à la hausse ou à la baisse - dès lors qu'un ordre d'achat ou de vente provoquerait, s'il était exécuté des négociations à un (ou des) cours situé(s) en dehors de ces limites qualifiées de "seuils de réservation". Pour en savoir plus sur la notion de réservation, voir dossier du mois de juillet 2021 : Ordre de bourse : quand la réservation de cotation... réserve des surprises...
[ 2 ] Voir dossier du mois d’octobre 2020 : En cas de questionnaire incomplet, la banque doit alerter son client mais transmettre son ordre de Bourse
[ 3 ] Voir dossier du mois de novembre 2021 : Un ordre de bourse doit pouvoir être annulé ou modifié tant qu’il n’est pas exécuté
[ 4 ] Sur ce sujet, voir Rapport annuel 2021 page 26
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Responsable de la publication : Le Directeur de la Direction de la communication de l'AMF. Contact : Direction de la communication, Autorité des marchés financiers - 17, place de la Bourse - 75082 Paris Cedex 02