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Quand une opération sur titres entraîne un solde espèces débiteur : quelles obligations pour le teneur de compte et son client ?

Quand une opération sur titres entraîne un solde espèces débiteur : quelles obligations pour le teneur de compte et son client ?

Il arrive parfois que les investisseurs n’anticipent pas correctement les effets produits par une opération sur titres sur leurs avoirs. Or, sous l’effet du prélèvement fiscal à la source, une opération sur titres peut provoquer un solde débiteur qui doit être régularisé par l’investisseur.

Dans cette situation, le teneur de compte-conservateur a un rôle à jouer puisqu’il est tenu d’informer le client de la situation espèces débitrice avant de procéder, le cas échéant, à sa régularisation si cela n’est pas fait par l’investisseur lui-même dans les meilleurs délais.

Parallèlement, comme nous le verrons à travers ce dossier de médiation, le client doit, quant à lui, rester attentif aux informations transmises par son teneur de compte-conservateur, en particulier lorsqu’il s’agit d’un compte-joint.

Les faits 

Monsieur et Madame B sont tous deux co-titulaires d’un compte-titres joint, ouvert dans les livres de l’établissement X, sur lequel ils détiennent des actions V.

Suite à la fusion de l’émetteur V avec un groupe distinct, W, l’un et l’autre cotés sur Euronext Paris, Monsieur et Madame B. ont vu leurs actions V transformées en actions Y du groupe fusionné, également cotées sur Euronext Paris.

Monsieur B. a alors pris connaissance du fait qu’à la suite d’une assemblée générale extraordinaire (AGE) du groupe Y qui aurait lieu prochainement, les actionnaires de ce dernier se verraient attribuer d'une part, un dividende exceptionnel de 0,096677 euro pour une action Y détenue et, d’autre part, des actions de la société Z dans laquelle le groupe Y détient une participation, à hauteur de 0,017029 action Z pour une action Y.

Monsieur B. s’attendait donc à recevoir, à l’issue de cette AGE, des actions Z à titre gratuit, l’indemnisation d’un rompu, ainsi qu’un dividende exceptionnel.

Pourtant, à la lecture de l'historique des opérations passées sur son compte-titres joint, Monsieur B. s’est aperçu que la distribution d’actions Z approuvée à l’issue de l’AGE n’avait pas eu les effets qu’il escomptait.

En effet, le compte joint avait enregistré une opération comptabilisant au débit un montant de 2 974,44 euros - lié à la distribution d’actions Z -  et au crédit un montant équivalent - lié au paiement du détachement du coupon de dividende. Parallèlement, le compte-espèces joint avait également enregistré au débit un montant de 892,31 euros conduisant à un solde négatif.

Ce n’est que plusieurs jours après que Monsieur B., en consultant l’historique des dernières opérations sur son espace client en ligne, a pu constater que pour régulariser le solde débiteur de son compte-titres joint, son intermédiaire financier avait procédé, selon lui, sans son autorisation, à la vente de 9 actions T.

Etonné des effets non anticipés de la distribution des actions Z, ainsi que de la vente non autorisée des actions T, Monsieur B. a contacté son intermédiaire financier pour signifier qu’il n’avait en aucun cas opté pour une souscription, payante, des actions Z et que, selon lui, la distribution d’actions Z aurait dû se faire gratuitement.

De surcroît, Monsieur B. a signifié à l’établissement X qu’il aurait dû être prévenu par un message personnel – autre que sur son espace client en ligne – que son compte était débiteur. Ainsi, selon Monsieur B., en l’absence de l’envoi d’un tel message, l’établissement n’aurait pas dû procéder à la vente des actions T sans son autorisation.

En réponse à sa réclamation, l’établissement X lui a alors indiqué que cette opération sur titres n’était pas optionnelle et ne requérait donc pas son accord. L’établissement a, par ailleurs, ajouté que l’opération ayant été effectuée sur un compte-titres soumis au prélèvement à la source, elle était fiscalisée. L’établissement a précisé à Monsieur B. que celui-ci avait été alerté de la situation débitrice du compte joint et qu’un délai de 48 heures lui avait été accordé avant l’intervention de l’établissement pour résorber le découvert consistant en la vente de titres détenus sur le même compte-titres.

Monsieur B., contestant la réponse de l’établissement X et sollicitant la rectification des opérations liées tant à la distribution d’actions Z qu’à la vente des actions T m’a alors saisie de ce litige.

L’instruction

J’ai interrogé l’établissement X qui m’a fait part de ses observations, assorties des justificatifs à l’appui.

L’établissement X m’a confirmé que l’AGE des actionnaires du groupe Y avait approuvé la distribution exceptionnelle d'actions Z ainsi qu’une distribution exceptionnelle en espèces aux actionnaires de Y, opérations par ailleurs communiquées au public. Cette opération était donc automatique et ne nécessitait aucune action de la part de l’établissement ni de la part de Monsieur B. Toutefois, cette attribution était fiscalisée au droit commun des distributions de dividendes, même si en l’occurrence la distribution était en titres.

Lors du traitement de l'opération, Monsieur B. ne disposant pas sur son compte des liquidités suffisantes pour supporter le coût lié à la fiscalité de l’opération, l’établissement l’a alerté par voie télématique, sur son espace client, du débit de son compte avec un délai de 48 heures pour le régulariser.

En l’absence de régularisation de la part de Madame et Monsieur B. dans le temps imparti, l’établissement est intervenu, conformément à ses conditions générales, sur le compte-titres afin de régulariser la situation du compte.

De ce fait, l’établissement X m’a indiqué qu’il estimait avoir respecté ses différentes obligations.

La recommandation

A réception de ces éléments de réponse, j’ai procédé à une analyse attentive de ce dossier et j’ai relevé différents éléments.

Tout d’abord, concernant la distribution exceptionnelle d'actions Z ainsi que la distribution exceptionnelle d’un dividende aux actionnaires de Y : à cet égard, j’ai rappelé à Monsieur B. que je n’étais pas compétente pour les litiges en matière de fiscalité, mon champ de compétence se bornant aux litiges financiers.

Cependant, j’ai précisé à Monsieur B. qu’il m’apparaissait que cette distribution était effectivement gratuite mais, néanmoins, fiscalisée selon le régime applicable aux dividendes, le prélèvement forfaitaire unique (PFU) à 30%, composé de 12,8 % au titre de l’impôt sur le revenu et de 17,2 % de prélèvement sociaux.

C’est donc ce prélèvement fiscal forfaitaire et immédiat prévu par la législation française, qui a provoqué le solde débiteur du compte espèces de Monsieur B.  

Concernant l’information relative à l’opération de distribution des actions Z, j’ai rappelé à Monsieur B. que pesait effectivement sur son teneur de compte une obligation d’information.

Rappelons que l'article 322-12, II du Règlement général de l'AMF (ci-après RGAMF) prévoit deux hypothèses imposant une obligation d'information de la part du teneur de compte-conservateur : " Le teneur de compte-conservateur transmet dans les meilleurs délais à chaque titulaire de compte-titres les informations suivantes :

1°Les informations relatives aux opérations sur titres financiers nécessitant une réponse du titulaire, qu'il reçoit individuellement des émetteurs de titres financiers ;

2° Les informations relatives aux autres opérations sur titres financiers qui entraînent une modification des avoirs inscrits sur le compte du client, qu'il reçoit individuellement des émetteurs de titres financiers (...)"

Par ailleurs, il est important de souligner que les teneurs de compte-conservateurs ont uniquement l’obligation de transmettre l’information communiquée par l’émetteur sans avoir à y apporter un conseil fiscal.

En l’espèce, il n’appartenait donc pas à l’établissement X d’informer Monsieur B. des conséquences fiscales liées à l’opération de distribution des actions Z.

Concernant la vente des actions T, sans autorisation préalable de Monsieur B. : j’ai relevé qu’il est précisé dans les conditions générales de l’établissement X que les comptes-titres joints et ordinaires détenus au sein de l’établissement reposent sur des comptes-espèces qui ne peuvent être débiteurs.

Les conditions générales de l’établissement X indiquent en outre que, dès lors qu’un solde débiteur apparait sur un de ces compte-espèces, le teneur de compte s’engage à informer le client, par tous moyens, de son obligation de régulariser le solde débiteur sous 48 heures.

En l’absence de régularisation, l’établissement X précise qu’il procèdera, sans mise en demeure préalable, à la vente des instruments financiers inscrits au compte-titres du client, le choix des titres appartenant à l’établissement, et ce, aux frais et risques du client.

En l’espèce, Monsieur B. m’a indiqué qu’il avait reçu un message de l’établissement X sur son espace client en ligne, l’informant de l’état de son compte et lui demandant de régulariser la situation dans les 48 heures suivant l’envoi de ce message.

Néanmoins, j’ai considéré que la simple mise à disposition d’un message télématique sur l’espace client en ligne de Monsieur B. n’offrait pas un niveau satisfaisant de délivrance de l’information.

Dans ces circonstances, j’ai donc cherché à savoir si l’information avait été effectivement fournie à Monsieur B. ou seulement mise à la disposition de ce dernier sur son espace dédié.

Le compte-espèces débiteur dont il est question était un compte joint. J’ai pris connaissance du fait que lors de la souscription de ce compte joint, comme il est de règle pour ce type de comptes, Madame et Monsieur B. ont désigné un titulaire principal, destinataire des alertes relatives à la vie de ce compte.  J’ai relevé alors que Madame B avait été désignée comme tel et que c’est donc elle seule qui recevait les alertes relatives à la vie de ce compte joint.  

En procédant à l’analyse du dossier et en interrogeant l’établissement X, j’ai observé que l’établissement avait bien informé Madame et Monsieur B. de l’état du compte en envoyant un message pour régulariser la situation via deux canaux :

- par le canal « télématique », par l’envoi d’un message sur l’espace client lié au compte

- et par le canal de la messagerie électronique de Madame B.

Au regard de ces éléments, il apparait que l’information fournie par l’établissement a été adressée directement et personnellement – ici, via une boîte e-mail personnelle – à l’un des co-titulaires du compte – Madame B. –, conformément à la convention de compte, et que l’établissement X ne s’est pas simplement contenté de mettre à disposition l’information sur l’espace client.  

Dès lors, Monsieur B. est réputé avoir été informé, puisque la création d’un compte joint induit une solidarité dans la gestion entre les co-titulaires du compte.

Ainsi, j’ai relevé qu’il y avait eu un comportement actif de la part de l’établissement X, qui a également détaillé dans son message d’alerte les différentes façons de régulariser la situation du compte ainsi que les conséquences en cas d’absence de régularisation dans le temps imparti.

En l’absence de régularisation du compte dans le délai octroyé, l’établissement X était autorisé à vendre les titres de son choix pour couvrir le montant débiteur.

Au vu de ce qui précède, j’ai indiqué à M. B qu’aucun élément ne me permettait de conclure à un manquement de la part de l’établissement X dans ce cas précis et que je ne pouvais donc émettre un avis favorable à sa demande.

La leçon à tirer

Il est important de rappeler qu’en cas d’opération sur titres, l’obligation d’information de la part du teneur de compte-conservateur due aux investisseurs a un périmètre limité : il lui appartient seulement de transmettre l’information communiquée par l’émetteur, sans avoir à y apporter de conseils de quelque nature que ce soit.

De plus, lorsqu’un compte-titres joint est souscrit, il incombe à chacun des co-titulaires de rester attentifs aux informations transmises par le teneur de compte-conservateur, puisqu’une solidarité est présumée entre les co-titulaires dans la gestion du compte.

Enfin, il convient de distinguer la fourniture effective d’une information et la simple mise à disposition de cette information. Ainsi, lorsqu’un teneur de compte souhaite alerter un investisseur que ce dernier doit effectuer une régularisation sur son compte-titres, l’établissement devrait chercher à communiquer cette information à son client par tout canal personnel (téléphone, e-mail) et ne devrait pas se contenter du simple dépôt de cette information sur l’espace en ligne du client.