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Vœux à la Place - Discours de Gérard Rameix, président de l'AMF - 12 janvier 2016

Seul le prononcé fait foi

Chers amis,

Je vous remercie pour votre présence en ce début d'année pour les traditionnels vœux de l'AMF. Loin d'être une cérémonie convenue, ce moment a d'abord un caractère festif et amical, bien appréciable dans cette ambiance de rentrée morose et surtout me donne une occasion privilégiée de faire le point sur les sujets de l'heure devant un parterre particulièrement choisi de spécialistes de la matière financière.

J'ai lu la semaine dernière dans un article du Wall Street Journal une définition du régulateur que je ne résiste pas au plaisir de vous citer en dépit de son caractère irrévérencieux.

Le régulateur serait donc un " Bureaucrate qui tente d'arrêter des éléphants en furie en brandissant un plumeau devant eux ".

Il y a ce soir quelques représentants de la finance française que l'on peut qualifier d'éléphants, leurs équipes ne sont pour autant pas en furie et le Secrétaire Général de l'AMF est à la tête de services qui fort heureusement disposent d'autres outils que le plumeau.

Reste l'idée que nous nous efforçons de démentir d'une totale disproportion de moyens matériels et intellectuels entre les acteurs du monde financier et ceux chargés de le réguler.

Au-delà des formules humoristiques, les qualités professionnelles de nos équipes, et j'en remercie Benoît de Juvigny, qui les dirige d'une main sûre, me semblent reconnues tant à Paris que dans les nombreuses enceintes européennes et internationales où elles portent la voix de la France.

Oserais-je dire que nous sommes victimes de cette flatteuse réputation puisque les compétences de nos cadres sont très recherchées par vos établissements qui ont recruté en 2015 plus de cinquante d'entre eux. J'y vois un signe de dynamisme de la place mais aussi un défi que nous devons relever pour garantir la permanence de nos missions. Nous avons, je crois, jusqu'à présent plutôt bien réussi et su rester attractifs. En témoignent les 67 recrutements intervenus en 2015 et qui ont donc plus que compensé les départs. C'est un point particulièrement important au moment où nous faisons face à des enjeux technologiques majeurs. J'y reviendrai dans la dernière partie de mon propos.

Si le fonctionnement de l'AMF me semble plutôt satisfaisant, la situation de la place financière et des marchés appelle une appréciation plus nuancée….

Je vous fais grâce de longs développements sur la hausse de plus de 9 % du CAC40 en 2015, sur les 38 introductions en Bourse comprenant des opérations très importantes en termes de montants levés comme Amundi, sur la bonne tenue du marché obligataire.

Du côté de l'industrie financière, nous pouvons aussi nous réjouir de la réussite de notre entreprise de marché Euronext qui a effectué un très beau parcours depuis son introduction et de la bonne santé de la gestion d'actifs. Nous gardons de beaux atouts et des acteurs puissants mais devrons rester vigilants face à des compétiteurs redoutables et à une situation de marché passablement risquée.

Tout d'abord la situation géopolitique est très inquiétante ; pour rester dans mon rôle de régulateur de marché, je pose la question suivante de savoir si les marchés ont complètement intégré ces dangers ?

Ensuite avons-nous tiré toutes les conséquences d'un basculement, certes progressif et partiel, d'un système de financement principalement bancaire à un modèle faisant davantage appel au marché et à tout ce qu'on appelle le shadow banking ?

La liquidité qui reste aujourd'hui assez satisfaisante résisterait-elle à un choc politique ou financier, notamment sur les marchés de taux ?

Rassurez-vous je ne prétends pas aller ce soir au fond de ces sujets mais simplement vous assurer que sur le plan national tout comme au niveau de l'ESMA, de l'OICV et du FSB, nous sommes extrêmement mobilisés pour mesurer les risques et définir les mesures préventives possibles.

Autre sujet de préoccupation, la forte volatilité des marchés actions et ses effets négatifs sur l'exposition des particuliers au risque actions.
Notre pays a à la fois de très grands groupes cotés - en nombre supérieur à notre part dans le PIB mondial - un marché financier très ouvert aux investisseurs étrangers - européens ou non - et des investisseurs nationaux tant particuliers qu'institutionnels qui, pour des raisons diverses plus ou moins justifiées éprouvent de plus en plus de difficultés à détenir durablement des actions.

Je crois cette situation dangereuse à terme pour notre économie et ce constat appelle, me semble-t-il, une réorientation -déjà partiellement engagée- de notre politique de l'épargne, voire de certains paramètres de régulation.

Face à ce contexte compliqué, le régulateur a-t-il quelques idées simples sur lesquelles fonder sa stratégie ?
Nous devons assumer et donc concilier deux impératifs :

  • Celui de réduire les risques, particulièrement ceux de nature systémique, de les gérer au mieux, d'accroître la transparence et de renforcer la confiance dans le marché ;
  • Celui d'aider la finance à se recentrer sur son vrai métier qui est d'allouer de façon rationnelle et optimale les financements nécessaires aux entreprises et à l'économie.

Le premier impératif conduit à durcir les règles, voire à punir les indisciplinés ou les imprudents. Je n'ai jamais été réticent à assumer le rôle de gendarme et notre Commission des sanctions a, cette année encore, été très active. Il y a quelques semaines, elle a, par exemple, rendu une décision qui fera date pour sanctionner des abus commis par des intervenants de haute technicité, les traders haute fréquence.

Pour rester un instant sur ce domaine, nous suivons très attentivement, et je remercie Michel Pinault de son fort soutien, la réforme de la répression des abus de marché rendue nécessaire par la récente décision du Conseil Constitutionnel. Je rappelle que le Conseil a tiré du principe de nécessité des peines la conséquence qu'il n'y aurait désormais qu'une voie de poursuite, la voie pénale ou la voie administrative mais pas les deux comme c'était le cas jusqu'à présent.

Quel que soit le détail du cadre juridique nouveau en cours de définition, dans lequel je n'ai pas à entrer ce soir, nous devons dans le dialogue avec nos partenaires du Parquet National Financier œuvrer ensemble pour définir la procédure la plus adaptée à chaque cas particulier. Au risque de surprendre ou de paraître présomptueux, je pense que l'arbitrage d'un éventuel conflit positif de compétences qui concentre l'attention des meilleurs esprits devrait être tout à fait exceptionnel.

Le premier impératif, l'éloignement du risque systémique ou de l'accident de marché, va nous conduire à poursuivre plusieurs réformes qui figuraient dans l'agenda Barnier et ne sont pas encore entrées complètement en vigueur. Je pense tout particulièrement à la directive EMIR et à la compensation obligatoire d'une partie importante des transactions sur les instruments dérivés.

Cependant, et la Commission européenne en a donné le signal avec le lancement de l'Union des Marchés de Capitaux, nous devons nous tourner résolument vers un financement plus efficace pour contribuer au redémarrage de l'économie.

François Villeroy de Galhau, avant d'être nommé Gouverneur de la Banque de France et de succéder à Christian Noyer, a consacré un rapport à ce sujet. J'en partage les conclusions et me garderai de le paraphraser.

Je donnerai juste quelques points de repère pour situer l'apport du régulateur de marché à une démarche plus générale.

D'abord essayer, tout en conservant l'essentiel de l'édifice construit depuis 2008, de le rationaliser, de le simplifier pour faciliter le jeu des acteurs.

Ensuite, progresser patiemment mais résolument vers un level playing field de la régulation européenne pour tous les acteurs et toutes les opérations quelle que soit leur place de rattachement. C'est l'axe prioritaire de l'ESMA pour le second mandat de ses dirigeants, S. Maijoor et V. Ross, et nous nous mobiliserons totalement sur cet enjeu, renonçant pour ce qui nous concerne aux tentations et délices du gold plating mais en restant vigilants sur les pratiques de nos voisins et amis dont la lecture des textes peut parfois s'avérer créative….

Autre priorité, les données. L'écart entre les envolées sur le Big data et la réalité des données que les régulateurs sont capables de traiter et d'utiliser de façon opérationnelle est, à dire vrai, considérable. Nous devons à la fois - les textes le prévoient déjà - traiter plus de données et impérativement jouer collectif au niveau européen pour ne pas imposer aux acteurs une diversité de standards et de procédures de recueil et être nous-mêmes victimes de la Tour de Babel informatique que nous aurions créée. L'AMF a été en 2015 à la pointe de l'effort d'harmonisation européenne en ce domaine et elle entend continuer. Le Collège vient d'ailleurs d'approuver le lancement d'une rénovation complète et ambitieuse de nos outils de surveillance. Une réflexion est également assez avancée sur les bases de données nécessaires à la gestion d'actifs.

Nous devons également être attentifs à l'impact de la révolution digitale et aux nouvelles formes de conseil, de distribution des produits d'épargne ou de financement qui émergent ainsi qu'à l'irruption des Fintech dans le paysage. Nous devons accompagner ces changements et ces nouveaux acteurs, en gardant en tête le même objectif : trouver le bon équilibre entre une place qui doit attirer les talents, le financement de l'économie et la protection des investisseurs.

Voilà pour l'essentiel les messages d'un bureaucrate à un parterre d'éléphants…

Chers amis, l'année 2015 aura été collectivement éprouvante pour notre pays et vous me permettrez une pensée, en cette période de vœux où nous souhaitons à chacun le meilleur, pour les trop nombreuses victimes des actes abominables de janvier et novembre et pour leurs proches.

Il ne me reste plus qu'à vous souhaiter très sincèrement, au nom des membres de l'AMF et de l'ensemble de nos collaborateurs, une très belle et heureuse année 2016.

Je vous remercie.