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Compte rendu du Conseil scientifique de l'AMF - 11 janvier 2023

La séance du Conseil scientifique de l’AMF du 11 janvier 2023 était structurée autour de l’intervention des deux co-lauréates du Prix AMF 2022 du Jeune chercheur en économie. Hava Orkut (Université de Strasbourg) a présenté ses recherches sur les différences au sein des couples en matière de tolérance vis-à-vis du risque. Noémie Pinardon-Touati (Columbia University) a exposé les résultats de ses recherches mettant en lumière l’existence d’effets d’éviction liés au financement bancaire des collectivités locales au détriment du secteur privé.

La tolérance au risque : les écarts de genre au sein des couples

Hava Orkut s’intéresse à l’écart de tolérance vis-à-vis du risque au sein des couples, cette tolérance étant considérée comme un facteur d’influence important en matière de décision d’investissement et de prise de risque. D’une manière générale, les études académiques montrent que les hommes sont significativement plus tolérants au risque que les femmes. Des différences selon le genre sont également identifiées dans les couples, le mari étant généralement plus tolérant au risque que son épouse. La tolérance au risque est ici mesurée de manière subjective, c’est-à-dire d’après une auto-évaluation réalisée dans le cadre de réponses au questionnaire de la Directive sur les marchés d’instrument financiers (MiFID) lors de la visite chez un conseiller financier. Sont utilisées les données personnelles et bancaires ainsi que les réponses au questionnaire MiFID de plus de 20 462 individus (10 231 couples) clients d’une grande banque européenne disposant d’un compte joint. Ces données sont d’une grande richesse car très granulaires. Elles permettent de caractériser de manière fine les individus (genre, nationalité, lieu de résidence, diplôme, profession, situation familiale, niveau de revenu…), la détention d’actions par chacun des conjoints et la manière dont les individus répondent au questionnaire MiFID (seuls ou avec leur conjoint).

Il apparaît que les écarts en matière de tolérance au risque sont plus faibles lorsque les conjoints consultent leur conseiller financier ensemble plutôt que séparément. En outre, les écarts sont positivement associés à l'investissement en actions. Un écart positif est plus susceptible de se manifester lorsque le mari est le seul actionnaire du ménage.

La contribution de l’étude à la littérature académique tient en grande partie aux données utilisées et à la taille de l’échantillon. Ces données sont objectives : elles se distinguent d’un cadre hypothétique dans lequel rien n'est en jeu, comme c’est le cas des expériences en laboratoire. Les clients de détail sont ici invités à répondre au questionnaire MiFID obligatoire lors d'une visite à la banque pour prendre ou préparer des décisions financières importantes. Par ailleurs, les données indiquent si l’auto-évaluation de chaque conjoint est faite séparément ou lors d’un rendez-vous commun. Elles permettent enfin de faire le lien entre les préférences des clients, leur tolérance au risque, les caractéristiques sociodémographiques objectives du couple et les données financières concernant par exemple la détention ou non d’actions.  

À noter : un article utilisant la même source de données portant sur les différences d’éducation financière au sein du couple a été présenté par Marie-Hélène Broihanne lors de la séance du Conseil scientifique du 2 février 2022.

Les membres du Conseil scientifique ont félicité Hava Orkut pour son prix et insisté sur l’intérêt de sa recherche. Les discussions ont porté sur la manière dont est mesurée la tolérance au risque dans les questionnaires MiFID, sa pertinence et son interprétation. Les membres du Conseil ont également noté que, selon les résultats de l’étude, les écarts de genre en matière de tolérance au risque étaient finalement assez faibles et qu’ils concernaient une minorité de couples. Les résultats du baromètre de l’AMF, montrant que 47 % de femmes et 40 % d’hommes indiquaient être réfractaires aux risques, ont été rappelés. Les facteurs pouvant expliquer ces écarts de genre (réponse conjointe ou non au questionnaire, présence et caractéristiques du conseiller, âge, richesse, stéréotypes, dimension culturelle, existence d’un contrat de mariage, …) ont également été discutés. Plusieurs développements possibles ont été évoqués : intérêt d’une étude sur données européennes (la tolérance au risque varie-t-elle selon les pays ?), prise en compte dans l’analyse des couples homosexuels pour différencier les effets de genre des effets de couple, prise en compte des questionnaires en ligne, évolution de la tolérance au risque dans le temps pour un même individu au regard de son investissement en action ou de sa situation maritale… Enfin, la question des recommandations possibles visant à améliorer les mesures d’appétence pour le risque par le biais des questionnaires MiFID a été abordée. L’introduction de plusieurs questions testant d’autres types de tolérance au risque au-delà du seul risque financier a été suggérée.

Les effets d’éviction liés au mode de financement des collectivités locales sur le secteur privé

Noémie Pinardon-Touati s’intéresse aux effets d’éviction de l’octroi de prêts bancaires aux collectivités locales au détriment du crédit aux entreprises. Les dépenses des collectivités locales qui représentent 40 % des dépenses publiques dans les grands pays développés ont la particularité d’être essentiellement financées par le système bancaire. Or l’offre de crédit bancaire est relativement inélastique : un surplus de demande publique est ainsi susceptible de se traduire par un rationnement de l’offre de crédit bancaire au secteur privé et, in fine, de pénaliser l’investissement et la production totale. L’effet d’éviction contribuerait ainsi à limiter l’impact d’un stimulus public lorsque le financement de ce dernier se fait par le biais de l’endettement bancaire.

L’étude porte sur l’ensemble des prêts accordés entre 2006 et 2018 par 506 banques à 63 545 collectivités locales et 1,6 million d'entreprises, localisées dans 2 081 communes françaises réparties sur l'ensemble du territoire. Ces données sont combinées aux déclarations fiscales des entreprises. Le principal défi est d’isoler l’effet d’éviction d’autres effets potentiels. Afin de résoudre cette difficulté, Noémie Pinardon-Touati évalue dans un premier temps si une augmentation plus importante des prêts aux collectivités locales par une banque donnée entraîne une réduction plus importante du crédit aux entreprises par cette même banque, puis quantifie la baisse de la production globale, de l'investissement et de l'emploi agrégés, due à l'éviction.

Il apparaît en particulier qu’un accroissement additionnel de la dette publique locale de 1 euro se traduit par une diminution de l’octroi de crédit aux entreprises de 0,50 euro. Cet effet d’éviction réduit le multiplicateur de production des dépenses des collectivités locales financées par la dette de 0,3, ce qui est substantiel (les estimations du multiplicateur varient de 0,5 à 1,9). Ce résultat s’explique par la capacité limitée des banques à élargir leur offre de crédit. Cet effet d’éviction peut être réduit si les dettes publiques sont financées par le marché plutôt que par le biais de l’intermédiation bancaire.

Les membres du Conseil scientifique ont souligné l’intérêt de ces travaux qui apportent une quantification utile au débat public et félicité Noémie Pinardon-Touati pour son prix. Ils ont toutefois rappelé que l’augmentation des dépenses des collectivités et l’éviction du crédit privé pouvaient aussi augmenter le bien-être collectif dans l’ensemble. Ils ont remarqué que l’effet d’éviction variait au cours de la période d’étude, qui intègre la crise de 2008, des changements de politique monétaire avec la mise en œuvre de l’assouplissement quantitatif, mais aussi de l’introduction de nouvelles contraintes prudentielles (CRD4). Plusieurs hypothèses de causalité inverse ont par ailleurs été évoquées, telles que l’accumulation de dette par les entreprises privées en période de crise qui pourrait accroître le risque et inciter les banques à privilégier les projets publics, ou encore la baisse de l’activité économique à l’origine d’une réduction des recettes fiscales locales, et donc d’un recours accru à l’endettement des municipalités. Ils ont également souligné que l’étude intégrait dans la catégorie des collectivités locales des entités très différentes (hôpitaux, mairies, logements sociaux) dont certains administrateurs sont élus alors que d’autres sont nommés, ce qui pourrait induire une hétérogénéité de comportements. De plus, les périmètres de compétence des autorités locales (structure des missions, affectation des recettes, attribution partielle de la TVA, …) ont évolué sur la période, ce qui a pu jouer sur la demande de financement. Les membres du Conseil scientifique se sont également interrogés sur la possible existence d’un l’effet d’éviction au sein même du secteur corporate. Ils ont enfin souligné l’importance, pour les politiques publiques, de la question du développement d’un marché obligataire pour les collectivités locales ou des banques dédiées au crédit à ces collectivités. Plusieurs suggestions ont été mentionnées, en particulier l’introduction dans le modèle d’une banque centrale et de la monnaie, la prise en compte des dettes de court terme, particulièrement importantes pour les entreprises, mais aussi de la titrisation des créances bancaires, qui peuvent atténuer les contraintes sur l’offre de crédit, ou encore la prise en compte de la relation commerciale de long terme entre la banque et le client ainsi que de la multi bancarisation.